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la lanterne de diogène
5 octobre 2016

Alsthom, sans h et sans rien

Dernier rebondissement dans le feuilleton Alstom, l’achat par l’État et pas par la SNCF (pardon « SNCF » tout court) de 16 rames de TGV pour faire tourner la machine et éviter la fermeture du site historique de la Société alsacienne de Construction Mécanique de Belfort. Deux jours plus tard, on parle de 15 rames. À ce train…

D’abord un préambule. Alstom sans « h » s’est constitué en absorbant tous ses concurrents, tous les constructeurs de matériel ferroviaire depuis plus de trente ans. Pourtant, la situation d’Alstom est fragile et quelques déboires avec du matériel fourni à la SNCF n’a pas arrangé les choses. Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’industrie ferroviaire, soit il y a environ 45 ans, Alsthom appartenait au groupe CGE qui a été nationalisé en 1982. Comme presque tous les groupes nationalisés à l’époque, il perdait de l’argent et l’intervention de l’État a permis, au moins, de remettre le groupe à flots. Rappelons aussi qu’avant les nationalisation, le PDG de CGE touchait chaque mois ce que ces collègues touchaient en un an.

À la faveur du retour de la droite aux affaires, la CGE a été privatisée puis a changé de nom après qu’un étude a révélé que le sigle ne disait rien à personne, tandis que les marques du groupe étaient connues. Place donc au groupe Alcatel-Alstom. Dans les années 1990, en France, on considérait que chaque entreprise devait se « recentrer sur son métier ». En clair, ça voulait dire qu’on ne voulait plus de groupes aux activités multiples mais à une seule. Conséquence pour AA, chacun des A est parti de son côté. Alcatel a cru pouvoir s’accrocher au train de la téléphonie en plein essor avec les téléphones sans fil puis la technologie cellulaire. Las, les exigences des actionnaires (qui avaient déjà exigé la séparation, le fameux recentrage sur « son métier ») ont laissé Alcatel à la traîne derrière les Scandinaves et les Coréens faute d’argent pour investir dans la R&D. Alcatel s’est fait bouffer par Lucent, fabriquant aux États-Unis mais obtient quand même de garder son nom accolé au boa qui l’a avalé. Finalement, Alcatel a fait crever le boa. Aux dernières nouvelles, on en est là. On ne parlera pas des autres filiales et marques du groupe dans l’atome ou les câbles, par exemple. Disons seulement que toutes les filiales dans les technologies d’avenir ont été cédées aux concurrents et que ce sont autant d’unités de production qui disparaissent du paysage industriel français. Observons, d’une manière générale, que chaque fois qu’on annonce qu’un fleuron de l’industrie française « fusionne » ou « s’allie » avec son concurrent étranger direct, il disparaît corps et biens quelques années plus tard.

 

 

De l’autre côté, la filière électrique paraissait en meilleure santé. Certes le TGV ne s’est pas trop bien exporté ou alors dans des conditions défavorables à Alsthom allié un temps à son concurrent britannique GEC qui a bien profité de l’apposition de son sigle à la prestigieuse marque Alsthom sans avoir apporté grand chose. À la même époque, Alsthom a mis la main sur deux constructeurs en Espagne afin d’y fabriquer le TGV dans le seul pays d’Europe qui l’a acheté. Surtout, Alsthom a profité de la volonté de FIAT de se séparer de sa branche ferroviaire et a acquis ainsi la technologie pendulaire active qui est exportée dans une vingtaine de pays du monde mais qui, aux dires de la SNCF et d’Alsthom lui-même, ne marche pas ; comprenne qui pourra... C’est cette obstination à nier l’évidence qui fait qu’il n’y a pas de train pendulaire en France alors que ça occuperait un segment intermédiaire entre la grande vitesse et les trains tractés intercités. C’était l’époque où Alsthom avait le vent en poupe et devenait un fleuron industriel en Europe, d’autant que son partenariat avec le Canadien Bombardier lui ouvrait des perspectives intéressantes. Las, rien ne s’est passé comme prévu. Quand Bombardier a racheté en 2001 le consortium géant AD-tranz (ABB + AEG + Daimler) créé cinq ans plus tôt, Alstom (qui avait perdu son « h ») devait revendre ses usines en Espagne et faire avec son TGV qui ne se vendait plus qu’en France et encore, puisque la France était suffisamment équipée. Surtout, avec le maître-mot de l’économie contemporaine – « il faut faire des économies » – on a préféré restaurer les premières rames plutôt que d’en acheter de nouvelles. Comme si ça ne suffisait pas, un modèle d’autorails produit par Alstom s’est révélé une catastrophe pour les liaisons régionales ; ce qui a conduit la SNCF et les Régions à se tourner vers les rames polyvalentes de Bombardier. vrai et faux enjeu du transilien

 

bombardierDans le même temps, la Chine, après avoir copié les autorails à très grande vitesse japonais, s’est mise à en construire et, si elle n’est pas encore en capacité de concurrencer sur le marché international, elle devient auto-suffisante pour son immense marché intérieur ou achète le concurrent direct du TGV d’Alstom, le Zefiro de Bombardier qui, sans avoir établi de record mondial de vitesse peut proposer une vitesse de 500 km/h. TGV : un record et puis après?

Certes, Alstom a produit, depuis, le remplaçant du TGV, l’AGV (autorail à grande vitesse) vendu pour le moment à un transporteur italien privé. C’est dire que les perspectives sont réduites d’autant que l’opérateur historique (privatisé aussi) a préféré acheter des Zefiro limités à 380 km/h pour ses relations Flèche rouge. Pionnière de la grande vitesse, la France est désormais dépassée après avoir essuyé les plâtres pour les autres, plutôt dubitatifs devant le projet français.

Regards sur la France en 30 ans de TGV

 

En Allemagne, le consortium Siemens (sur base Krauss-Maffei) a lancé son propre autorail pour les nouvelles relations ICE qui, au contraire des TGV, utilisait au début, les infrastructures existantes. Le succès français et la cohabitation difficile entre les intercités traditionnels et les Velaro de Siemens a conduit l’Allemagne a construire des LGV, à son tour. Le Velaro n’a cessé de s’améliorer et de s’exporter notamment en Espagne et plus récemment pour le tunnel sous la Manche ; au grand dam d’Alstom… L’agressivité technologique et commerciale du n° 3 mondial a incité certains, avec la quasi injonction de la Commission Europénne à demander le démantèlement d’Alstom et la cession des activités ferroviaires à Siemens qui avait déjà racheté la branche « transports » de Matra qui construit notamment le VAL. Cela a conduit le Gouvernement français et son Ministre de l’Économie de l’époque, un certain M. Sarkozy, de mettre de l’argent dans la branche ferroviaire d’Alstom au point que certains ont pu parler de nationalisation déguisée. Ça a sauvé momentanément le n°2 mondial mais la stratégie insensée des hauts dirigeants d’Alstom les a poussé à céder la branche « énergie » à General Electric et donc menacer (euphémisme) l’indépendance énergétique de la France. Puisqu’on en est dépecer l’ex géant français, pourquoi ne pas continuer ? On ferme l’usine de production de Belfort et l’on regroupe tout à Reichshoffen qui s’occupe surtout de maintenance et pas de production. Tout est dit. Scandale dans la foulée, d’autant que le PDG et les actionnaires, eux, se frottent les mains tandis que, une fois de plus, on déplore que la France n’a plus d’industrie et ne produit plus rien, au contraire de l’Allemagne. On comprend d’autant moins que peu de jours plus tôt, on annonçait en fanfare la vente de rames Avelia Liberty (dérivé de l’AGV) aux États-Unis et l’on y voyait un signe que l’industrie ferroviaire française reprenait l’avantage.

http://www.usinenouvelle.com/article/l-avelia-liberty-le-nouveau-tgv-d-alstom-qui-seduit-les-etats-unis.N430002

 

Après quelques jours de tergiversation, de négociation, le Gouvernement qui vit ses derniers mois débloque un demi-milliard d’euros pour acheter 16 TGV. On se dit que c’est formidable et que le site belfortain est sauvé. Sauf que, en y regardant de près, on comprend que c’est un coup tordu. D’abord, c’est l’État et pas SNCF qui paie. Curieux : c’est pourtant la même caisse et le même argent des contribuables. Ah non, une astuce comptable exige de différencier les deux. Curieux pays où dans une même entreprise d’État ou une même administration, on se facture des prestations à soi-même mais dans deux services ou filiales différentes. En clair, l’État va agir comme un opérateur privé sur son propre réseau national construit par l’État. Ou plutôt, l’État va agir comme les Régions qui financent les rames qui roulent sur les voies SNCF à côté des trains de la SNCF et, bientôt, des opérateurs privés qui, pour l’instant, ne se bousculent pas. Deuxième bizarrerie, ces TGV rouleront à vitesse commerciale normale – soit 160 km/h – au lieu des 350 autorisés sur les LGV. L’Espagne avait fait ça en 1992. Dans sa commande de 24 TGV, il y avait 6 rames à écartement espagnol pour proposer des liaisons plus rapides sur lignes normales sur les relations Euromed. Au début des années 2010, la Renfe a transformé ces 6 TGV sous employés, en TGV à grande vitesse et écartement international pour renforcer son offre AVE. La France fait le contraire… On peut penser que les 16 nouvelles rames (si la commande est honorée) rouleront bien sur les LGV et que les premières rames vieillissantes (mais pas tant que ça) seront affectées aux liaisons intercités classiques. Du reste, c’est une proposition qui avait déjà été exprimée, accompagnée du souhait de relèvement de la vitesse de ces rames à 200 km/h (au lieu de 160), soit la vitesse des prestigieux Capitole, Aquitaine (220 km/h entre Paris et Bordeaux) et presque autant pour le Mistral. Y a pas à dire, on progresse à reculons.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2015/09/30/32709971.html

Troisième bizarrerie, SNCF n’a pas besoin de nouveau matériel. Au contraire, elle passe son temps à supprimer des trains, à mettre des bâtons dans les roues des Régions qui s’obstinent à en faire rouler et qui passent des accords entre elles pour que leurs trains finissent leurs trajets dans les grandes villes voisines. SNCF a même inventé des TGV qui roulent sur les voies normales, donc beaucoup moins vite, moyennant un tarif minoré. Les gens sont contents de «monter dans le TGV » même s’il roule à vitesse normale. On a dû remarquer que les gens croient rouler à grande vitesse quand ils finissent leurs parcours puisqu’ils sont restés dans le même train. Quatrième bizarrerie, à moins d’une mauvaise compréhension, les 16 rames seront de type TGV. Or, nous avons vu que ce train est dépassé aujourd’hui. Les concurrents comme le Zefiro de Bombardier et le Velaro de Siemens sont autrement plus performants. Le constructeur basque espagnol CAF produit un autorail (ce type de rames est aujourd’hui plébiscité partout dans le monde plutôt que des rames tractées par locomotives) à grande vitesse, beaucoup moins performant mais intéressant pour de nombreuses relations tandis que Talgo (également basque d’Espagne) exporte ses rames légères et sa pendulation passive qui permettent de réaliser des performances en termes de vitesse et de confort sur des voies classiques et sinueuses. Talgo s’est allié à Siemens pour des locomotives puissantes et à Bombardier pour des rames à grande vitesse. Alstom lui-même construit déjà « le TGV du futur », c’est à dire l’AGV et son nouveau nom Avelia. Dès lors, on ne comprend pas pourquoi il faudrait acheter du matériel daté quand on fait mieux. Peut-être que dix ou douze rames d’AGV sauveraient tout autant Alstom et renforceraient la flotte française vieillissante.

 

Juste un mot sur le Talgo pendulaire qui a participé à la renaissance du rail en Espagne, avant 1992 et l’arrivée du TAV (TGV en espagnol) en roulant très rapidement sur les parcours sinueux de la péninsule. En d’autres termes, l’équipement en France de lignes intercités par des Talgo pendulaires éviterait la construction de LGV quand on voit que, entre la suppression des trains de voyageurs par SNCF et l’abandon du fret ferroviaire par SNCF aussi, les voies sont largement sous-exploitées tandis que les LGV sont proches de la saturation. Moyennant quelques travaux – de toute façon indispensables – SNCF compléterait son offre surtout si l’on relevait la vitesse commerciale à 200 km/h. Ça a été fait dans le passé pour certains trains (les TEE) et aujourd’hui, toutes les locomotives récentes sont aptes à de telles vitesses.

 

En conclusion, entre la cupidité des actionnaires et celles des hauts dirigeants d’industrie, l’incompétence en matière de transports des élus et des ministres (il suffit de penser aux cars Macron), une SNCF qui est probablement le pire ennemi du train en France, qui ne pense qu’à fermer des lignes et déférer les voies pour favoriser ses cars (encouragés par M. Macron donc) et ses TGV, on a la situation actuelle avec le n° 2 mondial de la construction ferroviaire qui bat de l’aile alors que partout dans le monde la demande de trains s’exprime. Il n’est pas difficile de prévoir que, après les élections du printemps prochain, Alstom sera avalé par Siemens qui maintiendra une partie de l’emploi en France (mais fermera nombre d’unités moyennes de production) pour favoriser son Velaro plutôt que l’Avelia. L’affaire Alstom dépasse largement le cadre des petits trains-trains puisque c’est toute la politique industrielle de la France, à l’ère de la dérégulation libéraliste qui est contenue dans le cas Alstom. C’est pour ça qu’il fallait rappeler d’où vient Alstom pour bien mesurer l’ampleur du désastre. On aurait pu tout aussi bien évoquer le voisin Peugeot à Sochaux, dans le même bassin industriel de la triple frontière. Dans les deux cas, on a deux grandes entreprises industrielles privées qui n’ont eu de cesse de dénigrer l’intervention de l’État tout au long de leur existence et qui ne s’en sortent qu’avec l’argent que l’État lui octroie pour éviter des milliers de mises au chômage. Les actionnaires se portent bien ; merci pour eux. De l’autre côté de la frontière, la petite Suisse, sans subvention de l’UE (forcément) a mis tous ses tunnels – et il y en a – au gabarit pour le transport des camions sur trains et pour améliorer ses rames de voyageurs tandis que l’Allemagne a conservé son tissu économique plutôt que d’écouter les sirènes qui poussaient à le dilapider. Au passage, remarquons que Berlin est déjà le siège de deux géants de la construction ferroviaire puisque la division « trains » de Bombardier est une entreprise de droit allemand qui occupe l’ancien bâtiment des chemins de fers impériaux prussiens. Le feuilleton Alstom n’est pas fini.

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/04/05/4541982.html

http://www.bombardier.com/fr/transport/produits-et-services/vehicules-sur-rail/trains-a-grandes-vitesse.html

http://www.bombardier.com/fr/media/perspectives/tres-grande-vitesse.html

http://www.alstom.com/fr/products-services/product-catalogue/systemes-ferroviaires/trains/produits/trains-a-tres-grande-vitesse-agv/

http://www.goeuro.fr/trains/grande-vitesse

http://www.lemonde.fr/japon/article/2015/04/21/japon-un-train-va-tenter-d-atteindre-la-vitesse-record-de-600-km-h_4619539_1492975.html

 

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