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la lanterne de diogène
16 novembre 2016

Mimétisme journalistique et réseaux sociaux

D’abord, un coup de chapeau à M. Jean-Marc Four, directeur de la rédaction d’Inter, pour avoir fait organiser un « Téléphone sonne », trois jours après son éditorial professionnel, déjà évoqué ici.

https://www.franceinter.fr/emissions/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-14-novembre-2016

Ces jours-ci, on entend beaucoup que les médias étatsuniens « font leur mea culpa » concernant l’élection de Trump. Ils ajoutent qu’on attend de leurs confrères français qu’ils en fassent autant. Il faudrait déjà qu’ils aillent voir du côté de M. Jean-Marc Four qui l’a fait avant tous les autres et courageusement. L’autocritique n’est pas un exercice facile car il oblige à renoncer à ce à quoi l’on croit ou à des pratiques ancrées.

Les médias se trompent et nous Trump

Ensuite, il faut remarquer que, comme après Timisoara, on nous rebat les oreilles avec « plus jamais ça ». Et puis, au premier événement exceptionnel, les mauvaises habitudes reviennent. Il s’est écoulé un peu plus d’un an entre l’affaire de Timisoara en décembre 1989 et le début de la première guerre contre l’Irak en janvier 1991 pour qu’on retombe dans le sensationnel, les approximations, les prévisions fantaisistes, les commentaires infondés.

Donc, alors que les médias français se répandent en espérant une autocritique, qui ne dépend pourtant que d’eux, et sans tenir le moindre compte de la démarche d’un journaliste à un poste de responsabilité, les défauts apparus à la faveur de l’élection de Trump, continuent à parasiter l’information. M. Jean-Marc Four avait, notamment, pointé « l’effet mimétisme ». Or, pas plus tard que dimanche, quelques jours après l’élection de Trump, deux jours après l’éditorial de Jean-Marc Four, une nouvelle occurrence de l’effet mimétisme, une péripétie, en fait, occupe la une des médias mais pas que. Il s’agit de la mention, dans un discours de M. Juppé, candidat à la candidature pour la présidentielle, en pleine campagne des « primaires » de la droite, de « la caissière de Prisunic ». Il a suffi qu’un journaliste relève que l’enseigne bien connue n’existe plus depuis longtemps pour que tous les autres lui emboîtent le pas sur l’air de « ces hommes politiques sont déconnectés ». Il ne s’agit pas, ici, de défendre M. Juppé, bien au contraire. Simplement, tout le monde aura remarqué que nombre de nos expressions font référence à un monde disparu. Les mêmes, qui font semblant de se moquer de M. Juppé citant Prisunic, n’hésitent pas à abuser d’autres expressions toute faites, incompréhensibles par les plus jeunes générations qui les emploient, pourtant, mais sans en connaître l’origine. Combien de fois entend-on « franchir la ligne jaune » (le jaune a disparu de la signalisation horizontale depuis 1972), ou « rester/rentrer dans les clous », « trouver son permis dans un paquet de Bonux » ? Pourtant les journalistes les emploient toutes les semaines ; souvent pour décrire une initiative d’une personnalité politique dont on attend qu’elle affiche un point de vue identique à la ligne de son parti. La « caissière de Prisunic » est un classique pour décrire la condition de femmes mal payées et effectuant un métier, certes pas très qualifié mais très contraignant en termes d’emploi du temps et d’éloignement du foyer familial. Le discours journalistique est truffé de ces expressions toute faites, souvent éloignées de leur sens originel comme « l’été indien » qui désigne quelques jours de soleil (pourtant fréquents) au début de l’automne. On pourrait citer « l’état de grâce », « le vrai-faux passeport », « le village gaulois » etc. autant d’expressions qu’on superpose, qu’on détourne mais qui font florès parce qu’elles sonnent bien.

prisunic

Seulement, il fallait bien dire quelque chose d’un discours provenant d’un homme politique âgé qui ne propose rien de nouveau. Donc, tous les journalistes ont repris la remarque de l’un d’entre eux sur Prisunic. L’affaire ne s’arrête pas là. À l’occasion de l’élection de Trump, on a beaucoup parlé des « réseaux sociaux » qui auraient facilité la victoire du candidat qui se prétendait « anti-système ». On explique que, comme la plupart des médias étaient contre Trump, les électeurs se sont rabattus sur les réseaux sociaux, confondus avec les sites Internet partisans ou complotistes et, en tout cas pas fiables, pour obtenir des informations qui ne passent pas par le filtre des médias traditionnels. Dans le cas de Juppé et de Prisunic, on remarque que les réseaux sociaux français ont emboîté le pas au journaliste qui s’est cru malin en rappelant que l’enseigne n’existe plus et ont amplifié le phénomène. En d’autres termes, au moins en France, les réseaux sociaux ne diffèrent pas beaucoup des médias traditionnels. Simplement, les Français adoptent un comportement de clients de supermarché (de Prisunic!) qui se promènent dans les rayons et qui choisissent ce qui va dans leur sens. L’éducation de masse a donné à chacun l’impression d’être savant et la télévision, avec sa formidable machine à niveler, l’illusion de pouvoir discuter de n’importe quel sujet d’égal à égal avec les spécialistes. Le public a marché d’autant plus facilement, a foncé tête baissée, car, quelques jours auparavant, un autre candidat à la candidature de droite s’était ridiculisé en bredouillant qu’un pain au chocolat devait coûter entre 10 et 15 centimes. Cette fois, c’en était trop !

Ce qu’il faut bien voir, c’est que contrairement à ce qu’on pourrait croire en lisant les commentaires courroucés à l’endroit des médias, le public français n’est pas aussi critique qu’il en donne l’impression. Il râle. Il râle beaucoup, même, y compris lorsqu’il s’apprête à aller dans le sens qu’il vient de dénoncer. Les électeurs se plaignent qu’on voit toujours les mêmes mais, alors qu’ils ont le choix, ils votent pour les mêmes. Depuis des mois, déjà (et c’est la même chose avant chaque présidentielle), on entend des plaintes à l’endroit des principaux candidats mais, quand on leur demande pour qui ils vont voter, ils citent les deux ou trois que les médias mettent en avant et invitent tout le temps. Si l’on cherche à comprendre, ils répondent invariablement : ben, on a pas le choix, on va quand même pas voter pour X ou Y. Cela veut dire que les journalistes sont à l’image du public qui, finalement, s’y retrouve. On dénonce (mais pas tant que ça), des erreurs commises, une altération de l’évaluation mais, dans le même temps, on mobilise les mêmes moyens, les mêmes comportements et l’on arrive au même résultat. Le public aime dire qu’il n’est pas dupe et ne fait pas confiance aux médias mais suit volontiers ses recommandations.

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