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la lanterne de diogène
27 octobre 2017

CATALUNYA 2 : en attendant la suite des événements

À mesure que les choses s’enveniment en Catalogne, les commentaires partent dans tous les sens : et l’on évoque le franquisme (point Godwin ibérique), le nationalisme ferment de guerre et, en tout cas, d’exclusion de l’autre, l’exploitation des travailleurs par le capitalisme, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Bien sûr, ces thèmes existent et font partie de la question catalane telle qu’elle se pose aujourd’hui mais le point fondamental, rappelons-le, est que tout le monde en Espagne déteste les Catalans pour les raisons déjà évoquées et aussi parce que, dans les premières années de l’Autonomie (mise en place en Catalogne dès le début de la démocratie), la Présidence de Jordi Pujols a été émaillée « d’indélicatesses », d’autant plus dénoncées qu’elles touchaient la Catalogne. La détestation des Catalans s’exprime depuis le début de l’ère démocratique, notamment sur les stades de football où les Espagnols ne supportent pas la suprématie du Barça. Il ne s’agit pas d’une rivalité comme on en connaît ici entre OM et PSG qui, si elle peut être violente, n’en appelle pas aux fondamentaux de l’État lui-même, ni même à la rivalité entre la capitale et la deuxième ville de France. D’ailleurs, cette rivalité n’existe pas. Tout au plus existe-t-il une rivalité entre Lyon et Marseille mais qui ne se décline pas sur les terrains de football.

Une rencontre avec le Barça, c’est d’abord une rencontre entre une équipe espagnole et une équipe catalane, presque étrangère, accusée de ne gagner que parce qu’elle dispose de moyens financiers importants. Que le Real de Madrid en dispose autant est perçu comme légitime pour lutter, précisément contre le Barça et faire briller l’étoile espagnole au niveau continental. Les rencontres entre Madrid et Barcelone donnent lieu, dans la capitale, à un déploient de drapeaux espagnols pour agacer les supporteurs catalans. Ça n’est pas anodin. Le football tient une importance qu’on n’imagine pas de ce côté-ci des Pyrénées, renforcée par les paris sur les matches. Par conséquent, le mépris envers les Catalans s’exprime au quotidien partout dans le reste de l’Espagne. Il n’est jusqu’aux Valenciens qui prétendent parler une langue différente, rien que pour dire qu’ils ne parlent pas le catalan. Pourtant, avec les Baléares, le Pays Valencien fait partie de l’ensemble ethnique et culturel catalan et il partage le même drapeau historique de la Catalogne, repris plus tard par le roi d’Aragon quand il exerçait sa suzeraineté sur la Catalogne.

serviette-de-plage-drapeau-catalan-avec-inscription-catalunya

Il existe bien une hostilité permanente dont souffrent les Catalans et qu’on ne comprend pas ici. Elle intervient après plus de 30 ans d’Autonomie qui, visiblement, n’a pas tenue toutes ses promesses malgré l’imposition du bilinguisme officiel. L’antagonisme avec le reste de l’Espagne demeure et apparaît d’autant plus vif que les visiteurs étrangers prisent Barcelone et les environs. La capitale catalane offre tous les avantages d’une très grande ville tout en étant au bord de la mer et la qualité de la vie y est incomparable. Il y a de quoi susciter les rancœurs. De son côté, le Gouvernement Rajoy, en difficulté depuis son installation, sait qu’il peut compter sur l’unanimité des Espagnols contre les Catalans et refaire ainsi l’unité autour de lui dont il a tant besoin.

La presse française et les commentateurs sont désemparés. Vue d’ici, l’Espagne est un pays avant tout latin et touristique. Depuis les années de « movida » madrilène, c’est la destination à la mode. Si, avant, la côte (catalane justement) attirait les touristes à la recherche de soleil pas cher et se gardant bien d’explorer l’intérieur et de témoigner de l’échec du franquisme, les classes moyennes peu fortunées ont laissé la place à la classe moyenne supérieure éduquée et se piquant de loisirs culturels. Elle méprise volontiers le football et l’engouement qu’il suscite là-bas. Elle n’en analyse pas la portée socio-politique. Si ses prédécesseurs ne connaissaient de l’Espagne que les plages, elle ne connaît que les sites culturels et les salles de spectacle. Elle ignore la mosaïque ibérique et ses antagonismes. Chaque fois qu’il y a une crise politique, elle fait semblant de s’y connaître en annonçant la montée en puissance des nostalgiques de Franco. Les catalanistes l’y aident bien en assimilant les Espagnols hostiles à leur cause à des fascistes.

 

On est aussi consterné par l’absence de condamnation de la riposte disproportionnée de Madrid aux velléités catalanes. La mise sous tutelle d’un territoire, de son administration, de ses pouvoirs publics ne se retrouve que dans les cas d’invasion d’un pays par un autre. Idem quand le pouvoir de Madrid prend le contrôle d’une chaîne de télévision qui est le reflet de la culture particulière de la Catalogne. Comparaison n’est pas raison mais c’est ce qu’avait fait Saddam Hussein en envahissant le Koweït : d’abord remplacer les responsables et, tout de suite, mettre la main sur la télévision. Ce précédent est tout de même fâcheux et les commentateurs français, emboîtant le pas des dirigeants européens, paraissent considérer tout ce qui vient des Catalans comme un caprice d’enfant gâté, une crise d’adolescence. Ici, on comprend la différence entre l’Écosse et le reste de la Grande-Bretagne. Même si l’on ignore les alliances du passé entre les couronnes française et écossaise, on perçoit à peu près le particularisme des septentrionaux avec leur kilts, leur whisky. Il est rappelé chaque année avec le Tournoi de rugby des 6 Nations. Il n’y a pas l’équivalent pour l’Espagne et l’on ne comprend pas que des gens qu’on voit pareils ne s’entendent pas.

Ce qui est étrange aussi, c’est que, à gauche où l’on est habituellement intransigeant sur les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, à l’autodétermination, l’indépendance, on prend des airs effarouchés à l’idée qu’une partie de l’Europe pourrait échapper au sort commun. D’une manière générale, on assiste partout et, singulièrement en Europe, à deux mouvements contradictoires. D’une part le souhait des populations de ne pas voir leur culture, leur terroir noyé dans des bassins anonymes et interchangeables, d’autre part, la volonté de s’unir avec ceux qui présentent le plus de points communs. Dans les deux cas, il y a des avantages et des inconvénients. Il y a des risques de tension et d’exclusions. Il y des risque d’uniformisation. Les grands ensembles sont intéressants pour mutualiser les moyens. Les petits ensembles gardent une dimension humaine.

 

L’ultralibéralisme ne s’intéresse pas aux cultures. La mondialisation, c’est d’abord, la négation des faits culturels perçus comme autant de particularités, de contraintes, d’adaptation, de traduction, de contestation. Elle prône l’uniformisation en tout. Quel intérêt de préciser l’origine du camembert, de la feta, du couscous, du goulasch, de la paella etc. et de veiller à maintenir sa typicité ? On peut en faire partout et avec des produits aseptisés venus de n’importe où. La preuve avec la pizza qui n’est plus un plat typiquement italien (encore moins napolitain). Idem pour les kébabs, les sushis, les tacos. L’ultralibéralisme prône le triptyque « Intercommunalité-Région-Europe » parce que les décisions sont prises toujours plus loin de ceux qui sont concernés : éviter de demander son avis au peuple, aux consommateurs, aux citoyens. « Made in Europe » plutôt que « Made in [my country] ». Donc, l’UE ne favorisera pas l’indépendance d’une région.

Les Français se désintéressent des particularités régionales. Ils les voient comme des survivances d’un folklore sympathique mais désuet voire ringard. Les nouveaux cantons qui désorganisent le monde rural, les nouvelles grandes régions ont été instaurés dans une indifférence consternante. Le référendum écossais a été regardé avec amusement. L’opposition de la Wallonie au CETA a été moquée avec le mépris habituel des Français pour les histoires belges. Les votations suisses sur des sujets de société, de vie quotidienne sont évoquées comme des manifestations populistes de repli sur soi. La Catalogne n’y échappe pas. On se réjouit presque que des multinationales aient transféré leurs sièges hors de l’Autonomie, d’un air de dire : vous êtes bien attrapés, à présent qu’allez vous faire ?

La sécession, l’indépendance n’apportent pas forcément la félicité. Il suffit de se rappeler les premières années du Bangladesh. Fallait-il pour autant la refuser et continuer de voir les gens quitter leur pays pour se réfugier en Inde ? Le Soudan du sud n’est pas une réussite. Pouvait-on laisser les Noirs continuer d’être méprisés par ceux du nord ? On sait rappeler que l’Algérie, malgré son pétrole, n’est ni une réussite économique, ni un modèle politique avec une faction armée qui détient le pouvoir sans partage depuis de l’indépendance. L’indépendance va dans le sens de l’Histoire. Quand les peuples la revendiquent, ils ne pensent pas à la paperasserie (passeports, ambassades, impôts, monnaie etc.) que ça va engendrer. Ils ne pensent pas aux richesses qu’ils vont exploiter ou à celles qu’ils vont perdre. Ils ne se disent même pas qu’ils vont vivre mieux. Ils veulent simplement être respectés et vivre à leur façon, même si elle est ringarde ou ridicule vue d’ailleurs.

Dans le cas catalan – mais aussi écossais, vénitien, lombard etc.– , il est tout de même insensé que l’UE toujours prompte à pondre des décrets et inventer des normes et des règlements dont on se demande de quels cerveaux ça peut bien sortir, n’ait jamais songé à travailler sur une formule entre la région autonome (telle qu’il en existe un peu partout) et l’indépendance. En fait, avec le fameux triptyque « Intercommunalité-Région-Europe », l’UE voudrait voir la fin des États souverains et la constitution de grandes régions avec des identités aussi peu affirmées qu’en Champagne ou en León. C’est dire si l’émergence d’un nouvel État lui est intolérable.

 

On sait, à présent, que la gauche au pouvoir en France dans les années 1980 a abandonné ses fondamentaux pour la construction de l’Europe. Il ne faut pas s’étonner que, revenue au pouvoir en 2012, elle ait cherché à maintenir son statut de meilleur élève de la classe. Il faut voir avec quel zèle elle a mis en place les dispositifs qui vont conduire, à terme, à la réduction du nombre des Communes et à la suppression des Départements. Or, ces échelons sont l’expression de la démocratie de proximité et d’une certaine administration territoriale à taille humaine. La gauche, autrefois proche des régionalistes (mais surtout pour s’assurer de leur soutien aux élections) et toujours prompte à défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, se montre plus que réticente devant les velléités catalanes. Compte-tenu de l’influence du PS dans l’Internationale Socialise, il ne faut pas compter sur la gauche européenne pour soutenir l’indépendance de la Catalogne. Quant aux libéralistes, ça ne les intéresse même pas.

Il y a pourtant un réel danger à mépriser la volonté des Catalans. D’abord, depuis le début de la crise, cela a renforcé l’unité catalane. Si l’on pouvait prévoir qu’un référendum aurait donné un majorité contre l’indépendance, il en est autrement aujourd’hui. Ensuite, les analyses, les lois ne parlent jamais de dignité. Chaque fois, dans l’Histoire, qu’on l’a oubliée, qu’on a passé outre la volonté des peuples, il y a eu des problèmes. Les Catalans sont déterminés. Toutes ces décennies d’hostilité, de mépris leur ont tanné le cuir. La réaction disproportionnée du Gouvernement de Madrid, l’unité autour du pourtant très impopulaire M. Rajoy ont achevé de les convaincre qu’il n’y a pas de solution à chercher côté espagnol. Pourtant, les Catalans ne commettrons probablement pas l’irrémédiable. Reste à espérer que les pulsions anti catalanes et le besoin de M. Rajoy de se maintenir au pouvoir ne provoqueront pas l’irrémédiable.

http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/10/23/crise-catalane-madrid-prend-le-controle-de-tv3-la-chaine-publique-pro-independantiste_5204816_3214.html

 

https://www.rtbf.be/info/monde/detail_la-television-locale-catalane-tv3-refuse-la-mise-sous-tutelle-de-madrid?id=9743606

 

http://www.20minutes.fr/monde/2155963-20171023-italie-autonomistes-emportent-largement-referendum-venetie-lombardie#xtor=EPR-182-[welcomemedia]--[article_monde]--

https://juenbarcelona.wordpress.com/2014/05/30/et-vous-lindependance-vous-en-pensez-quoi/

 

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