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la lanterne de diogène
11 décembre 2017

Johnny, le visage de la France

Il a fallu sa mort pour qu’on se rende compte que Johnny Halliday occupait une place à part dans la variété et dans l’imaginaire collectif. On a parlé de « monument » et l’hommage rendu le prouve.

 

Pourtant, nombre d’entre nous n’aimaient pas Johnny et ce qu’il représentait, à savoir le « show-business » dans ce qu’il avait de plus détestable. « Avait » parce que, les excès des producteurs – appelés « imprésarios » au début des années Johnny – ont été largement dépassés depuis. On ne connaît plus les colonel Parker et les Carrère d’aujourd’hui. Plus discrets, ils sont aussi plus professionnels et plus intransigeants. D’aucuns diront qu’ils sont plus rapaces et plus cupides aussi. Johnny Halliday apparaissait aussi dans les émissions qu’il était de bon goût de mépriser. Ses amis, étaient « les gens du show-business » comme le chantait son copain Michel Sardou. Bref, tout un monde artificiel si étranger à nous autres, enfants du peuple qui avions appris les beaux textes sur les bancs de l’école et qui avions des exigences. C’était pas facile pour nous autres, avec nos pulls à cols roulés, de fréquenter des camarades qui arboraient des badges de Johnny et ne pensaient qu’à s’acheter une moto pour faire comme lui quand notre argent de poche passait dans les bouquins et les disques des chanteurs à texte.

Johnny (Alain Raynaud)

Pourtant, à l’occasion, il nous arrivait, en secret, d’aimer une chanson de Johnny parce que la musique nous entraînait, parce que c’était une adaptation d’un standard, parce que, sur le moment, il exprimait ce que nous ressentions. Malgré tout ce qui différencie les humains, nous avons tous un tronc commun, un cœur commun avec ses faiblesses et ses souffrances. Dans ces cas-là, les chansons populaire résonnent et accompagnent notre voix du dedans. Nous avons dit précédemment que Johnny réunissait quatre génération ; ce qui est du jamais vu. Et encore, si l’on parlait de tranches d’âges, on verrait encore plus de différence. Ceux qui l’ont connu quand il chantait le fameux « Que je t’aime » ne sont déjà pas les mêmes que ceux qui ont suivi ses débuts et ses premières frasques dans l’émission Salut les copains. Ceux qui achetaient le magazine n’étaient déjà plus les mêmes que les auditeurs. Ils prenaient le train en marche. En grandissant, les uns et les autres ont pu être sensibles à certaines périodes de Johnny Halliday, correspondant aux changements de paroliers. Pour ceux qui se moquaient de « Moi, ma gueule », il était de bon ton de faire savoir qu’on aimait les chanson signées Michel Berger ou Jean-Jacques Goldmann. Johnny Halliday était conscient que nombre de ses chansons ne valaient pas grand-chose et il proposait toujours aux autres de lui écrire des chansons. Tout le monde lui en a écrit avec plus ou moins de bonheur. Un gars comme Bernard Lavilliers lui a écrit une chanson ; surement pas la plus connue. Il se justifiait en disant qu’il reconnaissait la violence de Johnny. Cette violence était aussi la marque de fabrique de Johnny Halliday, comme s’il fallait toujours se battre, comme s’il voulait rappeler à chacun qu’il faut se battre à tout moment et pour tout : se battre pour aimer, se battre pour préserver son amour, se battre pour gagner sa vie, se battre pour garder ses amis, se battre pour vivre à peu près dignement. Justement, ces chansons où il donnait sa voix puissante étaient celles qu’on préférait même si on ne l’avouait pas toujours.

https://www.youtube.com/watch?v=wUlnyk8btq0&list=RDwUlnyk8btq0&t=53

http://www.ina.fr/video/I05349168

Nous avons dit que Michel Delpech avait écrit la bande originale de tous ceux qui sont nés ou qui étaient jeunes dans les années 60. Je suis fan de vous

Il faut ajouter aussi Johnny Halliday ou Michel Polnareff et d’autres encore que la disparition permettra de citer. C’est quand on traverse un moment difficile qu’on est attentif aux paroles des chansons qui passent et l’on se rend compte que ce qu’on vit, d’autres l’ont vécu aussi et que « non, Jeff, t’es pas tout seul ». Ça n’améliore pas forcément la situation qu’on vit mais ça aide à la supporter et ça donne un peu d’énergie. La vie quotidienne, ce sont pas forcément des grands combats planétaires tels que ceux qui nous rassemblent autour de belles chansons à textes interprétés par des chanteurs un peu à l’écart pour avoir refusé le « show-business ». Dans les affrontements quotidiens, ce sont ces petites chansons et l’énergie d’un Johnny Halliday qui nous donnait du cœur à l’ouvrage. Et même la terrible « Que je t’aime », avec ses formules choc, ses métaphores crues, résonne en tous ceux d’entre nous qui ont eu la chance, au moins une fois, de serrer un corps contre soi. C’est pas par hasard si, depuis l’annonce de la mort du chanteur, c’est la vidéo la plus regardée. Et y a plusieurs versions ! Y a celle de Bercy ! Oui, mais moi, je préfère celle minimaliste d’origine. Et celle de Camille, tu connais ? Là, on retombe dans le snobisme. Il est de bon ton de dire qu’on préfère celle que Camille a enregistré récemment comme il l’était quand un chanteur africain avait enregistré le slow « Et si tu n’existais pas » de Jo Dassin. C’est malheureux à dire mais il faut parfois un autre interprète pour qu’on se rende compte que même des chansons d’amour peuvent être agréables à entendre et à fredonner. Mouna Aguigui, que j’ai souvent écouté à Beaubourg (car je ne le connaissais pas quand il hantait le Quartier Latin) et partout où nos pas nous ont réunis autour de causes qui nous touchaient, fustigeait souvent Johnny Halliday. Pour lui et nombre d’entre nous, c’était le parangon de ce que nous détestions le plus. « Et Johnny Halliday qui répète vingt fois : Je t’aime, je t’aime, je t’aime , des fois qu’on n’ait pas compris ! ». C’était vrai. Il nous agaçait et maintenant, nous avons été tristes d’apprendre sa mort alors que la veille encore on se moquait des communiqués sur sa santé. Ici même, nous avons dénoncé l’importance donnée à ses ennuis

Johnny : ah que ça suffit !

Nous avons accepté d’entendre en boucle, sur toutes les radios, les chansons de l’idole tombée. Nous les écoutions, pour une fois, et nous nous sommes surpris à penser que ses chansons n’étaient pas aussi stupides que nous le disions un peu trop facilement. Sur le nombre, nous avons découvert aussi des petits bijoux, ces deuxièmes faces de 45 tours ou de 33 tours… Ce ne sont certes pas les plus connues mais justement, ça nous donne raison de dénoncer le show-business qui imposait de la soupe plutôt que les belles chansons. Ce qu’on a reproché aussi à Johnny Halliday, c’était d’accompagner docilement l’industrie du disque et tous ces produits dérivés, tout le folklore rocker et motard. Il a étalé ses démêlés sentimentaux avec Sylvie puis avec les autres. Il a été tout jeune chanteur, puis militaire (récupéré par le Sirpa), puis hippy, blouson noir révolté et chrétien engagé, quand il faisait son cirque ; dans tous les sens du terme. Il a fallu qu’il tourne avec Godard pour qu’on le prenne un peu au sérieux. Dans les années 1990, Le Monde lui consacrait deux pages et le journaliste Jean-Luc Hees son émission Synergies. On découvrait un type qui disait pas autant de conneries qu’on pouvait le croire. D’ailleurs, on peut penser qu’il souffrait de cette image : « J’aime pas qu’on me prenne pour un con » disait-il sans colère et sans forcer la voix. Un Pascal Sevran dira (peut-être à son propos) qu’on ne demande pas à un maçon de savoir faire du pain et que, par conséquent, on ne doit pas demander à un chanteur son avis sur la politique et sur l’air du temps. Parlant de France-Inter, depuis l’annonce de sa mort, les chroniqueurs ont exprimé leur agacement en constatant que Johnny était absent de la programmation depuis longtemps. Pourtant, les uns et les autres n’ont eu de cesse de se moquer de lui chaque fois que possible et ils sont des défenseurs de la chanson de qualité mais à ce point, ça en devient ridicule. Le mépris pour le peuple est une tendance lourde depuis une trentaine d’années (notamment à gauche) et la variété en pâtit. Il faut qu’il soit mort pour qu’on se dise qu’il était pas si con que ça et pour qu’on reconnaisse que le public ne se trompe pas aussi longtemps.

Johnny vu par François Morel

Dès le surlendemain (bouclage des journaux oblige), toute la presse consacrait sa une à la mort du rocker. Oublié, déjà, le grand et pétulant Jean d’Ormesson. Et ça a duré : mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche avec Le Journal du Dimanche et la semaine prochaine avec l’inévitable Paris-Match, repris autrefois par Daniel Filipacchi, celui qui a bâtit son empire de presse à partir de Salut les Copains et de la popularité de Johnny et Sylvie qu’il a contribué à faire connaître.

Libération qui, depuis les années Mitterrand donne le ton du discours dominant, a consacré, comme les autres son édition. Dans le passé, Libération avait consacré toutes ses pages à Hergé quand le dessinateur, belge lui aussi, est mort. Hergé critiqué, vilipendé par nombre de lecteurs de Libération a obtenu cette reconnaissance. Non, ses dizaines de millions de lecteurs de par le monde ne sont pas d’affreux racistes comme le suggèrent quelques pages du stupide « Tintin au Congo ». Tintin véhicule des valeurs d’ouverture au monde, de défense des faibles, de fidélité en amitié. Non, les millions de personnes éplorées par la mort de Johnny ne sont des imbéciles, défenseurs du capitalisme, qui s’abrutissent en écoutant des chansons ineptes. Nous venons de dire que la plupart de ses chansons s’écoutent avec émotion et plaisir. On oubliera vite les autres même s’il s’en trouvera toujours qui, sans avoir lu Tintin et sans avoir écouté Johnny, affirmeront qu’ils sont l’expression du fascisme le plus abject.

Finalement, Johnny Halliday, c’est un peu l’image de la France et de cette exception française. Car enfin, voilà un type, parfaitement inconnu ailleurs qui connaît une notoriété jamais vue pour personne d’autre. Voilà un type qui réunit sur son cortège funèbre plus de monde que Victor Hugo (pour le coup mondialement connu) et presque autant que lors de la victoire de la France à la Coupe du Monde. Voilà un type qui réunit toutes les classes d’âge, toutes les classes sociales. Toutes les personnalités font savoir qu’elles ont un souvenir avec la vedette défunte. La petite salle de spectacle de l’ancienne ville cheminote de Migennes, dans l’Yonne, aime rappeler que Johnny Halliday y a signé son premier contrat professionnel quand ça n’était qu’une salle de bal ; qui a accueilli les plus grands dont Jacques Brel. Il doit s’en trouver d’autres, en France, à revendiquer l’honneur posthume.

https://www.francetvinfo.fr/culture/johnny-hallyday/recit-mais-qu-est-ce-que-c-est-que-ce-mec-le-soir-ou-johnny-a-lance-sa-carriere-dans-un-cabaret-de-lyonne_2503349.html#xtor=EREC-38-[NL%20Event%20info]-20171209-[Une]

Personnellement, je possède un vieux bouquin sur le rock, le jerk, le madison et… le twist, sorti dans les années 1960, et qui indique que Johnny s’est produit pour la première fois, sur la scène du cinéma le Marcadet-Palace à l’entre-acte. Il est vrai que ce cinéma – un des premiers démolis dans les années 1970 – avait une notoriété que sa fréquentation populaire évoquée plus tard par Robert Sabatier ne justifiait pas. Johnny Halliday, est un peu à l’image de la France : une particularité, une idiosyncrasie, un esprit de résistance qui veut dire qu’on n’a pas besoin d’aller chercher chez les autres ce qu’on peut faire sur place.

https://www.francetvinfo.fr/culture/johnny-hallyday/recit-22-juin-1963-johnny-enflamme-la-place-de-la-nation-c-a-ete-notre-woodstock-a-nous_2501721.html

 

C’est la France de l’exception culturelle qui a su et pu maintenir (grâce à un État encore fort malgré les coups assénés par l’UE et l’OMC) une industrie cinématographique, une chanson en langue locale. C’est le pays où se trouve l’éditeur qui a le plus de Prix Nobel. C’est le pays qui osait faire le TGV quand partout ailleurs on pensait que l’avion pour les grandes distance et la voiture pour les courtes répondraient aux besoins croissants de transports. C’est le pays des terroirs. C’est le pays où l’on prétend qu’un camembert ne peut pas être fabriqué avec du lait de n’importe quelle vache broutant n’importe où ; quand bien même la vache et le pré sont de bonne qualité. Et puis, pour emboîter le discours dominant, c’est le pays qui a donné sa chance à un fils de clochard belge, abandonné, qui a épousé une fille de réfugiés politiques. C’est encore un pays où ceux qui se sont élevés à la force du poignet oublient les facilités offertes par la France et ses pouvoirs publics quand ils réussissent et qu’ils doivent payer des impôts pour en aider d’autres, à leur tour. Pays complexe, pays arrogant, pays généreux qui le sait un peu trop, parfois.

Johnny s'en va t-en Suisse

Nous avons vu les photos de Johnny Halliday, depuis le blondinet souriant des débuts jusqu’au vieux qui essaie de rester beau malgré les rides, les poches sous les yeux et les cheveux teints, entouré de ses vieux copains. Pathétique ! On aura passé sur les tenues de rocker, le collier en dents de requin, la période culturiste, la barbe préfigurant les hipsters. Finalement, il y a une certaine continuité. Du jeune et mince Johnny à la vieille canaille qui n’a pas pu s’arrêter à temps, Johnny Halliday, c’est le visage de la France. La France des années 1960 à qui tout réussit jusqu’à la France vieillissante, nostalgique de son passé prestigieux dans le monde globalisé et uniformisé.

 

On en fait un peu trop sur Johnny ? Et alors ? On a bien le droit à un excès de temps en temps !

 

 

On peut aussi lire les dernières lignes écrites par Jean d’Ormesson :

 

"Une beauté pour toujours. Tout passe. Tout finit. Tout disparaît. Et moi qui m'imaginais devoir vivre pour toujours, qu'est-ce que je deviens ? Il n'est pas impossible... Mais que je sois passé sur et dans ce monde où vous avez vécu est une vérité et une beauté pour toujours et la mort elle-même ne peut rien contre moi."

 

https://culturebox.francetvinfo.fr/jean-d-ormesson-1/les-dernieres-lignes-ecrites-par-jean-d-ormesson-decouvertes-sur-son-bureau-266637#xtor=EREC-15-[Quotidienne]-20171208-[actu]

http://www.20minutes.fr/culture/2183959-20171208-imaginais-devoir-vivre-toujours-dernieres-lignes-jean-ormesson#xtor=EPR-182-[welcomemedia]--[article_culture]--

http://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/bernard-lavillers-inquiet-pour-ses-amis-jacques-higelin-et-johnny-hallyday-qui-ne-vont-pas-tres-bien_409654

 

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J
Pas fan de Johnny, encore moins cocardier ni attaché à "l'exception culturelle". Mais votre article est remarquable.
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