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la lanterne de diogène
2 février 2018

La défense en 2018 : le rêve et la réalité.

Deux émissions sur Inter ont retenu notre attention le mois dernier. Elles traitent de la Défense. Ce sujet n’est pas forcément celui qu’on aime le plus mais les impôts que nous payons passent en bonne partie là-dedans et il est normal de s’intéresser à ce que devient notre argent.

https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-20-janvier-2018

https://www.franceinter.fr/emissions/interactiv/interactiv-20-janvier-2018

https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-27-janvier-2018

 

Le reportage nous apprend que l’armée française est toujours aussi mal équipée. Les parades sur les Champs-Élysées ne sauraient nous tromper. Tous ceux qui ont effectué le service militaire savent que la réalité est bien différente mais que l’armée est surtout préoccupée de la façade, d’amuser la galerie d’officiels qui ne manquent pas de venir voir ce qui se passe. Il y a toujours une parade quelconque, une prise d’armes, une mobilisation qui justifie qu’on astique les véhicules, qu’on les repeigne, qu’on sorte les treillis dits « en satin » pour la frime. Le reste du temps, il faut faire avec des véhicules qui s’usent sur le terrain, qui tombent en panne (forcément), des treillis pas à la bonne taille ou rapiécés, sans bouton etc. Les tenues de sortie sont encore pire. Ça a dû changer avec la professionnalisation sur ce point-là mais nous verrons que pas forcément.

Dans le cadre du service militaire, ça ne portait pas à conséquence. Il fallait ça pour occuper la troupe pendant un an. En opération, c’est tout de même effrayant d’entendre que le militaire doive s’acheter lui-même des tenues de rechange, des tenues adaptées au théâtre d’opérations où il est envoyé, des brodequins adaptés et à la bonne pointure. On apprend dans le reportage que les treillis sont faits pour une guerre en Europe centrale ; autrement dit le seul endroit où il n’y aura pas de guerre impliquant la France. Pour l’Afrique, le Moyen-Orient, il faut trouver soi-même la tenue adéquate. À quoi servent nos impôts ? Si l’on accepte (même de mauvais gré) la logique de guerre, autant qu’elle soit courte et donc menée efficacement. Visiblement, ça n’est le cas que parce que le personnel y met du sien et paie de sa personne. Le général de Villiers lui-même confirme que les gilets pare-balle datent d’il y a vingt ans et donc les personnels doivent s’en trouver des neufs, et réellement pare-balle, à leurs frais. C’est tout de même aberrant !

 

Le général rapporte aussi qu’il a vu des mecs travailler toute la journée sur des véhicules par une température de 2°. Très bien. Seulement, tous ceux qui ont connu l’armée savent que c’est le quotidien, qu’on passe son temps dans des hangars glacials, sur du métal froid, à entretenir des moteurs, à les réparer, à poncer des carrosseries, à souder. Il y a parfois un méchant poêle dans un coin où l’on se retrouve quand on peut plus faire autrement puis, de plus en plus souvent, jusqu’à ce que le chef d’atelier ordonne, navré, d’y retourner parce qu’il faut que ça soit fini pour tel délai. Il y a une autre variante consistant à brûler tout ce qu’on trouve (chiffons, bouts de bois, pneus etc.) et l’on se réunit autour des flammes oranges et de la fumée infecte en rigolant.

Le général l’ignorait-il avant cette récente visite ? N’a-t-il pas été lieutenant et donc au contact direct des ateliers et des hommes qui y travaillent ? N’a-t-il pas été commandant d’unité (capitaine) et entendu toutes les récriminations des sous-officiers et des chefs de sections ? N’a-t-il pas été dans les bureaux comme officier supérieur avant de commander un régiment et de mesurer l’ampleur des problèmes terre-à-terre qui se posent à longueur d’année ? Au mieux a-t-il été résigné. Au pire, il a accepté la situation, mettant en œuvre des stratégies visant à ne pas se faire remarquer pour monter en grade. Dans les bureaux, ignorait-il que la dotation, pour être renouvelée doit être intégralement dépensée ? Ça occasionne, notamment, les moteurs qui tournent à vide au mois de décembre pour épuiser les réserves et demander la même quantité voire plus. Ignorait-il ces pratiques ? Quand il était à la division, ne savait-il pas que certains ordres pour aménager le terrain d’entraînement ne sont pas suivis d’effets et que, en fin de journée, une fois les travaux accomplis, souvent dans des conditions difficiles, tout est arrêté ? On a bossé pour rien ! On s’est crevé pour rien ! Voilà ce que disent les sous-officiers entre eux pendant que les cadres de la division cherchent de nouvelles idées de ce genre pour le lendemain. Quand il faut vraiment faire quelque chose, les moyens ne sont plus là, gaspillés en pure perte dans les casernes et les bureaux. Ça n’est pourtant pas nouveau. Il semble même que c’est inhérent à l’armée française.

Demander des moyens pour défendre les intérêts de la France semble une bonne chose mais il faudrait d’abord mettre de l’ordre, en finir, au moins partiellement avec la gabegie dont le système « louvois » n’est qu’un avatar. Le grand public se désintéresse des questions de défense, considérant sans doute que c’est le problème des militaires mais ignorant que les militaires ne font qu’obéir aux ordres des civils, c’est à dire de nous-mêmes. Ce désintérêt est la meilleure garantie pour que perdure le système avec ses absurdités, sa gabegie, ses parades. Même dans le personnel politique, il se trouve peu de militants qui s’intéressent au sujet et encore moins qui le maitrisent.

Ce qui a retenu notre attention, dans l’entrevue avec l’ancien chef d’état-major des armées françaises, c’est lorsqu’il a parlé de « ces jeunes de 14 ans qui s’interrogeaient pour savoir s’il n’allaient pas servir les armées ». Parlons-en !

Dans les collèges, les conseillères d’orientation (« psychologues » ne manquent-elles pas d’ajouter) proposent les métiers des armées au même titre que les autres. En tant que femmes et féministes, comme toutes les femmes instruites, elles mettent un point d’honneur à inciter les filles à embrasser les carrières militaires. Ainsi, dans l’opinion publique, compte-tenu qu’on n’a pas vu de guerre sur le territoire français depuis près de trois-quarts de siècle, que le recours au contingent pour les opérations en Algérie remonte à un demi-siècle, les métiers de l’armée se sont banalisés. L’antimilitarisme a disparu avec les derniers souvenirs des appelés d’Algérie. En somme, ça ou autre chose, en période de chômage de masse… Tout se passe comme si les seules contraintes militaires consistaient à porter un uniforme, à avoir les cheveux courts pour les hommes et maintenus pour les femmes et, éventuellement, à porter une arme sur soi. Vu comme ça, en effet, il n’y a pas d’obstacle majeur. Sauf que les armes tuent. En 2008, à Carcassonne, au cours d’une démonstration publique, des adultes et des enfants du public ont été touchés par des balles réelles.

https://www.ladepeche.fr/faits-divers/carcassonne-drame-a-la-caserne/

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/06/30/9767452.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/09/08/10510067.html

armée (numérique)

L’armée a toujours su se mettre avant, en participant autrefois au Salon de l’Enfance, en exposant ses véhicules de pointe et en permettant aux enfants de s’asseoir aux commandes, en réalisant un exercice devant le public ébahi. Bien sûr, les armes ne sont pas factices comme au cinéma et un accident est vite arrivé. Peu importe, on oublie. Les « jeunes de 14 ans » cités par le général de Villiers, ignorent tout de ce drame de 2008. Ils ignorent aussi que, la même année, sur le terrain cette fois, des militaires aguerris ont été pris pour cible par des combattant talibans (ou assimilés).

https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-27-janvier-2016

Les familles des militaires morts n’ont que leurs yeux pour pleurer. Elles ne savaient pas que leurs jeunes pouvaient trouver la mort sur un terrain de guerre. Pour elles, il s’agissait juste de porter un treillis, un fusil et de surveiller. On ne peut pas en demander plus à des jeunes de 20 ans. Mais ce sont toujours des jeunes de 20 ans, parfois moins, qui sont envoyés au combat et à la mort. En 1914, c’étaient bien des tout jeunes qui sont partis à l’abattoir ou qui ont vécu des mois avec des vêtements mouillés sur le corps dans les tranchées. Les tranchées françaises étaient boueuses, à même la terre au contraire des tranchées allemandes protégées par des planches. Toujours la même logique du manque de moyens résumés par la formule : « ils sont là pour en chier ! ».

Ces familles, dont on comprend la douleur, s’offusquent qu’on envoie à la mort des jeunes. On ne les avait pas prévenues. C’est sans doute vrai, d’ailleurs. L’armée ne parle jamais de la réalité sur le terrain : ni des hangars glacials, ni des tâches répétitives, et encore moins des combats, à armes réelles, contre des ennemis dissemblables en tout. L’armée – et leurs relais dans l’Éducation nationale – ne parle que des appareils qu’on va confier aux jeunes, des dernières technologies, des entraînements sportifs, des pays où l’on va opérer avec des armées étrangères, des territoires d’outre-mer. Quand le Sirpa montre un militaire armé, c’est avec des gants blancs, pour la parade. Rien de bien méchant. Le reste du temps, ce ne sont que corps bronzés, lunettes de soleil, maillots de corps léopard ou bien travail studieux devant un écran. Parfois, quelques garçons (et filles!) qui courent l’arme à la main. On se doute, puisqu’il y a des caméras partout, que c’est du cinéma. On montre aussi les canons qui tirent des missiles ; en l’air. On évite de suggérer que la cible, en vrai, ce sont d’autres hommes qu’il faut éliminer si l’on ne veut pas qu’ils vous éliminent. Là, ça devient compliqué. Il faut réfléchir et comprendre qu’on risque d’y laisser la peau avant même qu’elle ne bronze.

 

Le général de Villiers, qui a passé 8 minutes à expliquer, encore une fois, qu’il a démissionné pour protester contre le manque de moyens, se répand sur le public qui se presse pour acheter son livre et obtenir une dédicace. Il y voit « la France dans sa diversité », « ces jeunes de 14 ans », donc. Il insiste sur ces mères de familles et voit « un signe d’espérance dans ce succès ». Que va-t-il dire à ces mères lorsqu’elles récupéreront leurs enfants dans un cercueil en bout de piste d’aéroport pour que les autres voyageurs ne sachent pas et que le frange de l’opinion publique qui désapprouve les interventions française dans le monde ne soient pas interpellés ? Est-ce que le chef d’état-major se déplace lui-même dans ces cas-là ? S’il le fait, va-t-il leur parler « d’espérance » ?

Certains évoquent la police et l’armée comme un mal nécessaire. La plupart se résignent. Seulement, il ne faut pas jouer avec la sensibilité de « ces jeunes de 14 ans ». Il ne faut pas leur faire miroiter monts et merveilles. L’essentiel du travail militaire, c’est la guerre et c’est tuer l’autre pour éviter de se faire tuer. Ça n’est pas juste la sécurité de l’emploi. Ça n’est pas un engagement de 15 ans avec la certitude de trouver de l’embauche après. Ça n’est pas juste porter l’uniforme et une arme. Dans les effectifs, peu d’individus auront accès aux métiers mirobolants que le Sirpa sait mettre en avant et auront la certitude de ne pas aller au combat. Même si la France est en paix, l’armée continue d’accomplir des missions périlleuses et ça veut dire que ses personnels risquent leur vie. Alors, on peut faire le beau sur les plateaux de télévision, on peut insister sur le lien entre la nation, « dans sa diversité », et son armée, on peut se faire mousser en entrant en conflit avec le chef de l’État (qui est aussi le chef des armée) car on aime bien celui qui s’oppose au pouvoir. Il ne faut jamais oublier que la mort fait partie du métier de militaire et que ceux qui incitent les jeunes à rejoindre l’armée ont une lourde responsabilité. Soyons rassurés cependant, ça ne les empêche pas de dormir.

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Commentaires
A
Excellent article, comme d'habitude. A connotation anti-militariste. Mais il est dommage que ne soit pas évoquée la stratégie de "défense" de la France. Seule l'arme nucléaire ! L'armée classique étant destinée aux projections extérieures. Voire pire...
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