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la lanterne de diogène
1 juin 2018

Mamoudou Gassama : le temps du mépris

Eh bien, si l’on s’attendait à ça !

Il n’a pas fallu 36 heures pour que l’exploit de celui qu’on a surnommé spontanément (mais pas longtemps) « l’homme araignée » se trouve au cœur de polémiques.

On a d’abord applaudi le geste aussi spectaculaire que salutaire de ce jeune Malien qui, n’écoutant que son courage et son âme généreuse a entrepris de se hisser, de balcon en balcon, jusqu’au quatrième étage d’un immeuble où un petit garçon imprudent était suspendu. Passées l’émotion et la joie de voir que le sauveur a pu aller jusqu’au bout sans tomber lui-même et que le petit garçon n’a pas sauté dans le vide, on s’est enquis de savoir qui il était. Très vite, on a mis en avant sa situation précaire et illégale pour amplifier – si nécessaire – un geste qui l’a exposé avec les risques administratifs qui en découlaient.

 

D’habitude, quand on apprend que quelqu’un a sauvé une personne de la noyade, d’un incendie ou de n’importe quel sinistre, on admire. L’Internet voit circuler des centaines de vidéos qui montrent ce genre d’exploit. Il faut avoir l’esprit bien tordu, comme beaucoup l’ont dans ce pays, pour couper les cheveux en quatre et adresser des reproches au sauveteur ou au Président de la République. D’habitude encore, le sauveteur reçoit une gratification quelconque : médaille, décoration. Dans le cas de M. Gassama, une médaille lui aurait été de peu d’utilité et l’on devrait se réjouir de voir que nombre de ses ennuis sont finis. Voici quelques années, un jeune-homme d’un pays des Balkans avait obtenu une distinction genre « meilleur ouvrier de France ». Ce jeune était aussi en situation irrégulière bien qu’achevant une brillante scolarité en France. On avait posé la question à un ministre de savoir s’il allait être régularisé. Il avait répondu que son dossier serait ré-examiné alors qu’un tel titre aurait dû lui valoir la nationalité d’office. En effet, il est prévu que l’obtention de la nationalité soit accordée dans l’intérêt du pays. C’est ce qui se passe notamment pour les sportifs de haut niveau. On comprendrait mal que celui qui sauve une vie humaine soit moins bien traité qu’un sportif. Le jeune Mamoudou va obtenir la nationalité française et va aussi intégrer les pompiers de Paris par la petite porte. Quand on sait à quel point il est difficile d’intégrer ce corps d’élite, reconnu au niveau mondial, on aurait mal compris qu’il y rentre d’office, même avec le grade de simple sapeur. Fort bien. On aurait encore plus mal compris qu’il retourne à la précarité.

Pourtant, on a l’impression, deux jours plus tard, que de nombreuses voix le regrettent. Outre des humoristes (dont Daniel Morin sur Inter) qui en ont fait un super héros appelé, désormais, pour sauver les situations les plus improbables, voici qu’on proteste contre l’État français qui récompenserait les immigrés (clandestins ou pas) sous condition. Le site parodique belge Nordpresse annonce que 2 000 sans-papiers ont été renvoyés pour n’avoir sauvé personne d’un péril. Tant que c’est de l’humour, ça passe mais quand ça se veut sérieux, on ressent un immense malaise, d’autant qu’on a entendu des choses comme « il a sauvé un enfant français », « aurait-il été récompensé si l’enfant n’avait pas été français ? », « faut-il sauver un Français pour être régularisé ? ». Encore une fois, chaque fois qu’il y a un sauvetage périlleux, le sauveteur est récompensé sans que ça fasse polémique. Le diplôme reçu par M. Gassama n’a pas été inventé pour lui. Il n’est que le dernier récipiendaire.

mamoudou-gassama 3

Le mercredi suivant, M. Trapenard commence son émission sur Inter par un billet d’humeur consacré au geste de M. Gassama et à la relative récompense qu’il a reçu du plus haut personnage de l’État. Il le conclut par ces termes : «Tu parles d’un idéal républicain, le mérite ! J’ai un doute là, soudain ». La République, dès l’origine, a mis en place des dispositifs d’aides aux plus démunis pour que ce ne soient pas toujours les mêmes qui héritent et dirigent. Faut-il rappeler qu’un Pagnol, qu’un Camus, ont pu étudier après avoir bûché et réussi le concours des bourses ! Las, la notion de mérite républicain est battue en brèche depuis le début de la crise (voici plus de 40 ans maintenant) qui a vu les possédants reprendre leurs prérogatives et une certaine gauche prônant un égalitarisme artificiel. Curieusement, les deux se rejoignent puisque ce sont toujours les mêmes qui parviennent. Les enfants de bonnes familles se co-optent pour conserver les postes de direction, les enfants de la classe moyenne supérieure, parce qu’ils connaissent les codes sociaux, occupent les postes d’encadrement et la direction des administrations et des grandes associations. Les autres ont le choix entre la précarité et l’économie souterraine. Dans un tel environnement, celui qui se détache est mal vu et on lui fera payer, tôt ou tard, d’avoir voulu s’extraire.

D’autres commentaires se veulent « racisés » et reprochent à M. Gassama d’avoir sauvé un petit Blanc, français, autrement dit un membre du peuple qui, autrefois, a colonisé celui de M. Gassama. Or, sur certaines version de la vidéo, il est indiqué que ça se passe dans le 18e arrondissement de Paris qui est connu pour être, depuis très longtemps, cosmopolite et bien avant la vague d’immigration des années qui ont suivi la décolonisation. Avec le temps et le regroupement familial, la population d’origine immigrée a augmenté. Si Barbès et la Goutte d’Or sont connus, si Château-Rouge est désormais le centre des commerces africains, on oublie le proche secteur autour du marché de L’Olive parce qu’il ne fait pas parler de lui. C’est là que s’est produit ce qui aurait pu être un drame. M. Gassama était lui-même attablé à la terrasse d’un établissement où il suivait un match de football. Les gens qu’on entend sont des riverains, des personnes issues de cette France multiculturelle qu’on aime. D’en-bas, ils ne se sont pas demandés si le petit garçon était un petit Blanc, bien Français. Ils n’ont vu qu’un petit garçon en danger. M. Gassama a pensé qu’avec sa force et son agilité, il pouvait, peut-être, faire quelque chose ; et il l’a fait. Ces gens, issus de l’immigration, mènent souvent des existences difficiles (du moins ceux qui habitent ce quartier) et ne se paient pas le luxe de raisonnements compliqués ou « racisés ». Ils voient quelqu’un en danger et tâchent de le sauver sans autre considération.

Comme on pouvait s’y attendre, après les commentaires « racisés » (euphémisme pour ne pas dire que ceux qui le pratiquent sont racistes) reprochant à un Noir d’avoir sauvé un petit Blanc, on entend des thèses complotistes venues de l’autre camp. Pour certains, le geste de M. Gassama est banal et ne mérite pas qu’on s’y attarde. Après tout, un peu de gymnastique ne fait pas de mal, n’est-ce pas. Pire : certains avancent qu’il s’agit là d’une habile mise en scène. Et l’on retrouve les habituels spécialistes de l’image qui décortiquent seconde par seconde et trouvent, qui une ombre, qui une main, qui un personnage qui change etc. On est en plein délire collectif.

Où l’on voit que, désormais, non seulement la vérité n’est qu’une opinion parmi d’autres mais que la vérité importe peu. Elle n’est que le point de départ et ceux qui en parlent la transforment en exploit, en supercherie, en habile montage, en mise en scène.

 

Répondons à ceux qui d’habitude s’opposent mais qui, souvent, se rejoignent quand l’objectif est atteint. Si M. Mamoudou Gassama avait agi uniquement pour en tirer le bénéfice de voir sa situation administrative régularisée, il n’avait pas besoin de prendre de tels risques. Il lui suffisait, comme les autres, d’attendre et d’avoir un peu de chance. Seulement, dans notre beau pays de France, on n’aime pas ceux qui se détachent du peloton. Depuis une trentaine d’années, tout est nivelé, uniformisé. Les études secondaires fabriquent des « moyens » qui, avec plus ou moins la moyenne, décrochent le bac à 80 %. L’ancienne ministre avait supprimé les classes européennes qui attiraient, toutes origines sociales confondues, les élèves les plus motivés et dégageaient une élite républicaine finalement rattrapée par la horde des moyens. Son prédécesseur avait supprimé certaines bourses au mérite. Le blue-jean est porté par toutes les générations. L’industrie agro-alimentaire impose des standards et les médias, encore très récemment, se chargent de ringardiser la cuisine et les produits de terroirs. Le menu de la jeune génération se résume le plus souvent au kébab le midi et à la pizza le soir. La culture, malgré les moyens considérable de notre époque est aussi standardisée. Il suffit de comparer les programmes des MJC d’un département à l’autre, de voir les galeries d’art, les programmes de cinéma. Le Gouvernement agit dans le même sens en diminuant ou supprimant les subventions. Tout concourt à l’uniformisation, le nivellement, la médiocrité (au sens propre). Quand, au moins deux générations sont conditionnées, jusque dans leurs assiettes (assiettes qui ne sont même plus nécessaires d’ailleurs) par l’uniformisation, on est réceptif au nivellement et au rejet de ce qui est lié à l’effort et au mérite

 

Dans ce contexte, apparaît une nouvelle déclinaison du conflit entre l’inné et l’acquis. L’inné, ce sont les habitants de ce quartier du 18e qui sont effrayés à l’idée qu’un enfant risque de tomber du 4e étage et de se tuer sous leurs yeux, sans pouvoir rien faire. L’inné, ce sont les encouragements quand un jeune tente et réussit à escalader en se hissant de balcon en balcon. C’est l’explosion de joie quand il chope le petit et le sauve. L’inné, c’est encore la demande que cet homme ne soit pas seulement félicité mais qu’on lui apporte un peu de ce qui lui manque et qu’on devine immense.

L’acquis, ce sont tous les commentaires qui ont suivi. Selon ce qu’on a acquis, on va minimiser le geste sauveteur, on va le reprocher, on va le suspecter. Le problème, c’est que dans une civilisation, l’acquis l’emporte sur l’inné. D’ici peu, M. Gassama va se trouver au ban de la société, rejeté par tous. Sans doute que, dans quelques mois, on le retrouvera dans un reportage où il expliquera qu’il a dû changer de vie, changer de quartier, peut-être même changer de nom pour avoir la paix et continuer de vivre. À l’heure d’écrire ces lignes, il doit être abasourdi par le tintamarre autour d’un geste spontané, poussé par le cœur. Rappelons que « courage » vient de « cœur » (« Rodrigue, as-tu du cœur ? »). Rappelons ce que nous disions à chaud : en Afrique, on ne se pose pas de question quand il s’agit d’aider quelqu’un en grand danger. On agit et l’on a souvent pour seule récompense que le sentiment d’avoir fait le bien et la mémoire de son exploit entretenu par la puissante tradition orale.

Puisque dans notre beau pays, on aime principalement les victimes, qu’on en fabrique au besoin, remarquons qu’après avoir échappé quelques heures à cette situation de victime, il y retourne. Il est victime du conflit entre deux systèmes de valeurs : le sien, hérité de l’Afrique où le danger est partout et celui de l’Europe qui peut se payer le luxe d’intellectualiser tout et d’oublier les valeurs humanistes qui l’ont fondée. On verra si les « start-up », les « premiers de cordée », les nouvelles technologies, les applications sur smartphones, les terres rares pourront sauver un enfant suspendu dans le vide ou en train de se noyer.

 

 

http://pointdakar.com/actualite/macron-annonce-mamoudou-gassama-va-etre-naturalise-francais-integrer-pompiers/

 

http://icecreamconvos.com/spider-man-of-paris-mamoudou-gassama-climbs-building-saves-child/

 

https://www.lalsace.fr/actualite/2018/05/29/mamoudou-gassama-migrant-et-heros

 

http://nordpresse.be/2000-migrants-reconduits-a-frontiere-quil-navaient-sauve-personne-pendant-week-end/

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