Le boulot est de l'autre côté de la rue
D’abord, je l’aurais pris au mot et je lui aurais demandé de m’accompagner dans une rue, sans mettre en avant sa fonction de Président de la République. À ce sujet, observons que, depuis le Président Sarkozy, nous avons affaire à des personnages qui se croient tout permis du haut de leur escalier élyséen. D’où ces écarts de langage ou ces frasques pantalonnesques.
Ceci dit, ça ne serait encore pas trop grave si un grande partie de l’opinion publique ne tenait le même langage de bistrot. Voici un florilège de ce qu’on entend :
« Du boulot, y en a quand on veut vraiment »
« Du boulot, moi je t’en trouve mais ça te plaira pas forcément »
« Y a qu’a aller vider les poubelles (sous-entendu : mais c’est trop dur et trop salissant alors tu veux pas mais viens pas te plaindre !) »
« T’as qu’à faire la plonge »
« Partout, les patrons cherchent du monde », « Les patrons se plaignent qu’ils ne trouvent personne »
« Moi aussi, j’ai été au chômage mais j’ai rebondi parce que je me suis battu »
Ce qui réjouit malgré tout, c’est que cette phrase lancée à la cantonade, pour « parler vrai », n’a pas fini de coller à la peau du Président de la République. Après seulement 24 h, la toile était envahie de photos détournées. Nous en publions quelques unes.
Aujourd’hui, il y a des diplômes pour tout, même pour vendre des fleurs ou des pommes de terre, même pour servir dans un bar, même pour faire le ménage. Devant la pléthore de candidats à chaque petite-annonce passée, l’employeur va déjà éliminer ceux qui n’ont pas d’expérience puis ceux qui n’ont pas le diplôme qu’il faut. Il suffit pas de se présenter en disant : je crois que je peux faire l’affaire, mettez-moi à l’essai aujourd’hui et vous verrez en fin de journée. Ça a existé mais ça n’est plus le cas sauf, peut-être, chez des artisans en TPE.
Donc, le Président de la République se trompe et, probablement, parce qu’il n’entend que les jérémiades des patrons qui justifient de ne pas jouer le jeu de la reprise et de l’embauche en mettant en avant qu’ils ne trouvent pas de personnel ; certains ajoutent « qualifié ».
Ensuite, il se contredit. Il insinue que les diplômes ne servent à rien et que pour travailler dans le bâtiment, l’hôtellerie, la restauration, il suffit de se présenter à l’embauche et l’on va commencer sur le champ. Le problème, c’est que si l’on agit ainsi, ça justifie que les employeurs se plaignent d de ne pas trouver de personnel « qualifié ».
Dans l’opinion publique, il y a aussi une question qu’on entend souvent quand on doit avouer qu’on est au chômage : « Vous cherchez dans quoi ? ».
Il y a deux aspects dans la question. D’abord, celui qui la pose espère que l’interlocuteur ne va pas répondre qu’il cherche dans son secteur à lui. Ainsi, il peut facilement poursuivre en disant qu’il ne peut rien pour le demandeur d’emploi. Ouf ! Ensuite, c’est méconnaître la recherche d’emploi. Le demandeur d’emploi consulte les offres et les petite-annonces et regarde si quelque chose lui convient, en fonction de ses compétences. À partir de là, il peut postuler mais s’il cherche dans un secteur précis ou même élargi, il y a peu de chances qu’il trouve grand-chose ; sauf justement quand un poste se trouve vaquant ou, plus rarement, si l’entreprise cherche à augmenter son activité. Dans les deux cas, il est reproché au chômeur sa démarche : s’il se concentre sur son domaine, on lui dira qu’il faut élargir la recherche mais s’il l’élargit, on lui dira qu’il s’éparpille et que ça fait mauvais effet. Être privé d’emploi est un parcours où l’on est culpabilisé à chaque étape.
Enfin, l’opinion publique de gauche rejoint ces propos de comptoirs mais, en y ajoutant un aspect moral ou, plutôt moralisateur. On est de gauche, n’est-ce pas ? Celui qui ne trouve pas de travail est moqué puisque, du travail, il y en a pour ceux qui ont le courage de se retrousser les manches. Jusque là c’est pareil mais on ajoute que les étrangers, eux, acceptent ces boulots, même mal payés, même épuisants, même salissants. Ça n’empêche pas les mêmes de se solidariser avec les étrangers qui trouvent encore plus difficilement du travail du fait de leur situation.
En fait, tout le monde connaît des personnes qui ne sont pas à leur place pour n’avoir pas la formation, l’expérience, le diplôme correspondant au travail effectué. Éliminons les recommandations. Simplement – et pour reprendre le vocabulaire à la mode – le boulot revient à ceux qui savent se vendre. Nous connaissons tous des médiocres qui décrochent des bons boulots, bien payés alors qu’ils n’ont pas le minimum de compétences. Seulement, au moment de l’embauche, soit par aplomb, soit par inconscience, ils ont su se mettre en avant et faire croire qu’ils sauraient faire ce qu’on leur demande. Inversement, celui qui aura les diplômes, il faudra le payer en conséquence. Les patrons se plaignent de ne pas trouver de gens formés mais quand ils en trouvent, ça leur fait craindre pour leur portefeuille. S’ils ont l’expérience, l’employeur aura peur qu’il en sache plus que lui ou bien ses collègues craindront de se faire supplanter par le nouveau venu. Quand les places sont à ce point comptées et sans commune mesure avec le nombre de candidats, ce sont les moins scrupuleux et ceux qui ont le plus d’assurance qui les prennent. C’est sans doute ce qu’a fait M. Macron toute sa vie.
Le chômage de masse prospère sur ces toutes ces contradictions qui s’expriment, souvent, dans le même propos. En fait, ceux qui, pour diverses raisons, ne connaissent pas la privation d’emploi, généralement les plus âgés, n’ont pas compris, pour avoir travaillé toute leur vie, parfois très tôt, que les temps ont changé puisque, eux, n’ont pas changé souvent d’emploi ou d’employeur. Les plus défavorisés d’entre eux participent à l’habituel conflit de génération : « les jeunes d’aujourd’hui... ». Les nantis adaptent juste leur mépris de classe.
S’ajoutent encore les euphémismes obligatoires qui nomment « plans de sauvegarde de l’emploi », les licenciements collectifs, à la satisfaction des concernés. Avec un tel environnement, les personnes privées d’emploi ne sont pas sorties de la galère.
En fait, le fond du problème, c’est que la pénurie est organisée par les employeurs afin de baisser le coût du travail. S’ils voulaient vraiment embaucher, ils proposeraient des meilleurs conditions de travail et un meilleur salaire mais, dans les grandes entreprises, une grande part du produit est absorbé par des dividendes à deux chiffres à verser aux actionnaires. Depuis une vingtaine d’années s’ajoutent encore deux autres facteurs : d’une part les machines et l’intelligence artificielle accomplissent de plus en plus de tâches. Le travail ne disparaîtra jamais complètement mais il va se faire plus rare. Contrairement à ce que prétend l’article, il faudra peu de personnel pour faire fonctionner tout ça. Jean-Jacques Servan-Schreiber, en 1980, prédisait que la révolution informatique ne détruirait pas d’emplois et que, au contraire, on allait en manquer. L’autre, c’est, bien sûr, le facteur démographique. La population croit à une vitesse jamais observée alors même que les besoins de main d’œuvre décroissent. Il faut considérer que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le travail ne va plus assurer l’essentiel des ressources.
https://www.latribune.fr/economie/france/du-mal-a-trouver-un-emploi-macron-conseille-l-hotellerie-restauration-790617.html#xtor=EPR-2-[l-actu-du-jour]-20180917
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1229174-la-restauration-peine-a-recruter-normal-humilie-exploite-vis-ma-vie-de-serveur.html
L’enfer du miracle allemand https://www.monde-diplomatique.fr/2017/09/CYRAN/57833