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la lanterne de diogène
8 novembre 2018

Francis LAI dabadabada

Tout a déjà été dit sur Francis Lay et sa carrière et c’est justice. Profitons-en pour rappeler que les musiques de film ont pris le relais des grandes pièces de musiques telles que les symphonies et les opéras. Grandes étant compris comme désignant la dimension de la pièce et non sa qualité. Les bandes originales de films forment une catégorie comparable à celles mentionnées et qui ont précédé dans l’histoire de la musique. On y trouve les prologues, les introductions, les musiques accompagnant les scènes ainsi que, parfois, des morceaux chantés qui deviendront, peut-être, des chansons populaires. Dans cette discipline, Francis Lay a excellé.

 

Faisons une digression pour rappeler le destin de la chanson du film de Lellouch, « Un homme, une femme ». Tout le monde vous affirmera, avec un ton enjoué : Ah oui, « chabadabada » ! Quelle méprise. Les onomatopées du leitmotiv sont bien « dabadabada » (simple déclinaison de lalala) mais on vous jurera que non et, si l’interlocuteur bat en retraite pour avoir la paix, il gardera sa conviction et vous jugera inculte et, surtout, persistant dans l’erreur. Il en est ainsi de tous les clichés. Pourtant, « chabadabada » est emblématique de tous ces personnages que nous croisons et qui vous balancent toutes les idées reçues, non sans avoir, au préalable, précisé qu’ils étaient mauvais à l’école et toujours assis dans le fond de la classe à côté du radiateur. Quelle blague ! Comme si les personnes encore en vie aujourd’hui n’avaient pas connu le chauffage central dans les écoles même dans les villages les plus reculés. Ceux qui ont connu les préfabriqués se souviennent de l’affreux poêle à mazout situé non pas au fond mais bien devant pour être accessible au professeur et inaccessible à l’élève farceur ou maladroit. Mais bon, comme tout le monde le prétend, pour se mettre en avant, ils reprendront le cliché tout en s’ingéniant à montrer qu’ils ont rattrapé leurs lacunes scolaires en étalant une culture faite de stéréotypes en guise de preuves. D’où le « chabadabada » censé faire croire qu’ils ont vu et revu le film mais que, lassés, ils ne veulent plus en parler. C’est bien commode aussi. Au besoin, ils citeront les interprètes de la chanson : Nicole Croisille et Pierre Barouh. Sauf que, deuxième erreur, Pierre Barouh y interprète la « Samba Saravah » composée par Baden Powell. Toujours dans le cinéma, on vous affirmera que « T’as de beaux yeux » est une réplique de « Quai des Brumes » quand le titre est « Le quai des brumes », ce qui n’est pas grave mais pas tout à fait pareil. Autre cliché qui permet de faire croire qu’on a lu le livre : « A nous deux Paris » qui illustre, selon ces cuistres, l’arrivisme des provinciaux montés à la capitale. Or, cette phrase prononcée après l’enterrement du père Goriot prélude au désir de Rastignac de venger le vieil homme victime de l’ingratitude de ses filles. C’est pas tout à fait pareil. Continuons dans les clichés les plus courants avec Big Brother, qui écrase l’œuvre d’un George Orwell dénonçant l’appauvrissement du langage afin de réduire les possibilités de penser. Ça va bien au-delà de la vidéosurveillance. Toujours dans « 1984 », la novlangue désigne, aujourd’hui, les euphémismes et autres termes technocratiques qui dissimulent la pauvreté des politiques. La novlangue, ou « néo-parler » dans la nouvelle traduction, n’est que le nom de ce système de réduction du vocabulaire qui supprime, notamment les antonymes et les synonymes par un système de préfixes.

On passera sur l’abus des termes « autiste » et « schizophrène » pour désigner des personnalités politiques ambigües ou bornées mais ça relève de la même démarche visant à étaler des connaissances (approximatives en fait) pour bien montrer son droit à s’exprimer sur les sujets les plus sérieux et les plus complexes. Nous avons déjà, dans le passé, dénoncé les clichés en littérature autour des œuvres de Rabelais ou de Pagnol. Pourtant, tout comme nous avions démontré que la brève de comptoir est plus efficace que la meilleure argumentation, le cliché persiste et renforce le prestige de son locuteur et, même la preuve de sa compétence approximative voire de son ignorance ne servira à rien. Quand l’erreur est à ce point commune, elle vaut vérité absolue.

 

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On nous a dit, à propos de Francis Lay, qu’il est aussi l’auteur de l’indicatif du « Cinéma de minuit ». En fait, tout comme Gérard Calvi (autre compositeur de musiques de films et de chansons comiques) a réalisé l’habillage sonore de France Info à sa création, Francis Lay a réalisé celle de FR 3 à son lancement en janvier 1975. La chaîne des régions et du cinéma, disposant de peu de moyens, a fait le minimum en déclinant le même logo pour la plupart de ses émissions (ouverture, journaux télévisés national et régionaux, Thalassa, Cinéma de minuit etc.) et le même indicatif musical avec des variantes. Depuis, au gré des changements de direction, l’habillage de la chaîne a changé plusieurs fois mais Patrick Brion a conservé l’indicatif intimiste de Francis Lay. C’est le moins qu’on puisse faire pour une émission consacrée au cinéma.

Si ça n’a déjà été fait, proposons un cycle Francis Lay pour « Le cinéma de minuit » : il le mérite bien.

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Commentaires
L
Sur Francis Lai, son œuvre, encore une fois, ne saurait se limiter à une chanson dont on ne retient que les paroles sans sens. Il fait partie des grands compositeurs de musiques de films que je considère à l’égal des symphonies ou, au moins, des opéras d’autrefois.<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a quelques années, se tenait à Auxerre, le Festival International Musique & Cinéma.<br /> <br /> Chaque année, il était présidé par un grand acteur et se terminait par un concert où étaient jouées des morceaux des musiques de films d’un grand compositeur auquel le festival rendait hommage. <br /> <br /> <br /> <br /> Parmi les acteurs, je citerai de mémoire Francis Huster, Richard Bohringer, Robert Hossein. <br /> <br /> <br /> <br /> Et pour les compositeurs : Eric Serra, Michel Legrand, Francis Lai, Ennio Morricone, Vladimir Cosma, le dernier ayant été John Barry. La plupart venaient diriger eux-mêmes le modeste orchestre qui interprétait les pièces. Je considère tous ces musiciens à égalité tant ils sont grands. J’en ajoute un que je place tout au-dessus et loin au-dessus : Nino Rota. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Sur ce festival, il faut juste déplorer sa disparition. Comment l’expliquer, d’ailleurs, avec de telles affiches tous les ans et, parfois, une avant-première mondiale ?<br /> <br /> D’abord, il y a eu, de toute évidence une lacune dans la communication. Comment un festival de cette qualité pouvait-il, à ce point, passer inaperçu ? Le relais était France-Bleu quand il aurait fallu un média national ou spécialisé dans le cinéma. <br /> <br /> Ensuite, l’initiative en revenait au Conseil Général, à droite à l’époque. Par conséquent, les électeurs de gauche, plutôt plus cultivés, dénigraient l’initiative et les électeurs de droite s’en fichaient et pensaient que l’argent devrait être mieux employé. Toujours est-il qu’il n’y a eu que huit éditions (la dernière en 2008) et que les recherches sur Internet sont vaines. Le site officiel est piraté et l’article sur Wikipédia est archi-faux.
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L
Je souscris et approuve sans réserve.<br /> <br /> Seulement, force est de constater qu’on a surtout parlé de « chabadabada » et je m’insurge quand on réduit l’œuvre de toute une vie à l’anecdotique et au superficiel.<br /> <br /> <br /> <br /> J’ai cité Francis Lai mais aussi Orwell réduit à Big Brother, Balzac à « A nous deux, Paris », repris en clin d’œil dans le prochain Lucky Luke. Autrefois, j’avais dénoncé Pagnol, ridiculisé avec sa partie de cartes quand se joue autour du Bar de la Marine un drame entre deux jeunes êtres humains. Surtout, j’avais déploré que Rabelais soit toujours ramené à ses gros mots quand il a écrit des centaines de pages qui ont marqué la philosophie humaniste. Aujourd’hui, quand on évoque l’art et la peinture, les musées, on nous sort aussitôt « L’origine du monde », comme si la peinture française tenait dans ce tableau oublié pendant plus d’un siècle et ressorti par hasard. Dernièrement, on a encore fait tout un plat en prétendant avoir identifié le modèle. Il faut croire que des millions de gens n’en dormaient pas.<br /> <br /> <br /> <br /> Je crains que, maintenant, toute l’œuvre de Camus (défendu ici dans de nombreux articles) ne passe à la trappe depuis la publication de sa correspondance avec Maria Casares. Oublié l’homme révolté contre l’absurdité de la vie. Oublié l’homme qui, sous le soleil de Tipasa clamait son désir d’exulter. Oublié le Résistant. Oublié l’enfant pauvre recevant le Prix Nobel grâce à la bienveillance d’un modeste instituteur à l’heure où l’Education Nationale ne veut surtout pas renouer avec l’école des maitres sévères mais consciencieux. <br /> <br /> <br /> <br /> Bref, tous ces arbres faciles cachent habilement des forêts d’accès plus complexes. En d’autres termes, tout ce qui a du sens, tout ce qui fait réfléchir est mis à l’écart pour ne retenir que l’anecdote, la plaisanterie qui fait passer le morceau. Sans avoir lu la correspondance de Camus, nombreux seront (sont déjà) ceux qui loueront le style, l’aspect inconnu de l’auteur de La Peste, de l’Etranger, de l’Homme révolté, des Justes. Sans avoir lu, tous les cuistres pourront admirer la qualité des sentiments des deux correspondants. Tout comme, aujourd’hui, n’importe qui peut prétendre avoir lu Orwell en balançant Big Brother et la novlangue. Les mêmes jureront que Coluche a dit : « Il y en a qui sont plus égaux que d’autres ». Pas grave, il n’y a plus assez d’érudits pour rectifier et, quand bien même, ils passeraient pour des rabat-joies.
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J
Qu'importent le "dabada", le "chabada"... ce refrain ne saurait à lui seul résumer la richesse et la diversité de l'oeuvre de Francis Lai. Le film est sorti il y a plus d'un demi-siècle et les souvenirs vont s'estompant, passé l'âge de qui a connu les préfabs' scolaires, avec ou sans poèle à mazout. <br /> <br /> <br /> <br /> Francis Lai c'était "A bicyclette" chanté par Montand sur des paroles de Pierre Barouh, chanson au pouvoir d'évocation comparable, je trouve, à "Il est cinq heures, Paris s'éveille", du tandem Dutronc-Lanzmann. De ces chansons qui sont comme des petits films, qu'on ne se lasse jamais de réécouter. <br /> <br /> <br /> <br /> Francis Lai c'était aussi "From Denver to L.A.", chanson du film "The Games" tourné en 1970 par Michael Winner, où l'on découvrait la voix d'Elton John et... Charles Aznavour dans le rôle d'un athlète ( https://www.lequipe.fr/Sport-et-style/People/Actualites/Quand-charles-aznavour-incarnait-un-marathonien-dans-le-film-the-games/946167 ). <br /> <br /> Francis Lai c'était cette mélodie de "Vivre pour vivre" qui aux oreilles d'aujourd'hui sonne délicieusement easy-listening vintage, dans le goût d'"Un homme et une femme" ( https://www.youtube.com/watch?v=C8Gjrnw27Tk ). <br /> <br /> On n'oubliera pas le thème de Love Story, décliné par tous les arrangeurs de l'époque, y compris en version disco avec la voix d'Andy Williams ( https://www.youtube.com/watch?v=OXSlSLpiVTY ) ; puis "Bilitis", "L'Aventure c'est l'aventure", "Les Misérables", "Le corps de mon ennemi" où Francis Lai surfait avec bonheur sur un style instrumental entre disco et funk, très en vogue au milieu des années 70 (le fameux Philadelphia Sound) jusqu'à des partitions symphoniques qui ne sont pas les plus connues de son répertoire ("Hasard ou Coïncidences", "Emmanuelle II") mais qui le rangent définitivement parmi les très grands compositeurs du siècle dernier. aux côtés des Georges Delerue, Nino Rota, Philippe Sarde, Lalo Schifrin, Maurice Jarre, Bernard Hermann, Vladimir Cosma et bien sûr Michel Legrand, dont les paysages sonores sont assez comparables à ceux du compositeur disparu. <br /> <br /> <br /> <br /> Chez eux, un même talent à composer des thèmes qui, du grand écran, s'échappent vers les lèvres pour se fredonner, se siffloter, se faire inoubliables ; une même ouverture aux territoires d'inspiration des époques qu'ils ont traversées, la "grande musique" étant celle que l'on compose avec talent en intégrant le swing, le groove, ce qui fait la saveur musicale d'une époque donnée, son tempo, même et surtout si c'est sur des bases classiques pas toujours évidentes pour ce qu'on appelle "le grand public". Un grand musicien sait attirer tout un chacun, d'où qu'il vienne, vers les bois, les cuivres et les cordes, les contrepoints et contrechants, sans les artifices de mélodies vulgaires et de gimmicks complaisants. Là-dessus, Francis Lai et Michel Legrand se rejoignent à merveille. <br /> <br /> <br /> <br /> Il y a une relève, il y en aura toujours. Le caractère épique des compositions plus actuelles, une certaine grandiloquence à la Hans Zimmer, à la Craig Armstrong, ont succédé aux thèmes intimistes où Francis Lai excellait, qui du reste collaient à une cinématographie qui n'a plus guère cours. Le cinéma d'auteur où l'oeuvre était tout entière imprégnée de la pensée, de la vision du monde, du mental de son créateur, de sa folie quelquefois. Le mélo. La comédie dite "à la française" qui avait son égale dans la cinématographie italienne d'alors. La grandiloquence épique se prête aux blockbusters. Mais l'histoire du cinéma est faite de marées, de ressacs. Qu'un grand nom surgisse, un compositeur surviendra qui saura traduire dans ses partitions ce que l'auteur aura su mettre en images, collaboration à la semblance de ce que furent librettistes et compositeurs des opéras de jadis. Ainsi de Fellini et Nino Rota, d'Hitchcock et de Bernard Hermann, de Lelouch et Francis Lai.
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