Rugby - commotion
Un garçon de 19 ans est mort des suites d’une commotion cérébrale survenue quelques jours auparavant au cours d’un match ordinaire. Il est le troisième, ou le quatrième (le décompte des morts est toujours indécent pour les proches des défunts) en sept mois, dans les stades français, incluant la trêve estivale. Justement, il jouait au Stade Français, club de la capitale au palmarès prestigieux. Ces jeunes étaient des bons jeunes, comme on dit, puisque adhérents aux valeurs du rugby. Bien sûr, les familles de rugby savent que ces valeurs ne sont pas toujours de mises dans les rencontres où les gnons sont courants ainsi que les coups en dessous dont on ressort en se disant que, la prochaine fois, on ne se laissera pas faire. Il n’empêche que les troisièmes mi-temps du rugby sont proverbiales et, après les coups, on fraternise avec l’adversaire parce que, après tout, ce n’est qu’un jeu. On rejoue « La Grande illusion » de Renoir où les officiers se retrouvent à la fois comme militaires mais aussi en fonction de leurs métiers et de leurs origines sociales. Du reste, les humains cherchent et trouvent toujours les points communs avec l’autre et, après, plus rien n’a d’importance. Au rugby, ça se passe comme quand des militaires, justement, se rencontrent ou des paysans, des artisans, des commerçants, des marins, des religieux, même. Le rugby occupe une place à part dans les sports parce qu’il réunit les adversaires sans autre considération.
Le rugby amateur a régné longtemps sur l’ovalie, du moins pour le XV qui est le jeu qui se pratique le plus en France. Là encore, c’est l’exception car le rugby se joue à XIII dans la plupart des pays et remplit le même rôle que le football autrefois, en aidant à la promotion sociale de jeunes de milieux défavorisés. L’évolution, les contraintes du travail, l’aspect commercial (les sponsors) de plus en plus prégnant en raison des coûts en hausse, de tout (équipement, transports, soins, assurances, ) ont conduit à la professionnalisation inévitable dans une société où tout s’achète et se vend. L’incidence sur la pratique est indéniable. Autrefois, avec le rugby amateur, il y avait un accord tacite, une valeur non écrite qui faisait qu’on ne forçait pas. On savait que le copain d’en-face devait se lever le lundi matin pour aller au taf et faire sa semaine avec les entraînements le soir après le boulot. On peut pas se permettre de sacrifier son gagne-pain et, valeurs du rugby obligent, on faisait attention à l’adversaire aussi. C’est ça qui attirait les garçons et qui faisait que leurs mères les laissaient partir se castagner, rentrer le maillot plein de boue, qu’il allait falloir laver pour la semaine d’après et l’entraînement de la semaine. C’est le seul sport typiquement anglais qui a été adopté par des Français et même au-delà. Tous les autres sports anglais nécessitent une culture, une éducation anglaises. Le magnifique cricket n’a pas pris ailleurs que dans les anciennes colonies. Les Français l’ont adopté et, après avoir quelque peu réfréné leur tendance naturelle à tricher, ont fini par rentrer dans le rang et devenir une des plus grandes nations de rugby au monde. On a parlé de rugby des terroirs et même de « rugby-cassoulet ».
Avec le professionnalisme, depuis 1995, on s’entraîne toute la semaine. Le taf, c’est le rugby. On ne fait que ça. On améliore sa masse musculaire, sa pointe de vitesse, son coup de pied (pour les butteurs) et ça, c’est plutôt bien pour la qualité du jeu. Grâce à la mondialisation, on peut recruter des joueurs pas chers dans l’hémisphère sud, attirés par le cadre de vie français, au point de constituer une part de plus en plus importante des effectifs titulaires, au détriment des joueurs formés par les clubs. Ce sont des joueurs au gabarit inhabituel en Europe. Il pèsent facilement 130 kg et courent comme les athlètes d’autrefois. Lancés à pleine vitesse, ils deviennent des bolides que les arrières, à la fois défenseurs et marqueurs d’essais, sveltes, ne peuvent plus arrêter. Après près d’un quart de siècle de professionnalisation, les chocs sont devenus courants. On a imposé, depuis deux ou trois ans, « le protocole commotion » afin que le joueur qui reste un temps au sol, soit examiné par un médecin avant de reprendre le jeu. Autrefois, un Jean-François Gourdon, étourdi au cours d’un match du Tournoi avait repris sa place en club, la saison d’après, et une sélection encore plus tard. Aujourd’hui, il serait examiné. Cela dit, ça ne résout rien. Ça guérit mais ça n’empêche pas les collisions. Ce qu’il faut, c’est les empêcher. Le « protocole commotion » arrive après les cartons jaunes et rouge (comme au foot), l’exclusion temporaire (comme au hockey sur glace), et les sorties pour saignement. Ça fait beaucoup en quelques années, sans compter les règles visant à sanctionner davantage le jeu dangereux. Seulement, où finit le simple contact, parfois violent, et où commence le jeu dangereux ? Et puis, même si l’auteur d’un geste au cou ou à la tête est sanctionné, le mal est fait et le joueur victime est affaibli. Seul le résultat compte.
On ne regarde pas le rugby pour voir des jeunots se retrouver au tapis et emmenés sur une civière. Ce ne sont pas les jeux du cirque et au cirque contemporain, on n’y va pas non plus pour voir dévorer le dompteur ou tomber l’acrobate. Par conséquent, il faut imposer des règles draconiennes. Il n’y a pas de raison. Au niveau amateur, au niveau des vétérans notamment, on lâche le ballon dès que l’adversaire vous touche. Idem pour les petits, les règles sont adaptés afin que ne demeure que le plaisir du jeu. Ce qui attire les spectateurs au rugby, au-delà de ceux qui baignent dans le milieu, c’est justement tout ce jeu d’esquives, d’évitements, de passes en arrière, de courses à l’essai. Qu’il y ait contact, d’accord, mais pugilat, non !
Le rugby à XIII n’est pas un modèle puisque c’est un des sports où il y a le plus d’accidents malgré des règles qui devraient les éviter, comme le « tenu » qui arrête le jeu avant le placage puis relance le jeu. La mêlée est peu jouée. S’il y a des accidents, on peut en déduire que c’est le professionnalisme qui l’induit. En d’autres termes, l’argent pourrit tout. On tape dure, on cogne, on fonce puisqu’on sait qu’on ne perdra pas son boulot à cause d’une blessure. Néanmoins, on pourrait s’en inspirer. Nous avions également suggéré, la saison dernière, de limiter le poids des joueurs. Bien sûr, les instances du rugby ne vont pas lire cet article et, comme tous les dirigeants, ils sont sûrs d’eux et dominateurs et ne voudront, de toute façon, rien changer. Pourtant, un peu de recherche montre des articles parus dernièrement pour réclamer la même chose. Alors que le rugby cherche, depuis toujours, à se hisser au sommet des sports à succès, à attirer le public, à attirer les sponsors, aujourd’hui, il faudrait se demander pourquoi, depuis le temps, malgré la promotion inespérée de la télévision débutante, le rugby est toujours à la traîne, frappe toujours à la porte de l’Olympie où il vient de rentrer sous une forme édulcorée. En d’autres termes, le public a fait son choix et ce n’est pas celui des collisions et des pugilats que sont les mêlées ouvertes où la seule préoccupation de l’arbitre est de surveiller le ballon : est-il au sol, le joueur plaqué a-t-il gardé le ballon ? On peut s’étriper à côté du ballon, ça n’a pas d’importance. Le public féminin n’est pas friand de ces contacts et encore moins de joueurs de 130 kg et plus. Pourtant, il y a un intérêt du public féminin pour le rugby en raison des valeurs qu’on devine au comportement des joueurs. Par exemple, on ne discute pas les décisions de l’arbitre. Pourtant, s’il est un sport où les règles sont compliquées, c’est bien le rugby où l’interprétation règne. C’est d’ailleurs l’origine de ce qu’on appelle, à tort, les « consultants » de la télévision, pour expliquer l’arbitrage au grand public. Le rugby féminin remporte un succès grandissant un peu partout, justement parce qu’on n’y voit pas ces vilains gestes devenus la règles chez les garçons.
Notre société est hyper violente. C’est banal de le dire. Les événements actuels nous rappellent que la violence physique exercée par le petit peuple n’est que la réponse à la violence sournoise qu’il subit depuis des lustres, depuis qu’on parle de « la crise », c’est à dire plus de 40 ans. On peut parler de banalité de la violence quand on s’habitue à voir des gens vivre et mourir dans la rue, quand on s’habitue aux bas salaires, à la précarité, à l’exploitation, à être mal soigné. On s’habitue à la violence dans les jeux électroniques, les feuilletons. Donc, on peut s’habituer aussi à la violence dans les stades et pas seulement dans les tribunes. Instaurer un protocole commotion peut sembler un mieux puisqu’on veut soigner tout de suite. En fait, ce n’est que la prise en compte de la violence qui s’est imposée dans le rugby. On guérit (pas toujours en l’occurrence) mais on ne prévient pas. Les spectateurs ne paient pas leur place au stade pour voir mourir en différé des petits jeunes. Cette banalité de la violence au rugby va tuer le rugby après avoir tué ses espoirs. Déjà, on enregistre une baisse du nombre de licenciés. Après le rugby-cassoulet, va-t-on avoir le rugby-commotion ?
https://rugbyamateur.fr/reglement-la-fin-des-plaquages-hauts/
https://ledix.skyrock.com/photo.html?id_article=1252292712&id_article_media=-1
https://readwrite.com/2016/04/16/scottish-collision-wearable-rugby-nfl-vw4/
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https://oneappsgroup.com/welsh-rugby-international-elli-norkett-dies-in-crash/