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Il n’arrive quasiment jamais que soit publiée, sur ce blog, une réaction à chaud. Quand on s’inscrit dans une démarche qui subordonne l’émotion à la raison, on ne peut pas se permettre l’immédiateté et la réaction comme un cheval qui entend un bruit. Aujourd’hui, c’est différent puisqu’il s’agit d’un fait qui confirme une tendance journalistique bien ancrée.
Les faits : l’arrestation de Cesare Battisti en Bolivie après une cavale de quelques décennies.
Bien que l’événement soit arrivé un dimanche (le 13 janvier 2019), c’est lundi matin qu’il fait la une de l’actualité à la radio. Nous avons déjà observé que l’équipe de journalistes qui arrive le lundi matin sur Inter pour la matinale ne s’occupe absolument pas du travail de leurs confrères et opèrent comme si l’information venait de tomber. C’est comme ça qu’on a des infos du samedi, voire du vendredi soir qui sont présentées comme l’actualité du jour, un lundi matin sur Inter et probablement ailleurs aussi.
Cette fois, l’info est tombée en fin de soirée, la veille dimanche, mais est jugée par le rédacteur en chef comme devant être le sujet majeur de la matinale. Pourtant, c’est une affaire intérieure italienne dont le déroulement s’étale entre la péninsule et deux pays d’Amérique du sud. Admettons.
Dans les bulletins d’information et journaux antérieurs à 8 heures (entre 6h et 8h donc), il était question d’une cavale de 38 ans. Au cours du grand journal de 8 heures, 38 ans étaient devenus « presque 40 ans ». La formule a été reprise à 9 heures. À 10 heures, il n’était plus question que d’une cavale de 40 ans.
En d’autres termes, en 4 heures de temps, on est passé de 38 à 40 heures.
Ça s’appelle un tour de passe-passe. Quel est le but recherché ?
Il y a, au moins, un précédent remarquable. Au début des guerres de Yougoslavie dans les années 1990, comme le grand public n’est pas fort en géographie, on voulait nous situer Sarajevo « à moins de 2 heures (d’avion) de Paris ». En quelques mois, la distance s’est singulièrement raccourcie. On a parlé quelques temps de ce drame qui se déroulait à « à peine deux heures de Paris », puis à « un peu plus d’une heure de Paris », puis encore à « à peine plus d’une heure de Paris ». Alors que les combats faisaient rage, après un ou deux ans de conflit, Sarajevo n’était plus qu’à « une heure de Paris » et parfois à « moins d’une heure de Paris ».
Bien sûr, il y a un effet dramatique recherché mais est-ce le rôle des journalistes ? Le problème, c’est que, si des journalistes peuvent jongler avec les données chiffrées pour ces faits inhabituels, ils peuvent en faire autant pour les faits habituels comme le taux d’inflation, le chômage, les sondages d’opinion, la température même.
On peut penser que bien peu l’auront relevé mais le mal est fait et l’on sent bien que l’information, même purement factuelle est manipulée et sans nécessité.