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la lanterne de diogène
25 janvier 2019

Les mots de Kamel Daoud

Un texte de l’écrivain algérien Kamel Daoud circule en ce moment. L’auteur reproche aux Français d’employer des grands mots, comme « dictature » pour qualifier la situation trouble dans laquelle la crise dite des gilets-jaunes plonge le pays. Depuis le début (c’est même une des raisons qui ont présidée à la création de La lanterne de Diogène) nous mettons en garde sur les dangers à employer un vocabulaire erroné car ce sont les mots qui structurent la pensée. Faut-il rappeler que la thèse principale de « 1984 » d’Orwell est la limitation du lexique pour réduire les possibilités de formaliser la pensée.

Qu’attendre d’un peuple qui se paie autant de mots que les Français !

Depuis quelques années, les Français refusent de parler de problèmes et n’ont plus que des « problématiques », ils n’ont plus mal à la tête ni même la migraine mais des « céphalées ». Ils confondent la grippe avec un simple rhume. Ils emploient le terme de schizophrénie pour tout ce qui relève de la duplicité ou, pour le dire simplement, du double langage ou même de l’oubli, volontaire ou pas. Idem pour « autisme ». Le moindre reproche est ressenti comme une agression. On peut aussi penser que surqualifier l’attitude de l’autre permet de justifier une surréaction ou de paraître savant pour réclamer une égalité dans la prise de parole.

Il n’y a plus aucune échelle des valeurs et l’on s’est habitué à se payer de mots mais aussi, et paradoxalement, à employer un vocabulaire simpliste, approximatif dans la mesure où dans la plupart des cas, on comprend ce que dit l’interlocuteur. On use et l’on abuse des guillemets et l’on a poussé la pratique jusqu’à mimer avec les deux doigts en crochets la forme des petits guillemets pour annoncer qu’on va employer un mot inapproprié mais en demandant l’indulgence par avance. Ce simplisme de l’expression fait ressortir d’autant plus les mots techniques dont on abuse. Dans ces conditions, des termes tels que « guerre », « dictature », « répression », « décapitation » font partie du champ sémantique courant avec tant d’autres. Le sens de la nuance semble avoir disparu du langage avec la banalisation d’un vocabulaire technique.

C’est une des conséquences de l’éducation de masse qui donne à chacun assez de vocabulaire pour prétendre discuter d’égal à égal avec n’importe quelle autorité mais aussi pour manier des concepts tels que « dictature » pour désigner tout ce qui ne convient pas. Ajouté au caractère français, la moindre interdiction est vécue en France comme une preuve de la marche vers la dictature. Ceux qui ont vécu les années 1981/1983 se souviendront que les mesures prises par le seul gouvernement socialiste qu’on ait eu annonçaient une « soviétisation rampante ». Il n’était pas rare d’entendre dans la rue des propos du genre : « on n’aura bientôt plus le droit de … avec ce qu’ils nous préparent » ou bien « on a encore le droit de s’asseoir ». Bien des années plus tard, on a eu la même chose lorsque M. Sarkozy est devenu Ministre de l’Intérieur. Quand on fréquente les milieux de gauche, on devrait être surpris et choqué d’entendre traiter tous ceux qui ne pensent pas comme nous de « fachos ». Toutes les personnes citées en réunion, qui ne sont pas de notre bord sont systématiquement traitées de « fachos » quel que soit le contexte. Il y a quelques années, on a eu le mouvement des CBistes qui justifiaient leurs investissements en matériel de communication et de détection des radars et autres contrôles policiers sur les routes « pour lutter contre la répression ». Plus de 40 ans après l’obligation de la ceinture de sécurité, il se trouve encore un nombre non négligeable de personnes qui considère ça comme une atteinte inadmissible à la liberté.

Pour avoir vécu depuis trois quart de siècle dans une démocratie et entouré de démocraties, on en a perdu le sens de la mesure. Quand on a connu et fréquenté des réfugiés chiliens, africains, des enfants de réfugiés espagnols dans les années 1970 et 1980, on rejoint forcément Kamel Daoud sur l’essentiel de son propos. Certains étaient nos professeurs ou nos camarades. Ils s’emportaient souvent quand nous traitions quelqu’un comme Chirac de fasciste. Pourtant, certaines de ses formules (« La démocratie est un régime autoritaire ») et des méthodes qu’il préconisait nous y faisaient penser mais, pour eux qui savaient ce qu’était la dictature, ce qu’était de ne jamais savoir s’ils pourraient rentrer chez eux le soir, qui avaient connu des amis torturés pour avoir simplement dit un mot de travers en public ou s’être trouvés dehors lors d’une rafle, ils ne toléraient pas que nous usions de termes aussi forts pour ce que nous n’aimions pas. Ils ne nous permettaient pas de parler à la légère car nous induisions une égalité entre ce que nous observions ici et ce qu’on vivait concrètement là-bas. Nos amis africains éclataient de rire, question de culture. C’est par respect envers ceux qui ont connu le pire que nous devons avoir cette exigence de vocabulaire.

 

dictature - kamel daoud

Donc, des gens comme les gilets-jaunes, qui n’ont jamais participé à une manif de leurs vie, qui, jusqu’à présent ne s’émouvaient pas qu’on tabasse, par exemple, les Nuits debout qui ne faisaient que discuter nuitamment, découvrent que les forces de l’ordre dépassent largement le cadre des missions de maintien de l’ordre. Eux qui se vantent de ne pas aller voter, assimilent à la dictature le refus d’organiser un référendum pour révoquer le Président de la République élu depuis moins de deux ans. On comprend qu’un Kamel Daoud s’insurge quand on parle, ici, de dictature. Idem pour les réfugiés qui vivent en France. Quand les historiens liront les documents de notre époque (qui n’en manquera et nous leur souhaitons bien du plaisir et du courage), ils concluront que notre classe politique est corrompue jusqu’à la moelle. Pourtant, dans toute l’histoire de la Ve République, les cas sont fort peu nombreux et souvent pour peu de chose. À ce stade, il ne s’agit pas de nier qu’il y en ait eu mais de les ramener à leurs proportions. En fait, l’opinion publique a pris pour habitude d’employer le mot fort de « corruption » pour tous les délits et autres scandales où l’argent entre en compte : évasion ou fraude fiscale, abus de biens sociaux, détournement de fonds. Là encore les cas sont peu nombreux eu égard au nombre de ministres et d’élus (parlementaires, élus territoriaux etc.) sur une soixantaine d’années. L’Europe est plutôt préservée par rapport à ce qui se passe sur les autres continents. C’est à croire que le grand public le regrette pour pouvoir détester des figures corrompues pour passer leur colère dessus. C’est à croire qu’on a besoin, partout, de « la minute de la haine » comme dans Orwell. C’est à croire que certains ont besoin de se fabriquer des grands Satan pour avoir le plaisir de s’y opposer et de passer pour quelqu’un de bien.

À l’échelle d’une peuple, c’est un peu ce qui se passe avec des individus qui ont une vie sans histoire et qui font une montagne de la moindre contrariété qu’ils comparent avec les soucis les plus graves dont ils ont entendu parler. Certes, on répliquera que ce n’est pas une raison mais, justement, il faut garder raison et ne pas se complaire à s’imaginer vivre dans la pire et la plus corrompue des dictatures qui soit.

 

Sur les autres termes dénoncés par Kamel Daoud, nous divergeons quelque peu. Ainsi, le terme de « résistance » peut s’appliquer à un champ plus étendu. On peut résister à la maladie, à l’autorité, à des conditions de vie qu’on rejette. Résister au capitalisme, résister à la montée des extrêmes n’est pas choquant. On peut même penser que c’est parce qu’il y a une résistance qu’on ne tombe pas dans la dictature car la tentation est toujours présente. Il suffit de se rappeler que, au début du mouvement des gilets-jaunes, ils appelaient le général de Villiers à la tête de l’État, pour remettre de l’ordre. Concernant les violences policières, elles sont bien répandues dans le monde tant tout ce qui porte uniforme et matraque se ressemble et est tenté, en permanence, d’en faire usage. Nous disions, il y a peu, que les forces de l’ordre françaises n’ont pas de bâton comme au Caire ou à Kinshasa mais des grenades de désencerclement et des lanceurs de balles de défense. La différence tient à la sophistication des objets et à leur coût mais la démarche est la même sous toutes les latitudes. Ceux qui s’engagent sous une dictature savent ce qu’ils seront amenés à faire et ceux qui s’engagent dans nos démocraties cherchent juste la sécurité de l’emploi et, parfois, l’envie de servir ou même de changer les choses. Entre les ordres et le zèle de certains, les policiers/gendarmes se trouvent emportés dans un mouvement qui leur fait commettre ce qui est dénoncé à juste raison. C’est bien la même mentalité policière qui prévaut quand, lors des « Nuits debout », on a vu des policiers ou gendarmes s’acharner à plusieurs sur des manifestants un peu plus lents pour s’enfuir ou, plus récemment, sur ces lycéens qui séchaient les cours pour aller voir ce qui se passaient et qui ont été mis à genoux faute d’avoir pu mettre la main sur les casseurs qui couraient plus vite. En fait, partout, les policiers/gendarmes agissent comme les grands prédateurs qui repèrent la proie la plus faible pour l’attraper plus facilement ; en général celle qui coure le moins vite.

Certains ont pu être choqués quand on a employé le verbe « gazer » lors de l’usage des gaz lacrymogènes. Là encore, les premiers qui ont choisi ce vocable savaient parfaitement ce qu’ils faisaient en employant ce terme qui s’applique à la solution finale promue par les nazis. Ils établissaient une égalité afin de suggérer le caractère criminel de la loi qu’ils combattaient et de l’assimiler, aussi, à une dictature. Néanmoins, en vertu de la règle d’économie en linguistique, c’est à dire la simplification, ce terme s’est imposé sans plus de référence : plus court et plus facile à manier. En revanche, quand Kamel Daoud met dans le même panier le mot « guerre », il convient d’être plus prudent. Depuis toujours, on parle de « guerre » lorsqu’un conflit prend des proportions remarquables. C’est ce qu’on appelle le sens propre et le sens figuré. Quand on parle de « guerre des nerfs », de « guerre de la morue », de guerre dans une famille ou entre familles, de « guerre des plantes » même (il faut lire « La vie sociale des plantes » de Jean-Marie Pelt), de « guerre froide », enfin, on se doute bien qu’il ne s’agit pas de recourir aux armes. C’est là toute la subtilité de la langue et la complexité de la réflexion humaine. Certes, il y a une proximité entre l’exagération et le sens figuré mais entretenir la confusion, n’aide pas à une meilleure compréhension. Dans le même ordre d’idée, la métaphore n’est plus comprise. Chaque fois qu’un locuteur en use, il se voit reprocher d’avoir comparé des gens ou des situations avec des animaux ou des références historiques fortes. D’autant plus que les proverbes ne sont plus transmis depuis longtemps aussi et que les comparaisons sont vécues comme des insultes. Quand l’Union Européenne place, au-dessus de tout, le dogme suprême de « la concurrence libre et non faussée » qui instaure une concurrence entre les pays membres et entre les travailleurs de leurs pays, il semble bien qu’on peut parler de guerre et même d’incitation à la guerre. Certes, on n’y prend pas les armes avec des tenues de combat mais on voit nos chefs d’État orienter la politique de leurs pays comme s’il s’agissait de passer à une économie de guerre.

https://www.entreprise.news/emmanuel-macron-invite-grandes-entreprises-a-versailles-continue-de-mepriser-entreprises-francaises/

Seulement, la notion de « sens figuré » n’est plus enseignée depuis longtemps ou, au mieux, est survolée. Tout passe par l’éducation. C’est une évidence de le dire mais, force est de constater que, l’on ne fait rien une fois énoncée cette tautologie. Comment s’en étonner aussi quand on voit que depuis une quarantaine d’années, tous les ministres de l’Éducation se sont ingéniés ou ont laissé faire la destruction de notre système éducatif qui privilégiait, après l’apprentissage des fondamentaux, l’étude des grands textes qui permettaient de se forger une pensée autonome et un vocabulaire approprié ? Le chroniqueur Philippe Meyer dénonçait souvent, dans les années 1990, les délires du pédagogisme et son vocabulaire incompréhensible et volontairement compliqué. Si ça n’avait tenu qu’à la formulation, on aurait pu s’en tenir à la satire. Le problème, c’est que tous ces délires accompagnaient la mise en pièces de l’efficacité de notre système éducatif, considéré parmi les meilleurs du monde ; ce qu’il n’est plus depuis longtemps.

 

Dans ces conditions, comment s’étonner de la méconnaissance de l’environnement international, de la réalité des souffrances vécues par les trois-quarts des habitants du globe et, pire, du peu d’intérêt porté pour ce qui se passe en dehors de son foyer. Entretenir l’ignorance, niveler les souffrances, les situations individuelles et collectives mène à cette confusion que le vocabulaire et l’expression traduisent. S’ajoutent les nouvelles technologies (plus si nouvelles d’ailleurs) qui laissent une grande place au virtuel. Quand sur un même support, un écran, on voit des images d’actualité et de jeux, il est facile de confondre réalité et virtualité. Cela constitue un tout avec le vocabulaire approximatif, l’abus des guillemets, l’usage de mots compliqués pour le commun et de grands mots pour ce qu’on déteste. Tout ne se vaut pas et tout n’est pas dans tout. Par respect pour ceux d’entre nous qui souffrent, dont la vie est menacée et aussi par respect pour nous-mêmes nous devons avoir cette exigence intellectuelle consistant à ne pas se payer de mots et employer le mot qu’il faut. On ne pourra pas conserver l’estime de soi si nous nous fourvoyons nous-mêmes sur les combats que nous menons et si nous prétendons guerroyer contre des géants quand ce ne sont que des moulins à vent.

 

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Commentaires
L
Ce que les Français appellent « LA guerre du golfe » en oubliant qu’on disait ça de la guerre qui a opposé pendant 10 ans (excusez du peu) l’Irak à l’Iran et qui a fait 1 million de morts, a été évoqué plusieurs fois ici.<br /> <br /> <br /> <br /> Je rentrais de l’étranger à l’époque et j’ai été abasourdi par le flots d’informations où se disputaient l’inutilité et l’incompétence. On a eu droit à un festival de conneries. Les journalistes confondaient les religions, les ethnies, les tribus, les alliances, le matériel militaire en action, la stratégie, les enjeux diplomatiques, économiques, humains, les conséquences etc.<br /> <br /> <br /> <br /> Je me souviens surtout qu’on avait assuré que rien ne serait plus pareil en Arabie saoudite et que tout allait changer. Ils prenaient comme preuve que le sol de la péninsule, décrété sacré par les Saoud, avait été foulé par des armées d’infidèles et que, par conséquent, après avoir fait une telle concession, les Saoud allaient devoir faire des pas significatifs vers le progrès. En effet, l’étau s’est resserré et, par exemple, les femmes n’ont plus eu le droit de conduire ; au grand dam de leurs maris forcés de faire les chauffeurs pour accompagner leurs compagnes dans les magasins et autres lieux que la gent féminine plébiscite. On a dit aussi que le roi de l’époque faisait un belle preuve de reconnaissance en signant des chèques aux armées déployées sur son sol (sacré). En fait, il a simplement payé ceux qu’il considérait comme des mercenaires à son service. <br /> <br /> La plupart des commentateurs veulent à tout prix plaquer les réalités des sphères éloignée dans nos schémas habituels, oubliant qu’ailleurs, on a d’autres logiques qui valent bien les nôtres mais qui sont très différentes. Ça devrait pourtant être simple à comprendre.<br /> <br /> <br /> <br /> Coïncidence, dans le papier consacré ce jour à Henry Chapier, j’aborde la question de la primauté de l’image. Le grand public veut de l’image (même si elle n’apporte rien) et donc du sensationnel. Le reste a peu d’importance « si la photo est belle ».
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J
Kamel Daoud nous met en garde contre certaines dérives du vocabulaire employé par les commentateurs à propos du mouvement des Gilets Jaunes. Il ferait bien aussi de nous inciter à aller chercher l'info ailleurs que dans les distributeurs automatiques mis à notre disposition. <br /> <br /> <br /> <br /> L'hyperbole fait vendre, elle est le matériau premier de l'infotainment. L'hyperbole va résumer une situation, en opérer une synthèse à l'intention de publics supposés n'avoir ni le temps ni le goût ni l'envie de se forger une approche critique de ladite situation. Cette synthèse de l'ordre du briefing sera exposée sur le mode superlatif, pour marquer les esprits et captiver, au sens étymologique, le téléspectateur/auditeur. Il s'agit de vendre, à travers l'info, l'image du media qui dispense l'info, le tunnel de pub qui va précéder l'info et lui succéder avant la savante analyse du commentateur patenté, payé à penser pour nous et à la rigueur, à nous dispenser de penser. <br /> <br /> <br /> <br /> Je vais me faire l'avocat du diable, ami Diogène. Dans le fond, le téléspectateur/auditeur lambda souhaite-t-il être informé ou distrait ? Va t-il vraiment chercher de l'info sur ces chaînes sur lesquelles il va passer des heures, ou goûter à ce divertissement appelé infotainment, qui lui est distillé à coup d'images-choc montées en boucle et de punchlines orientées politiquement (dans le sens de la dogmatique en vigueur), mais aussi vers le sensationnel ? <br /> <br /> <br /> <br /> Il y a quelques années, à l'apparition de RMC-Info, j'étais étonné de voir tant de gens accrochés à longueur de journée à cette radio qui pour eux était devenue LE lieu où l'on sait ce qui se passe, l'neffable Jean-Jacques Bourdin - qui est à RMC-Info/BFMTV ce que la papauté est au Vatican, mais qui à mon sens est au journalisme ce que Bernard Tapie est à la probité - étant décrit par eux comme LE journaliste "à qui on ne la fait pas", "qui pose les bonnes questions". RMC-Info pratiquait le mélange de genres décomplexé - ou si tu préfères, toi qui entends déjouer les outrances langagières, ratissait large -, de Christian Spitz le Doc chéri des ados des années 90 à Bernard Tapie en passant par les sexeries de Brigitte Lahaie et des débats sans fin autour du foot et des footeux. L'info tous azimuts était devenu l'argument à faire vendre tout et n'importe quoi. Phénomène que je n'avais pas observé avec France-Info, qui existait depuis des lustres, excepté lors de la Guerre du Golfe où déjà le sensationnel l'emportait sur les faits, ou ce qui était dit était déformé, tordu, formaté et reformaté comme un son passé dans un échantillonneur aux fins d'être intégré à un mix, non par le journaliste qui s'exprimait au micro mais par l'auditeur qui, dans ce contexte très particulier (la première guerre où nous étions impliqués, depuis la guerre d'Algérie), se plaisait à croire qu'on lui cachait on ne sait quelle vérité. <br /> <br /> <br /> <br /> Car le problème que nous évoquons ici se pose autant, je crois, dans ce qui se passe en face, chez l'auditeur/téléspectateur et dans les conversations qui vont se livrer dans la vie réelle, alimentées par l'info communiquée, ce qui est dit par le journaliste, le commentateur, l'éditorialiste, l'expert, les non-dits supposés, fantasmés, avec en arrière-plan la perte de légitimité de ce que l'on qualifie d'élites, politiciens, media dont on sait qu'ils sont détenus par des tycoons de multinationales proches des pouvoirs, et par conséquent, les journalistes et chroniqueurs qu'ils emploient, les commentateurs devenus des institutions vivantes, qu'on n'entend jamais formuler d'avis critique sur le système en place et les dégâts qu'il a occasionnés depuis qu'il est en place, dégâts nettement plus considérables que quelques vitrines brisées, quelques voitures brûlées, un plâtre plutôt moche emporté dans le hall de l'Arc de Triomphe. <br /> <br /> <br /> <br /> La guerre du Golfe consista en un laboratoire de ce qui deviendrait l'infotainment où l'auditeur/téléspectateur est partie prenante de ce qui se joue sur le plateau télé, le studio de radio. Ce qui était communiqué par les media était un matériau de base à partir de quoi certains fantasmèrent ce qui pouvait être en réalité et qu'on nous aurait éventuellement occulté. Je me souviens de ces types d'un certain âge (l'âge de qui avait connu la guerre d'Algérie) qui, plantés sur les trottoirs de la Promenade des Anglais, équipés de jumelles de marine, scrutaient l'horizon, persuadés d'y voir surgir croiseurs et porte-avions de la marine algérienne, alliée comme il se doit à l'ennemi irakien. <br /> <br /> <br /> <br /> Je pense à l'image, offerte en boucle et devenue virale, du boxeur gitan s'en prenant aux CRS, boxeur ensuite arrêté et mis aux fers, ce qui suscita l'ire du monde gitan, et voilà, images explicites à l'appui, les Gitans en partance pour la capitale, acharnés à vouloir en découdre avec l'Etat et bien décidés à libérer de gré ou de force ce héros de la révolution. Evidemment ils vont embarquer leurs caravanes et établir leur campement dans le bois de Boulogne... <br /> <br /> <br /> <br /> Ou encore l'image de ces Pieds Nickelés, comme les qualifiait Michel Onfray (qui pour une fois faisait montre d'un semblant d'humour), faisant sauter, au moyen d'un élévateur électrique, la porte du palais parisien affecté à Benjamin Griveaux, lequel est exfiltré séance tenante via la courette d'un immeuble voisin (que risquait-il, au vrai, à aller à la rencontre des "révolutionnaires" ? Le gibet ? Le bûcher ? Ou une cordiale invitation à partager une bière en discutant entre hommes ?). <br /> <br /> <br /> <br /> Ce sensationnel ne répond-il pas à une demande que nous formulons tous ? Est-ce qu'on n'a pas, quelque part, envie de voir en l'affaire Benalla un de ces "coups tordus" montés par la CIA tels que l'excellent Norman Mailer en rapportait, selon sa vision romancée (mais sur la base d'une documentation fouillée), dans son pavé "Harlot et son fantôme" ? <br /> <br /> L'info à l'état brut est-elle seulement pensable dans un contexte à la fois marchand (s'allier les faveurs des annonceurs) et de propagande (quelques monômes désordonnés n'empêcheront pas le pouvoir élu de mettre en place les "réformes", patati-patata) destinée d'une part à bien implanter dans l'esprit des gens la vulgate libérale comme étant sans alternative, et d'autre part, à "rassurer les investisseurs" ? <br /> <br /> L'hyperbole n'est-elle pas, en sus, une technique efficace de brouillage des pistes ? De même que trop d'info tue l'info, trop de mots vont dissoudre le dire. <br /> <br /> <br /> <br /> Pour changer des distributeurs automatiques d'infotainment, même si cela demande un effort intellectuel que quelques-uns daigneront consentir (les derniers des Mohicans ?), cet excellent dossier du Monde Diplo consacré au Soulèvement français : <br /> <br /> https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/A/59449
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