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la lanterne de diogène
28 janvier 2019

Henry Chapier

Henry Chapier est connu pour avoir animé « Le Divan » à la télévision et reçu plus de 300 invités.

chapier - NL

C’est pas ces mots qu’on a annoncé la mort de celui qui était avant tout un très grand journaliste. Seulement, comme d’autres, il n’a existé qu’à partir du moment où il a présenté de manière régulière cette émission. Auparavant, il s’était fait connaître, alors que sa carrière entamait sa dernière partie, comme critique de cinéma dans le « Soir 3 ». Henry Chapier fait partie de ces journalistes cultivés et animés par une curiosité qui les amène à diversifier leur champ d’action.

Si nous évoquons Henry Chapier, c’est surtout parce qu’il est lié à l’aventure de la première version du Quotidien de Paris lancé par Philippe Tesson en 1974, avec une grande partie de la rédaction de Combat, le célèbre journal de la Résistance qui venait de couler en silence. Eh oui, Henry Chapier était une des plumes remarquables du prestigieux Combat et ses éditoriaux étaient cités, systématiquement dans la revue de la presse de France-Inter, évoquée à plusieurs reprises sur ce blog. Il était alors un des deux rédacteurs en chef, chargé des pages culturelles qui occupaient presque la moitié du journal. Forcément, il signait des articles dans Les Nouvelles Littéraires qui étaient à l’époque la suite hebdomadaire et culturelle du Quoditien.

Notre époque n’aime qu’elle-même, comme l’a pointé un philosophe contemporain. Oublié Combat, oubliés les grands titres de la presse écrite et leurs plumes prestigieuses. À la fin des années 1990, des sociologues avaient remarqué que l’une des ambitions majeures de la plupart des gens était de passer à la télé d’une manière ou d’une autre. La chose était devenue possible au commun des mortels donc, il le fallait. En revanche, quelqu’un comme Henry Chapier, qui s’est fait connaître par son immense culture, son intérêt pour le cinéma en plein essor, au moment où l’on a commencé à le considérer comme le 7e art, son style journalistique n’a aucune chance de se faire connaître sinon en montrant sa gueule à l’écran. Les qualités personnelles et les compétences professionnelles pèsent peu au regard de la capacité à être reconnu à l’écran. À plusieurs reprises, nous avons déploré que des journalistes d’exception tels qu’Yves Mourousi mais aussi Roger Gicquel, Philippe Gildas n’ont été connus du grand public qu’à partir du moment où ils sont apparu sur le petit écran. Peu importait la carrière qu’ils avaient derrière eux, s’ils avaient occupé un poste directorial, s’ils avaient baroudé, risqué leur vie. Tout ça ne valait rien par rapport à leur façon de retenir l’attention du téléspectateur. Inversement, ceux qui ont disparu de l’écran ont aussi disparu tout court. Qu’on songe à Claude Meydieu, par exemple, qui commentait le rugby avant le retour de Roger Couderc à la télévision, qui n’a pas retrouvé de poste après 1975 et qui a disparu malgré ses qualités professionnelles.

chapier - quotidien 2'

Le pouvoir de l’image est démesuré. Ce n’est pas nouveau et ça ne concerne pas seulement la télévision ni notre époque. Il n’est pas anodin de se rappeler que tous les souverains se sont fait tirer le portrait et, encore avant, étaient représentés sur les pièces de monnaie. Leur nom seul ne suffisait pas. Tous les pouvoirs totalitaires ont attaché une grande importance à leur image et à l’image en général. Au siècle dernier, les grands dictateurs ont porté leur effort sur le cinéma, technique nouvelle et rapidement populaire dont ils pressentaient la force de persuasion. Nous n’en sommes plus là mais l’ultralibéralisme s’assure la collaboration des médias pour convaincre qu’il n’y a pas d’autre système possible et que nous avons la chance d’évoluer dans une mondialisation heureuse. Une évocation récente de Nadar a mis en évidence que la photographie s’est véritablement développée à partir du moment où l’on a pu proposer au grand public des clichés de petite taille sur papier à un prix raisonnable. Les clients se sont alors précipité pour se faire tirer le portrait. Au dernières nouvelles, on en est toujours là : 90 % des tirages concernaient des portraits ou des scènes mettant en valeur des personnes. Bien sûr, aujourd’hui la photographie est numérique mais la mode des selfies montre que la tendance s’est amplifiée du fait que la technique la rend plus facile encore.

Le pouvoir de l’image s’étend à presque tous les domaines de la vie publique. Inutile de rappeler qu’en politique, celui qui passe bien à la télé, l’emporte sur celui qui a un meilleur programme mais qui peine à le développer. D’ailleurs, ce n’est pas ce que les électeurs attendent. Ensuite, il est bon de rappeler ce qu’était l’émission « Apostrophe ». M. Bernard Pivot n’était pas critique littéraire. Il travaillait au prestigieux Figaro littéraire (rien à voir avec le cahier consacré aux livres dans Le Figaro actuel) comme critique gastronomique. Comme il était à l’aise à la télévision, il a pu présenter avec Gilles Lapouge « Ouvrez les guillemets », devenu « Apostrophe » après l’éclatement de l’ORTF et la création d’Antenne 2. Très rapidement, on s’est rendu compte que les livres qui se vendaient le mieux après l’émission étaient ceux écrits par les auteurs qui passaient le mieux à l’écran et non par les livres les mieux écrits ou les plus intéressants. Jean d’Ormesson avec ses yeux bleus rieurs et sa voix devenue reconnaissable entre toutes a véritablement percé à ce moment-là et ce n’est pas parce qu’il écrivait bien ni parce qu’il était directeur du Figaro. Toujours dans cette même émission le livre d’Émilie Carles a fait un tabac parce que tout le monde a été touché par cette vieille dame qui racontait ses malheurs et sa vie de militante. Son visage ridé, sa simplicité ont crevé l’écran. Au point que, après quelques années, l’émission était devenue le lieu où il fallait se montrer absolument. On n’écrivait même plus que pour passer chez Pivot. L’image avant le message.

Au moment de rendre hommage au grand journaliste Henry Chapier, un de ces noms qui font honneur à cette profession décriée en ce moment pour avoir oublié ses fondamentaux et un minimum de conscience, il est bon de faire la part des choses et de se rappeler que, au-delà de ses manières qui ont fait sa célébrité télévisuelle, il était d’abord un grand professionnel qui a travaillé dans les meilleures rédactions de son époque.

 

chapier-godard

 

 

http://www.guygilles.com/documents/interview_chapier.html

 

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Commentaires
J
Je dois avoir avoir découvert Henry Chapier à la fin des années 70 lorsqu'il assurait la couverture de festivals cinématographiques, son souvenir est lié à un cinéma italien qui à l'époque me fascinait, et continue de me fasciner. C'était une voix à l'élocution remarquable, au vocabulaire choisi, indissociable du grand cinéma et des grands festivals, de l'image au sens noble. <br /> <br /> Cette voix en rejoint d'autres, disparues ou se faisant rares, qui n'étaient pas toujours bien timbrées, qui n'étaient pas radiophoniques, que l'on ne prendrait plus la peine d'écouter aujourd'hui, des voix qui parlaient pour dire quelque chose. Celle de Truffaut, celle de Godard, celle de François Chalais. <br /> <br /> <br /> <br /> Brève aparté sur le Quotidien de Paris, Combat, qui n'étaient connus que de rares initiés sous nos latitudes sudistes où ce qui provenait de la capitale était convaincu de parisianisme. Nos aînés, même parmi ceux qui nourrissaient quelques prétentions intellos, cultivaient ce point de vue lapidaire, et la presse parisienne, c'est essentiellement dans la salle d'attente du médecin et du dentiste qu'on pouvait en feuilleter quelques spécimens, la bibliothèque de quartier proposant la lecture de Paris-Match, un abonnement ayant été souscrit sur la demande de quelques lecteurs. En 1974, j'avais les centres d'intérêt superficiels des boutonneux de mon âge. On n'avait pas cours le lundi après-midi, jour où le cinéma était moins cher. Les chorégraphies grotesques de Bruce Lee et ses clones, les films catastrophe, la plastique de rêve de Mireille Darc, les thrillers légers où grosses voitures et jolies filles valsaient dans tous les sens résumaient notre approche du 7ème Art à mes camarades et à moi. Truffaut, Godard, Fellini, De Sica, Wenders, je les découvrirais ensuite. Ainsi que les chroniques d'Henry Chapier. A toute chose son éveil, chaque chose en son temps.
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