Petit débat (2) : grandes conséquences
Comme je n’arrive toujours pas à trouver le temps de mettre en forme l’analyse sur le macronisme, je propose des bribes inspirées par l’actualité
Ainsi peut-on imaginer ce qui a prévalu à l’organisation du Grand-Débat.
Le Président a dû demander à ses têtes pensantes de l’organiser de telle façon que les revendications, propositions et autres doléances des Français aillent dans le sens de sa politique.
Exercice en apparence impossible ou, du moins, difficile dans la mesure où l’on se doute, en entendant les conversations, en participant à des réunions, en écoutant les reportages sur les gilets-jaunes, que les deux sont diamétralement opposées.
Impossible n’est pas français, disait-on autrefois. Rien d’impossible pour un technocrate, rompu à la manipulation des concepts, au détournement du sens habituel des mots, à l’invention de néologismes, à l’emballage attrayant d’une marchandise réchauffée voire avariée.
Qu’à cela ne tienne !
On peut résumer l’ensemble dans questions du questionnaire par ce qui suit.
- N’en avez-vous pas assez de payer autant d’impôts et de taxes ?
On se doute de la réponse : on paie toujours trop cher ce qu’on n’a pas choisi de payer. Un smartphone n’est jamais trop cher un grand écran plat non plus, quitte à ne pas payer son loyer.
- Comme vous êtes bien d’accord avec le fait que vous payez trop d’impôts et taxes et que l’État et les collectivités locales dépensent trop, quel service voulez-vous voir supprimé ou réduit ?
Là, il faut pas se rater. Renoncer à se soigner pas trop loin de chez soi ? Renoncer à la protection ? Transformer un peu plus l’école en vaste garderie proposant des activités pour occuper les enfants pendant que les parents travaillent (ou pas) ? Renoncer à la sécurité extérieure ?
Il y a deux solutions en fait. Soit on est éduqué et conscientisé et l’on comprend que le choix est fermé et qu’en d’autres termes on nous somme de choisir entre risquer d’attraper la peste ou le choléra. Soit on ne l’est pas et alors on ne retient qu’une chose : JE paie trop d’impôt et j’en ai marre ! Enfin quelqu’un qui ME comprend !
Certes, je dis souvent sur ce blog que les mots ont un sens et qu’il y en a assez de ce vocabulaire approximatif légitimé par des « » et même le geste consistant à replier deux doigts à l’oral. Je déplore qu’à la définition d’un mot on préfère le ressenti : « oui mais pour moi, ça veut plutôt dire que... » . On en arrive à un nivellement consensuel mou où tout le monde finit par s’accorder sur le moins disant.
Seulement, que je le déplore ou pas, c’est comme ça et le ressenti de ce questionnaire conduit bien à la poursuite de la baisse des impôts sans voir que ça signifie la fin des services publics qui restent encore.
Le Président Macron fait partie de ceux qui sont persuadés que l’État doit jouer un rôle le plus effacé possible, ne conservant (et encore) que ce qui coûte cher et ne rapporte à personne : Armée, Justice, Police. Et encore puisque les traités commerciaux imposent une justice privée dont les juges sont des avocats d’affaires chargés de juger leurs propres clients qui attaquent les lois nationales quand elles leur sont défavorables. Et encore puisque sur les terrains de guerre, des groupes armés privés ou agissant hors des États s’affrontent. Et encore puisque à la police nationale et à la gendarmerie s’ajoutent des sociétés de gardiennage, des corps de vigiles, des gardes du corps et, bien sûr, les polices municipales, très inégales. Pour le reste, la santé est déjà aux mains des assurances, l’école peut se voir confier à des groupes privés et pas seulement confessionnels, la poste est en concurrence depuis longtemps pour les messageries et la banque.
La privatisation des autoroutes passe mal, dit-on ? Faux ! Malgré l’augmentation des péages dès la première année, les clients appréciaient la distribution de petites bouteilles d’eau (50 cl voire 25 cl) pour patienter sous la chaleur aux péages : « Ah, c’est quand même mieux qu’avant, hein ? Il suffit qu’un expert vienne sur un plateau de TV expliquer avec des mots simples et de raccourcis que l’État n’est pas là pour prélever des péages et que quand il était en charge des autoroutes, elles étaient mal entretenues (ah bon?) pour que le péage des axes principaux soit approuvé. J’ai pris cet exemple parce que je l’ai déjà entendu mais dans le cadre restreint de la radio.
La privatisation d’ADP passe mal ? Qui prend l’avion ? Ceux qui le prennent jamais s’en fichent. Ceux qui le prennent ailleurs qu’à Orly ou à Roissy s’en fichent déjà. Les barrages sont privatisés ?Comme on savait pas qui les gérait avant, on verra pas la différence, sauf le jour où, faute d’entretien, il y aura des fissures mais si l’on n’est pas impacté, y a pas de souci ; comme on dit aujourd'hui. Et puis, ce jour-là, l’État interviendra pour limiter les dégâts.
En fait, M. Macron a très habilement joué. Il a fait castagner des gilets-jaunes pour dissuader la populace de les rejoindre. Il a discrédité durablement les revendications écologistes en renonçant à la hausse des taxes sur les carburants. Le résultat des écolos aux européennes le confirmera ainsi que nous l’annoncions il y a quelque mois. Il a encouragé l’opinion publique à se focaliser sur l’impôt et les taxes afin qu’elle approuve la baisse et la suppression. Ainsi, il peut s’aligner sur les exigences de l’UE sur la fin des services publics.
Juste un mot sur la taxe d’habitation. En la supprimant, on supprime une source de revenus pour les communes et donc des services publics communaux, notamment l’aide sociale et la régie des eaux. C’est que, les dieux de l’ultralibéralisme ont toujours soif et n’en ont jamais assez. Regardons l’Italie qui présente un budget conforme aux critères de convergence avec un déficit prévu inférieur à 3 % du PIB (2,4 % en l’occurrence). Eh bien non, ça ne suffit pas ! Recalé ! Et c’était la première fois que ça arrivait.
L’État a baissé sa voilure depuis plusieurs années déjà mais, forcément, ce qu’il a abandonné a dû être repris par les collectivités locales. Donc, il faut exiger qu’elles fassent aussi des économies et on les poussera s’il le faut. D’abord, on réduisant la dotation versée aux communes : beaucoup se sont regroupées pour maintenir un niveau supportable mais ce n’est encore pas suffisant. En supprimant la taxe d’habitation, on leur coupe leurs possibilités.
Surtout, on se demande pour quoi faire. Ce n’est que pure idéologie.
Je répète souvent que les Français ont des dépenses de l’État l’image du Roi-Soleil donnant des fêtes à Versailles pour son plaisir. Tant que cette vision demeurera ancrée dans l’imaginaire collectif, l’ultralibéralisme aura de beaux jours en France.