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la lanterne de diogène
18 juillet 2019

Paradoxe de la critique des radios

Là, je suis embêté parce que Jérémy pointe surtout les contradictions et les paradoxes de la critique des médias qui occupe une grande part de La Lanterne de Diogène.

D’un côté, la défense d’une radio généraliste de qualité et de l’autre une radio qui se doit, pour survivre, d’attirer le plus grand nombre quitte à y perdre son âme. La publicité de marque s’est introduite sans coup férir. Il n’y a même pas eu beaucoup de protestations dans les premiers temps. Je rappelle juste que le premier message publicitaire de marque (Citroën) diffusé sur Inter a été suivi d’un silence des personnes sur le plateau qui, visiblement, n’en croyaient pas leurs oreilles. Depuis, comme je l’ai fait remarquer, même Mme Devilers a cru bon rappeler que cela ne faisait pas si longtemps qu’il y avait de la publicité de marque sur la radio publique ; sous entendu qu’on était enfin débarrassé des pesanteurs étatiques d’autrefois.

 

Tout part de la formule lancée par Pierre Bouteiller, à sa nomination comme directeur : « Vous pouvez tout vous permettre ». Indépendante des intérêts particuliers, la radio financée par le contribuable n’est pas tenue de ménager les annonceurs et, pour prouver son indépendance, il a fait venir des chroniqueurs pour dézinguer le personnel politique, à commencer par ceux qui étaient au pouvoir. Ce type de chroniqueurs avait aussi en horreur tout ce qui avait du succès. Indépendante pour les uns, de gauche pour les autres, Inter en a fait sa vitrine, sa marque de fabrique plutôt que de proposer des émissions originales que seule l’absence d’interruption publicitaire permet. Jérémy cite « Les Tréteaux de la nuit » qui supposent une demi-heure sans pub.

Bien sûr, il serait injuste de prétendre qu’il n’y en a pas eu. « Et pourtant, elle tourne » en a été l’emblème. Quatre saisons à observer le monde, sans contrainte, mais le nouveau directeur, M. Val décide d’y mettre fin pour se recentrer sur l’actualité culturelle (au sens large) parisienne. Le fait est que l’audience a progressé sous sa direction et, malgré les réserves qu’on peut y apporter, les auditeurs étaient au rendez-vous et approuvaient ; comme ils acceptent la publicité de marque aujourd'hui. Parlant de publicité, observons que les critiques des auditeurs portaient, autrefois, non sur le volume ni même les marques mais sur la qualité des spots. Ils détestaient notamment, les poulets et le duo d’humoristes qui vantait une assurance mutuelle. Depuis, ils ne trouvent rien à redire à la pub pour des marques automobiles étrangères matraquées avant et après le flash d’information.

 

« Vous pouvez tout vous permettre » est devenu la raison d’être et le but de la plupart des producteurs d’Inter. C’est devenu une fin en soi. Au lieu de s’en servir comme d’une garantie d’indépendance, d’un moyen de travailler correctement, on a assisté, pendant des années, à une compétition visant à repousser toujours plus loin les limites. Le sommet a été atteint par les fameux chroniqueurs qui, voyant l’un des leurs parvenir à la direction d’Inter après avoir été chanteur contestataire puis chroniqueur féroce, ont pensé qu’ils tenaient là la chance de leur vie. L’un a pensé qu’en disant et répétant « enc...é », il prendrait du galon plus sûrement encore qu’en critiquant ses semblables. L’autre a commencé sa saison en disant « bite. Ah, j’ai dit "bite" à 7 h 54 sur France-Inter. Que va-t-il se passer ? » Comme il ne s’est rien passé, il a poussé le bouchon plus loin à chaque fois. Même en s’en prenant au plus haut, il ne lui arrivait rien, il a décidé de s’en prendre à son propre directeur (et ancien homologue) et là, consécration suprême, tous ceux qui n’écoutaient jamais Inter se sont saisi de l’affaire pour hurler à la censure sur la radio de l’État, forcément sous contrôle du pouvoir politique sarkoziste à l’époque.

Depuis, les choses se sont calmées. On n’entend plus les deux chroniqueurs nulle part et les producteurs sont revenus à des considérations radiophoniques mais on est loin des émissions citées par Jérémy : l'époque lointaine de "la différence", d'André Francis, des "Tréteaux de la Nuit", du "Grand Parler" d'Henri Gougaud, etc

On peut ajouter « Marche ou rêve », « Question pour un samedi », « Le Téléphone sonne » (qui existe toujours depuis 1977), L’oreille en coin etc. plus près de nous « L’Afrique enchantée » lancée par le regretté directeur Bernard Chereze, devenu l’Afrique en Solo, Bref, toutes les émissions qui ne sont possibles que sur une radio qui peut tout se permettre car elle ne dépend pas de son audience pour subsister. On peut se permettre d’y créer des émissions qu’on n’entend nulle part ailleurs.

Après, bien sûr, c’est question de goût. Le travail de mémoire de la radio que j’effectue depuis des années mentionne assez les émissions qui ont marqué.

Seulement, au lieu de création ou même de « différence », le modèle quasiment unique et uniforme de la station c’est « Aujourd’hui, mon invité est... ». Pas une émission sans « mon invité » ! et, comme le fait remarquer Jérémy, c’est « mon invité » qui essaie de vendre son dernier bouquin ou son dernier disque. C’est « mon invité » vous parle de l’expo que vous ne verrez pas en province ; pardon, « dans les Régions » (ça change tout, n’est-ce pas ?).C’est « mon invité » sait tout et va vous expliquer. C’est « mon invité » n’a rien à dire mais ça me met en valeur. C’est « mon invité » n’est pas intéressant mais moi, j’ai envie de le rencontrer.

C’est « mon invité » vous dit que les autres vous trompent et comment il faut penser. C’est « mon invité » est drôle parce qu’il dit du mal de tout le monde. C’est « mon invité » connaît les restaus où vous n’irez jamais car ils sont trop chers, il connaît les vins les plus chers. C’est « mon invité » ne sait rien mais il parle bien et vous en met plein la vue. C’est « mon invité » a tout échoué mais on n’aime pas les gagnants. C’est « mon invité » est une invitée !C’est « mon invité » revient.

Et c’est comme ça tous les jours, toute la journée et depuis des années. Et comme si ça ne suffisait pas, il y a en plus un ou plusieurs chroniqueurs qui viennent apporter leur grain de sel. Bien entendu, il ne serait point séant que « mon invité » n’approuve pas le chroniqueur. La pensée unique, tu connais.

Alors oui, je suis pour le maintien d’une radio d’État, financée par les citoyens et avec le moins de publicité possible parce que j’aimerais entendre plus d’émissions de création et continuer à « écouter la différence », de la bonne information avec des reportages sans concession et des investigations. Et ça, ce n’est possible que sur une radio publique. D’un autre côté, je râle tout le temps contre ce que j’entends parce que, justement, ça ne correspond pas à ce que j’attends.

 

radiofrance-maison

Je n’ai plus la télévision depuis près de 30 ans et je ne connais pas bien M. Ardisson, pas plus que M. Sébastien, tous deux remerciés après avoir assuré les beaux soirs des chaînes de télévision. À vrai dire, le peu que j’en connais ne me plaît pas plus que ça mais ce sont des professionnels qui mouillent leur chemise, qui ont du monde autour d’eux et qui ont du succès, chacun dans son domaine et sans abêtir. Bien sûr, j’ai entendu que quelques propos douteux, quelques séquences douteuses ont ponctué leurs émissions mais on ne peut pas être bon tout le temps et leur durée plaide pour eux. Pareil pour Jacques Martin que je détestais. On ne peut pas avoir raison contre tout le monde surtout quand il n’y a pas recours à la vulgarité et aux grossièretés. Après, c’est question de goût et il ne faut pas confondre son goût avec la qualité.

 

http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/audiences-radios-france-inter-garde-la-tete-18-07-2019-8119314.php

Comme je ne disposais pas d’article au moment de la publication du bilan de la saison sur les généralistes, j’y reviens un instant. Le plus important me paraît que « RTL l'emporte en durée d'écoute et en part d'audience, selon les audiences publiées ce jeudi matin par Médiamétrie pour la période avril – juin 2019 ». Ça confirme ce que j’écrivais voici des années sur les nouvelles pratiques d’écoute de la radio. RTL touche un public conservateur. Ses auditeurs écoutent à l’ancienne. Ils allument leur poste pour écouter Untel ; souvent « Les grosses têtes ». Sur Inter, de toute évidence, le public maîtrise les nouveaux outils de communication et, la part la plus jeune, ne possède sûrement pas de poste de radio mais écoute à la demande grâce à son application. Sur Inter, on active une alerte pour ne pas manquer l’intervention d’Untel. C’est ce qui avait expliqué, autrefois, le raffut autour des deux fameux chroniqueurs à scandale, sombrés dans l’oubli depuis. Enfin, l’article met en évidence la primauté de la matinale sur toutes les radios citées. Sur RTL, on écoute M. Calvi, sur Europe 1, on n’écoutait pas assez M. Cohen puis M. Aliagas, sur Inter, on écouteM. Demorand et sur France-Info, il semble que la matinale de M. Fauvelle fasse un tabac. Quand on pense qu’il avait été recruté à grand bruit (et sans doute à grand frais) pour diriger le service politique d’Inter où il n’est resté qu’une saison avant de diriger le journal de 8 heures qui est devenu la référence. En d’autres termes, si l’on ajoute au succès de la matinale de M. Demorand sur Inter, celle de M. Fauvelle sur France-Info, celle de M. Erner sur France-Culture, on comprend qu’une majorité d’auditeurs plébiscitent l’information sur les radios financées par l’État. Il y a donc un attachement réel des citoyens aux services publics et la radio n’en est que la preuve visible.

 

 http://technic2radio.fr/visites-guidees-de-la-maison-de-radio-france/ 

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Commentaires
J
En fait, je crois que le concept "écoutez la différence" collait à l'ère révolue du transistor. La formule "Vous pouvez tout vous permettre" est par contre des plus actuelles : c'est celle qui prévaut à la télé où, dans la course à l'Audimat, on va rivaliser de provocations, de scandales, d'exhibitionnisme voire (on avait beaucoup parlé en leur temps des croisements/décroisements des longues jambes d'Audrey Pulvar, jeu des plus innocents comparé aux upskirts calculés des présentatrices italiennes et espagnoles en vue), offrir une tribune à des pamphlétaires de carrière collectionneurs de procès, dont on sait que le public attend leurs interventions qui seront commentées ensuite avec passion dans les media et les réseaux sociaux. On a trouvé ainsi le moyen de faire exister un show en continu via la diffusion d'extraits dans la presse, sur YouTube, Facebook, Tweeter and co. Ce dont leurs producteurs comme les annonceurs ne peuvent que se féliciter. <br /> <br /> <br /> <br /> "Écoutez la différence", c'était pour se distinguer des formats commerciaux en vigueur sur les stations périphériques. Matraquage de tubes, jeux ponctués de séquences de pubs, vedettes de la télé qui assuraient des tranches horaires, promos qui venaient relayer ce qui était diffusé à la télé pour un bouquin, une pièce, un film "grand public" - on était même allé à l'époque de "Dallas", je crois que c'était sur RMC, jusqu'à reprendre des épisodes de la série en version radiophonique, avec les comédiens qui assuraient le doublage des acteurs américains. Le but était, déjà, d'assurer le continuum d'un concept vendeur. On se souvient des atrocités du Top 50, dans les années 80, qui étaient matraquées à longueur de journées sur les radios commerciales nées du courant des radios libres, dont certaines étaient diffusées jusque dans les bus. On ne pouvait échapper à ces tubes pondus au kilomètre à grand renfort de synthés et de de boîtes à rythmes, qui ânonnés qui hoquetés qui susurrés par des "artistes" qui pour la plupart ont sombré à ce jour dans l'oubli - malgré quelques tentatives grotesques de come-back à la faveur de remixes, de vagues apparitions dans les croisières du Troisième Age et les quinzaines de promos de centres commerciaux paumés au fin fond de l'Allier. <br /> <br /> <br /> <br /> La "différence" se tenait dans la création bien sûr, au travers des dramatiques ("Les Tréteaux de la Nuit" de Patrice Galbeau et Jean-Jacques Vierne, occupaient en fait une heure d'antenne juste avant, si mes souvenirs sont exacts, le surréaliste "Inter-Danse" de Jo Dona, dont l'annonce arrachait des fou-rires à Claude Villers), des contes et légendes narrés par l'inestimable Henri Gougaud, des reportages de terrain proposés dans "l'Oreille en coin" et les émissions de Daniel Mermet, mais aussi la mise en avant d'artistes ignorés des stations commerciales, qu'il s'agisse de chanteurs, de musiciens, de dramaturges comme de cinéastes. Lorsqu'on évoquait des thèmes en principe sensationnalistes, comme le paranormal, fort à la mode à la charnière des années 70 et 80, c'était avec un journaliste spécialisé, Jean-Yves Casgha, qui s'était illustré ensuite dans la création d'un festival des Sciences-Frontières. Pas question d'inviter dans son émission les grosses ventes d'ufologues et d'ésotériciens improvisés tels que Jean Markale, Jean-Claude Bourret, Charles Berlitz et Erich Von Daniken. On abordait les thèmes du paranormal sous un angle scientifique. "La différence" c'était le climat très particulier, intimiste, des fins de soirées de José Artur, c'était aussi "Le Masque et la Plume", émission décriée en province pour ses côtés parisiens et le caractère un peu snob de certains de ses intervenants. Deux aspects qui deviendraient la règle cardinale de la ligne éditoriale de France-Culture de la période Laure Adler à nos jours. <br /> <br /> <br /> <br /> C'était au temps où on écoutait la radio à partir d'un transistor, d'un auto-radio, d'un tuner, soit d'un matériel dédié. Où la démarche était d'écouter du son sans image. On était là dans l'héritage des années 50, avant que la télé ne se généralise, et nos générations, nées entre la fin des années 50 et le début des années 80, sont sans doute les dernières à concevoir la radio de cette façon : du son sans image. <br /> <br /> <br /> <br /> Chez les nouvelles générations, nées dans le multimédia, on écoute de la télé sur des matériels conçus pour le multimédia. On veut retrouver à la radio les gens qu'on voit à la télé, repères dûment étiquetés. Nikos Aliagas, c'est celui qui présentait la Starac'. Nagui c'est la star de l'access-prime-time, Yves Calvi c'est celui qui a lancé "C dans l'air", Ruquier c'est Ruquier, Hanouna c'est Hanouna, bref ! On sait ce qu'on achète. Les émissions en direct sont filmées, on peut les voir sur le site de la station, vidéos qu'on partage et commente sur les réseaux sociaux, assurant à ces shows et à leurs animateurs l'effet de continuum recherché par les commerciaux en charge de prospecter les annonceurs. Plus on en parle plus on le voit plus ça se vend - modalité actuelle du matraquage de disques initié au milieu des années 50 sur Europe 1 lorsqu'il s'agissait de lancer la carrière de la chanteuse Dalida. <br /> <br /> <br /> <br /> Pour nous, à l'heure où on allumait le poste pour écouter Michel Lodéon, Daniel Mermet ou Henri Gougaud, cela correspondait à un choix et on savait qu'on allait passer un bon moment si on appréciait la musique classique débarrassée de la pédanterie des spécialistes de France-Musique, les reportages sur le terrain mettant en scène de ces "gens de peu" chers au regretté Pierre Sansot, ou l'univers des légendes d'un conteur qui prenait son temps pour nous y entraîner, avec son accent savoureux de la haute vallée de l'Aude. <br /> <br /> <br /> <br /> France-Inter, selon ce que tu en racontes, Diogène, a franchi le cap qui la séparait de son passé pour coller aux attentes des publics contemporains. Ce n'est pas qu'elle a perdu son âme, c'est plus simplement que les temps que nous évoquons sont révolus, il nous faut le reconnaître. Daniel Mermet n'a plus d'âge, Claude Villers est parti en retraite depuis bien des années, José Artur, Jean-Louis Foulquier, André Francis ne sont plus là. Je lis que Jacques Pradel et Henri Gougaud étaient repartis, sur RTL, durant les étés 2016 et 2017, sur les sentiers du mystère qu'ils avaient foulés du temps de "Tout finit par être vrai'", sur Inter, il y a une quarantaine d'années. <br /> <br /> Voici une émission de 1978 : https://www.ina.fr/video/PHY12012533. <br /> <br /> Et une datée de 2017 : https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/le-voyage-dans-le-temps-est-il-possible-7789276893<br /> <br /> <br /> <br /> Les voix ont à peine changé. Le ton a évolué. Mais on est quand même là en présence de vétérans. Nous en sommes aussi. Il convient de l'accepter, Diogène.
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