Paradoxe de la critique des radios
Là, je suis embêté parce que Jérémy pointe surtout les contradictions et les paradoxes de la critique des médias qui occupe une grande part de La Lanterne de Diogène.
D’un côté, la défense d’une radio généraliste de qualité et de l’autre une radio qui se doit, pour survivre, d’attirer le plus grand nombre quitte à y perdre son âme. La publicité de marque s’est introduite sans coup férir. Il n’y a même pas eu beaucoup de protestations dans les premiers temps. Je rappelle juste que le premier message publicitaire de marque (Citroën) diffusé sur Inter a été suivi d’un silence des personnes sur le plateau qui, visiblement, n’en croyaient pas leurs oreilles. Depuis, comme je l’ai fait remarquer, même Mme Devilers a cru bon rappeler que cela ne faisait pas si longtemps qu’il y avait de la publicité de marque sur la radio publique ; sous entendu qu’on était enfin débarrassé des pesanteurs étatiques d’autrefois.
Tout part de la formule lancée par Pierre Bouteiller, à sa nomination comme directeur : « Vous pouvez tout vous permettre ». Indépendante des intérêts particuliers, la radio financée par le contribuable n’est pas tenue de ménager les annonceurs et, pour prouver son indépendance, il a fait venir des chroniqueurs pour dézinguer le personnel politique, à commencer par ceux qui étaient au pouvoir. Ce type de chroniqueurs avait aussi en horreur tout ce qui avait du succès. Indépendante pour les uns, de gauche pour les autres, Inter en a fait sa vitrine, sa marque de fabrique plutôt que de proposer des émissions originales que seule l’absence d’interruption publicitaire permet. Jérémy cite « Les Tréteaux de la nuit » qui supposent une demi-heure sans pub.
Bien sûr, il serait injuste de prétendre qu’il n’y en a pas eu. « Et pourtant, elle tourne » en a été l’emblème. Quatre saisons à observer le monde, sans contrainte, mais le nouveau directeur, M. Val décide d’y mettre fin pour se recentrer sur l’actualité culturelle (au sens large) parisienne. Le fait est que l’audience a progressé sous sa direction et, malgré les réserves qu’on peut y apporter, les auditeurs étaient au rendez-vous et approuvaient ; comme ils acceptent la publicité de marque aujourd'hui. Parlant de publicité, observons que les critiques des auditeurs portaient, autrefois, non sur le volume ni même les marques mais sur la qualité des spots. Ils détestaient notamment, les poulets et le duo d’humoristes qui vantait une assurance mutuelle. Depuis, ils ne trouvent rien à redire à la pub pour des marques automobiles étrangères matraquées avant et après le flash d’information.
« Vous pouvez tout vous permettre » est devenu la raison d’être et le but de la plupart des producteurs d’Inter. C’est devenu une fin en soi. Au lieu de s’en servir comme d’une garantie d’indépendance, d’un moyen de travailler correctement, on a assisté, pendant des années, à une compétition visant à repousser toujours plus loin les limites. Le sommet a été atteint par les fameux chroniqueurs qui, voyant l’un des leurs parvenir à la direction d’Inter après avoir été chanteur contestataire puis chroniqueur féroce, ont pensé qu’ils tenaient là la chance de leur vie. L’un a pensé qu’en disant et répétant « enc...é », il prendrait du galon plus sûrement encore qu’en critiquant ses semblables. L’autre a commencé sa saison en disant « bite. Ah, j’ai dit "bite" à 7 h 54 sur France-Inter. Que va-t-il se passer ? » Comme il ne s’est rien passé, il a poussé le bouchon plus loin à chaque fois. Même en s’en prenant au plus haut, il ne lui arrivait rien, il a décidé de s’en prendre à son propre directeur (et ancien homologue) et là, consécration suprême, tous ceux qui n’écoutaient jamais Inter se sont saisi de l’affaire pour hurler à la censure sur la radio de l’État, forcément sous contrôle du pouvoir politique sarkoziste à l’époque.
Depuis, les choses se sont calmées. On n’entend plus les deux chroniqueurs nulle part et les producteurs sont revenus à des considérations radiophoniques mais on est loin des émissions citées par Jérémy : l'époque lointaine de "la différence", d'André Francis, des "Tréteaux de la Nuit", du "Grand Parler" d'Henri Gougaud, etc
On peut ajouter « Marche ou rêve », « Question pour un samedi », « Le Téléphone sonne » (qui existe toujours depuis 1977), L’oreille en coin etc. plus près de nous « L’Afrique enchantée » lancée par le regretté directeur Bernard Chereze, devenu l’Afrique en Solo, Bref, toutes les émissions qui ne sont possibles que sur une radio qui peut tout se permettre car elle ne dépend pas de son audience pour subsister. On peut se permettre d’y créer des émissions qu’on n’entend nulle part ailleurs.
Après, bien sûr, c’est question de goût. Le travail de mémoire de la radio que j’effectue depuis des années mentionne assez les émissions qui ont marqué.
Seulement, au lieu de création ou même de « différence », le modèle quasiment unique et uniforme de la station c’est « Aujourd’hui, mon invité est... ». Pas une émission sans « mon invité » ! et, comme le fait remarquer Jérémy, c’est « mon invité » qui essaie de vendre son dernier bouquin ou son dernier disque. C’est « mon invité » vous parle de l’expo que vous ne verrez pas en province ; pardon, « dans les Régions » (ça change tout, n’est-ce pas ?).C’est « mon invité » sait tout et va vous expliquer. C’est « mon invité » n’a rien à dire mais ça me met en valeur. C’est « mon invité » n’est pas intéressant mais moi, j’ai envie de le rencontrer.
C’est « mon invité » vous dit que les autres vous trompent et comment il faut penser. C’est « mon invité » est drôle parce qu’il dit du mal de tout le monde. C’est « mon invité » connaît les restaus où vous n’irez jamais car ils sont trop chers, il connaît les vins les plus chers. C’est « mon invité » ne sait rien mais il parle bien et vous en met plein la vue. C’est « mon invité » a tout échoué mais on n’aime pas les gagnants. C’est « mon invité » est une invitée !C’est « mon invité » revient.
Et c’est comme ça tous les jours, toute la journée et depuis des années. Et comme si ça ne suffisait pas, il y a en plus un ou plusieurs chroniqueurs qui viennent apporter leur grain de sel. Bien entendu, il ne serait point séant que « mon invité » n’approuve pas le chroniqueur. La pensée unique, tu connais.
Alors oui, je suis pour le maintien d’une radio d’État, financée par les citoyens et avec le moins de publicité possible parce que j’aimerais entendre plus d’émissions de création et continuer à « écouter la différence », de la bonne information avec des reportages sans concession et des investigations. Et ça, ce n’est possible que sur une radio publique. D’un autre côté, je râle tout le temps contre ce que j’entends parce que, justement, ça ne correspond pas à ce que j’attends.
Je n’ai plus la télévision depuis près de 30 ans et je ne connais pas bien M. Ardisson, pas plus que M. Sébastien, tous deux remerciés après avoir assuré les beaux soirs des chaînes de télévision. À vrai dire, le peu que j’en connais ne me plaît pas plus que ça mais ce sont des professionnels qui mouillent leur chemise, qui ont du monde autour d’eux et qui ont du succès, chacun dans son domaine et sans abêtir. Bien sûr, j’ai entendu que quelques propos douteux, quelques séquences douteuses ont ponctué leurs émissions mais on ne peut pas être bon tout le temps et leur durée plaide pour eux. Pareil pour Jacques Martin que je détestais. On ne peut pas avoir raison contre tout le monde surtout quand il n’y a pas recours à la vulgarité et aux grossièretés. Après, c’est question de goût et il ne faut pas confondre son goût avec la qualité.
Comme je ne disposais pas d’article au moment de la publication du bilan de la saison sur les généralistes, j’y reviens un instant. Le plus important me paraît que « RTL l'emporte en durée d'écoute et en part d'audience, selon les audiences publiées ce jeudi matin par Médiamétrie pour la période avril – juin 2019 ». Ça confirme ce que j’écrivais voici des années sur les nouvelles pratiques d’écoute de la radio. RTL touche un public conservateur. Ses auditeurs écoutent à l’ancienne. Ils allument leur poste pour écouter Untel ; souvent « Les grosses têtes ». Sur Inter, de toute évidence, le public maîtrise les nouveaux outils de communication et, la part la plus jeune, ne possède sûrement pas de poste de radio mais écoute à la demande grâce à son application. Sur Inter, on active une alerte pour ne pas manquer l’intervention d’Untel. C’est ce qui avait expliqué, autrefois, le raffut autour des deux fameux chroniqueurs à scandale, sombrés dans l’oubli depuis. Enfin, l’article met en évidence la primauté de la matinale sur toutes les radios citées. Sur RTL, on écoute M. Calvi, sur Europe 1, on n’écoutait pas assez M. Cohen puis M. Aliagas, sur Inter, on écouteM. Demorand et sur France-Info, il semble que la matinale de M. Fauvelle fasse un tabac. Quand on pense qu’il avait été recruté à grand bruit (et sans doute à grand frais) pour diriger le service politique d’Inter où il n’est resté qu’une saison avant de diriger le journal de 8 heures qui est devenu la référence. En d’autres termes, si l’on ajoute au succès de la matinale de M. Demorand sur Inter, celle de M. Fauvelle sur France-Info, celle de M. Erner sur France-Culture, on comprend qu’une majorité d’auditeurs plébiscitent l’information sur les radios financées par l’État. Il y a donc un attachement réel des citoyens aux services publics et la radio n’en est que la preuve visible.
http://technic2radio.fr/visites-guidees-de-la-maison-de-radio-france/