Loto, patrimoine et quoi ?
J’entends vaguement, ce matin, la publicité pour le Loto du Patrimoine. On nous explique qu’avec une grille à 15€, on peut gagner « jusqu’à 1,5 million d’euros » et faire un geste pour sauvegarder le patrimoine.
Pour 15€, on a une petite chance de gagner à peine 1,5 million quand le loto propose un gain minimum de 2 millions pour un ticket à 2,20€, et que l’euro-million, cette même semaine, fait miroiter 190 millions pour un ticket à 2,50€… En d’autres termes, le loto du patrimoine est un moyen d’attirer des dons (puisque les gains sont dérisoires et très hypothétiques comme tous les jeux de hasard) sans compensation fiscale. Bien joué !
Sur l’euro-million, le gain proposé de 190 millions est indécent. Personne, PERSONNE, n’a besoin d’une telle somme qui correspond au budget d’une entreprise ; et encore l’artisanat est loin de fonctionner avec un tel capital. Aux points de validation de Fdj, j’ai souvent protesté contre des montants de 80 millions et plus. À part le buraliste qui connaît la réalité des choses, la réponse des joueurs était invariablement :
- Oh mais moi, je saurai bien quoi faire avec.
surtout quand le joueur est une femme.
Ces gens sont complètement déconnectés de toute réalité. C’est sans doute pour ça qu’ils ont développé l’illusion qu’ils pourraient gagner alors même que les chances sont infimes et pour tout dire négligeables. La hausse du montant des gains à 190 millions prouve bien la très faible probabilité ainsi que la perversité des règles du jeu car enfin, faut-il augmenter chaque semaine la cagnotte alors qu’en fixant un plafond, on récompenserait davantage de joueurs ? C’est bien qu’il y a soit quelque chose qui n’a pas été prévu et qui dépasse la conception, soit qu’il y a d’autres intérêts.
Supposons, comme cela avait été proposé parfois, qu’on plafonne les gains à 30 millions ; excusez du peu. Pour l’économie et pour les proches des gagnants, mieux vaut avoir 6 gagnants à 30 millions qu’un seul à 180 millions. Celui qui empochera les 190 millions ne dépensera pas plus que s’il en avait touché 30. Reprenons la joueuse de tout à l’heure qui se vantait de bien savoir ce qu’elle ferait avec. Elle commencerait par s’acheter une belle maison et d’y ajouter une piscine pour ses enfants et ses petits-enfants à venir. Comme elle disposerait de temps, elle pourrait avoir envie de passer une partie de l’année à la mer et un peu à la montagne aussi où elle disposerait d’un pied à terre aussi confortable que sa résidence principale. Les 30 millions seraient à peine entamés, même en supposant qu’elle paie un gueuleton dans un grand restaurant à toute sa famille et à tous ses amis et qu’elle s’offre une croisière. Très à la mode les croisières et désormais abordables par la classe moyenne. Donc, là non plus, ça ne devrait pas gréver ses gains. Rappelons que nous tablons sur 30 millions seulement. Bien sûr, la dame, avant même la fin des travaux, aura pris soin de faire de généreux dons à ses enfants et ouvert un livret de caisse d’épargne à ses petits enfants dans la limite du plafond. Supposons encore, que l’ensemble de ses dépenses s’élève à 15 millions claqués en moins de deux ans. Il en restera au moins autant de disponibles à la banque qui, elle, profitera allègrement de l’aubaine sans compter que la gagnante devra payer des impôts sur ce qui lui restera… On imagine ce qui restera à la banque au joueur qui empochera les 190 millions. En fait, le seul gagnant dans l’affaire sera la banque du gagnant.
Avantage de l’écrit, je n’ai été pas coupé dans mon raisonnement. Dans la vie, je dois faire court, abréger, si je veux pouvoir en arriver à la conclusion et mettre les joueurs face à la réalité : ils jouent pour la banque. D’où ma suggestion, approuvée par pas mal de gens d’ailleurs, de revoir le système des gains. Par exemple, on pourrait imaginer qu’on gagne dès 1 numéro sorti. On rembourserait le ticket et ça inciterait à rejouer. Ensuite, on déciderait que le gain minimum serait de 20€ pour 2 numéros. Ça permettrait aux joueurs, presque tous de milieu modeste, d’inviter une personne dans un restaurant de quartier ou de payer une bouteille de champagne en rentrant à la maison. Tout ça pour une mise de 2,20€. Et ainsi de suite afin de multiplier le nombre de gagnants. Les gagnants de ces modestes sommes vont les injecter immédiatement dans l’économie. Bien sûr, le député qui avait proposé de plafonner les gains à 30 millions a eu sa permanence harcelée par ses électeurs : laissez-nous rêver ! Seulement, des gens qui se prétendent adultes, qui le rappellent à chaque injonction, ne peuvent pas prétendre rêver comme les lecteurs du Journal de Mickey en voyant l’oncle Picsou se vautrer dans son bain de pièces d’or. Même lorsqu’on joue, il faut quand même garder un minimum de bon sens. 190 millions, ce n’est pas 190 mille euros qui correspondent déjà à une belle maison. Encore une fois, c’est le budget d’une entreprise et même pas d’un artisan qui exerce avec quelques compagnons. À 10 millions près (à ce stade, on n’en est plus à 10 millions), c’est la somme promise par le premier donateur suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris, somme qui avait été critiquée à l’époque.
Quant au patrimoine, il suffirait de prélever un très faible pourcentage sur les gains des jeux existants (1 %) pour dégager des sommes en conséquence. Si cette solution n’a pas été choisie, c’est qu’il y a des arrières-pensées. Rappelons aussi que la Fdj va être privatisée dans l’indifférence générale, à commencer par celle des joueurs habituels peu concernés par de tels enjeux.
https://www.franceculture.fr/architecture/loto-du-patrimoine-qui-sont-les-gagnants