Suicides de profs
Le suicide est un sujet douloureux et extrêmement difficile à aborder. Beaucoup pensent qu’il s’agit de lâcheté. Ce sont ceux qui prétendent que « eux-aussi » ont connu des problèmes graves mais que « eux » se sont battus et les ont affronté avec courage. Dialogue impossible car personne ne connaît le passé des uns et des autres ni sa capacité à aborder telle ou telle autre difficulté. Il faudrait les voir faire la démarche consistant à prendre l’instrument fatal ou marcher vers une mort certaine. Qui aurait ce courage ? Néanmoins, ce qui domine c’est le jugement sévère envers ceux qui échappent à la condition humaine. Je n’en dis pas plus car, à ce stade, on tombe vite dans les banalités, les lieux communs, les jugements, les formules automatiques. Albert Camus, s’il n’a pas tout dit sur le sujet, l’a tout de même exploré. Comment succéder à Camus !
Donc, le point de départ, c’est le suicide de cette enseignante, directrice d’une école primaire de banlieue parisienne. Les suicides dans l’Éducation Nationale, ne sont pas rares mais il est rare qu’on en parle. Enseignants à bout, surveillants qui découvrent la réalité de la vie, adolescents, sont les principales victimes. La presse régionale, pourtant avide de faits divers et de morts brutales (c’est ce qui plaît le plus aux lecteurs malheureusement) se fait rarement l’écho des suicides. Quand il s’agit de personnalités, on parle de « disparition tragique ». Le suicide pose des tas de questions qu’on préfère éluder. Quand bien même se les pose-t-on, on n’obtient aucune réponse satisfaisante. Parmi celles-ci : aurais-je pu faire quelque chose ? Impossible de répondre faute de connaître les tenants.
Or, cette fois, non seulement on parle du suicide de cette institutrice mais, en plus, il donne lieu à un mouvement de solidarité. Pour le coup, c’est tout à fait exceptionnel. Nous avons consacré, ici, quatre articles au suicide d’une enseignante dans la cour de son collège, devant les élèves et le personnel. La réponse d’un syndicat important a été d’adopter, pour une fois (du moins officiellement), la ligne du Ministère : elle avait des problèmes personnels. Autrement dit, il n’y a pas lieu de se demander pourquoi ni de changer quoi que ce soit, tant au niveau de l’administration que des relations entre professeurs. Pas question de remettre en cause le système qui, malgré ses défauts, apporte des avantages à certains. On retrouve aussi le double langage en cours chez les enseignants qui se plaignent, à raison, des conditions de travail, de l’environnement hostile mais qui montent au créneau dès qu’on évoque de simples expressions d’un minimum d’autorité. Le mouvement des Stylos-Rouges a permis de délier les langues et de porter à la connaissance la réalité quotidienne dans les établissements. L’absentéisme, les longues maladies*, les démissions sont autant de signes qui devraient amener à une prise de conscience sérieuse car, n’oublions jamais que les professeurs ont la lourde responsabilité des enfants des autres dans la journée. Peu de professions sont à ce point en contact avec l’humain et, particulièrement, les plus jeunes. Par conséquent, tous devraient se sentir concernés. Or, c’est l’indifférence voire le mépris qui répond au profond malaise des personnels de l’Éducation Nationale et des élèves. Cette fois-ci, exceptionnellement, on en parle parce que l’enseignante appartient au bon syndicat, à celui qui compte vraiment, qui est entendu et qui prend soin de ne pas revendiquer autre chose qu’un recrutement de personnel supplétif pour assister les directrices d’école dans leurs tâches administratives. Si l’on n’est pas dans ce bon syndicat, à jour de sa cotisation, les problèmes rencontrés avec des classes, avec des parents, avec la direction ou l’inspection n’ont aucune chance d’être seulement évoqués. Pire, l’enseignant fragilisé ne pourra même pas compter sur le soutien moral de ses collègues qui ne voudront pas se compromettre en s’affichant avec le collègue à problèmes. Ça explique aussi, en partie, pourquoi la presse régionale ne traite pas de ce sujet tant qu’il reste connu des seuls proches de la victime. En fait, ce qui gêne le plus dans le suicide, c’est la vague culpabilité éprouvée parfois par ceux qui connaissaient la victime et qui, sciemment, n’ont pas tendu la main fraternelle qui aurait pu, peut-être, éviter le geste fatal.
* Il n’y a pas de médecine du travail dans l’É-N, d’où une difficulté supplémentaire pour prévenir les maladies professionnelles et a fortiori les suicides.