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la lanterne de diogène
6 octobre 2019

Suicides de profs

Le suicide est un sujet douloureux et extrêmement difficile à aborder. Beaucoup pensent qu’il s’agit de lâcheté. Ce sont ceux qui prétendent que « eux-aussi » ont connu des problèmes graves mais que « eux » se sont battus et les ont affronté avec courage. Dialogue impossible car personne ne connaît le passé des uns et des autres ni sa capacité à aborder telle ou telle autre difficulté. Il faudrait les voir faire la démarche consistant à prendre l’instrument fatal ou marcher vers une mort certaine. Qui aurait ce courage ? Néanmoins, ce qui domine c’est le jugement sévère envers ceux qui échappent à la condition humaine. Je n’en dis pas plus car, à ce stade, on tombe vite dans les banalités, les lieux communs, les jugements, les formules automatiques. Albert Camus, s’il n’a pas tout dit sur le sujet, l’a tout de même exploré. Comment succéder à Camus !

Donc, le point de départ, c’est le suicide de cette enseignante, directrice d’une école primaire de banlieue parisienne. Les suicides dans l’Éducation Nationale, ne sont pas rares mais il est rare qu’on en parle. Enseignants à bout, surveillants qui découvrent la réalité de la vie, adolescents, sont les principales victimes. La presse régionale, pourtant avide de faits divers et de morts brutales (c’est ce qui plaît le plus aux lecteurs malheureusement) se fait rarement l’écho des suicides. Quand il s’agit de personnalités, on parle de « disparition tragique ». Le suicide pose des tas de questions qu’on préfère éluder. Quand bien même se les pose-t-on, on n’obtient aucune réponse satisfaisante. Parmi celles-ci : aurais-je pu faire quelque chose ? Impossible de répondre faute de connaître les tenants.

https://www.francetvinfo.fr/societe/education/suicide-d-une-directrice-d-ecole-a-pantin/c-etait-un-ange-gardien-christine-renon-la-directrice-epuisee-qui-a-donne-sa-vie-pour-l-ecole_3644781.html#xtor=EPR-749-[NLbestofhebdo]-20191005-[content1]

 

Or, cette fois, non seulement on parle du suicide de cette institutrice mais, en plus, il donne lieu à un mouvement de solidarité. Pour le coup, c’est tout à fait exceptionnel. Nous avons consacré, ici, quatre articles au suicide d’une enseignante dans la cour de son collège, devant les élèves et le personnel. La réponse d’un syndicat important a été d’adopter, pour une fois (du moins officiellement), la ligne du Ministère : elle avait des problèmes personnels. Autrement dit, il n’y a pas lieu de se demander pourquoi ni de changer quoi que ce soit, tant au niveau de l’administration que des relations entre professeurs. Pas question de remettre en cause le système qui, malgré ses défauts, apporte des avantages à certains. On retrouve aussi le double langage en cours chez les enseignants qui se plaignent, à raison, des conditions de travail, de l’environnement hostile mais qui montent au créneau dès qu’on évoque de simples expressions d’un minimum d’autorité. Le mouvement des Stylos-Rouges a permis de délier les langues et de porter à la connaissance la réalité quotidienne dans les établissements. L’absentéisme, les longues maladies*, les démissions sont autant de signes qui devraient amener à une prise de conscience sérieuse car, n’oublions jamais que les professeurs ont la lourde responsabilité des enfants des autres dans la journée. Peu de professions sont à ce point en contact avec l’humain et, particulièrement, les plus jeunes. Par conséquent, tous devraient se sentir concernés. Or, c’est l’indifférence voire le mépris qui répond au profond malaise des personnels de l’Éducation Nationale et des élèves. Cette fois-ci, exceptionnellement, on en parle parce que l’enseignante appartient au bon syndicat, à celui qui compte vraiment, qui est entendu et qui prend soin de ne pas revendiquer autre chose qu’un recrutement de personnel supplétif pour assister les directrices d’école dans leurs tâches administratives. Si l’on n’est pas dans ce bon syndicat, à jour de sa cotisation, les problèmes rencontrés avec des classes, avec des parents, avec la direction ou l’inspection n’ont aucune chance d’être seulement évoqués. Pire, l’enseignant fragilisé ne pourra même pas compter sur le soutien moral de ses collègues qui ne voudront pas se compromettre en s’affichant avec le collègue à problèmes. Ça explique aussi, en partie, pourquoi la presse régionale ne traite pas de ce sujet tant qu’il reste connu des seuls proches de la victime. En fait, ce qui gêne le plus dans le suicide, c’est la vague culpabilité éprouvée parfois par ceux qui connaissaient la victime et qui, sciemment, n’ont pas tendu la main fraternelle qui aurait pu, peut-être, éviter le geste fatal.

 

* Il n’y a pas de médecine du travail dans l’É-N, d’où une difficulté supplémentaire pour prévenir les maladies professionnelles et a fortiori les suicides.

 

Suicide d'une enseignante

Suicide d'une enseignante 2

Suicide d'une enseignante 3

Suicide d'une enseignante 4

 

https://www.francetvinfo.fr/societe/education/on-fait-deux-boulots-en-un-les-directeurs-d-ecole-en-ont-ras-le-bol_3640989.html#xtor=EPR-749-[NLbestofhebdo]-20191005-[content4]

https://www.atlantico.fr/decryptage/2584996/suicides-de-profs-violence-dans-les-classes-quand-le-deni-du-ministere-de-l-education-nationale-fait-des-ravages-dans-les-ecoles-jean-remi-girard-

https://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2011/03/19/suicides-leducation-nationale-plus-fort-que-france-telecom.html

https://rmc.bfmtv.com/emission/de-plus-en-plus-d-enseignants-demissionnent-l-education-nationale-a-reussi-a-me-degouter-du-metier-1076708.html

 

https://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2011/10/22/suicide-burn-out-chiffres-et-malaise-enseignant.html

 

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Commentaires
J
Cela et le fait que rien ne veut plus rien dire de ce qui naguère était - et non se voulait - signifiant, qu'on ne compte en tant que personne qu'à hauteur de sa capacité à "produire des richesses", à contribuer à en produire. Rien ne veut plus rien dire alors même que, paradoxe ! l'obsession de la communication nous conduit à baigner dans les mots, fussent-ils expurgés de sens, ce qui importe étant de dire, sans se poser la question de savoir à qui, ni même si cela aura quelque effet, le fait de dire et d'inviter à dire procurant l'illusion de communiquer entre bipèdes appartenant à un semblant de société. <br /> <br /> Comme nous vivons désormais dans l'immédiateté, l'illusion est fugace mais on n'a pas le temps d'y réfléchir sachant que dans la minute qui suit on sera passé à autre chose, entraînés, conditionnés que nous sommes à intégrer ce flux où le verbe, au sens du dire signifiant, n'est que phonèmes s'entrechoquant.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour exemple, la pseudo-arrestation d'un criminel en fuite sur la base de vagues présomptions. On va gloser autour d'un non-évènement et convier des spécialistes à s'exprimer sur ce non-évènement. La logique, et policière et judiciaire, voudrait que l'on attende d'être certain de ce que l'on avance avant de communiquer aux media, qu'il soit démontré par des biais d'identification irrévocables que la personne interpellée est bien l'individu recherché. <br /> <br /> Mais l'info est devenue un produit, il s'agit pour les media de se vendre, de vendre et de faire vendre, de capter dans ce sens l'attention du public, de sorte qu'il s'attarde devant les écrans vendeurs, passifs comme interactifs, et que cela génère le quota d'audimat et de clics propre à contenter les annonceurs - les réseaux sociaux récoltant a posteriori les dividendes générés par le non-évènement. <br /> <br /> Peu importe, au fond, ce qu'il s'est réellement passé. C'est le buzz qui compte et ce que génèrera le buzz en tant qu'audimat. <br /> <br /> <br /> <br /> Dans un tel contexte, un suicide de flic marquera quelques esprits entre les commentaires du match de la veille et la baston du samedi, devenue ordinaire. Au bout de dix flics, on a pris l'habitude. Quarante-et-un flics plus loin, on ne se pose toujours pas les questions qui tuent (aux deux sens de l'expression dont tu me pardonneras, Diogène, la trivialité), peut-être parce qu'en tant que ressortissants blasés d'un pays depuis longtemps à la dérive, on sait pertinemment qu'aucune réponse concrète ne sera apportée à ces questions. Un ministre de l'Intérieur incompétent ? Dont on sait qu'il a eu des accointances avec le Milieu ? Quant on sait qu'en la matière il a eu des prédécesseurs, et pas des moindres ? Et que les raisons de cette succession de suicides ne sauraient s'arrêter à la personne d'un polytocard interchangeable ? <br /> <br /> <br /> <br /> Un prof se suicide. Il y a vingt ans, ce n'est pas un millier de personnes qui seraient descendues dans la rue en hommage à une enseignante qui se serait donné la mort. Un tel évènement aurait provoqué une grève générale dans l'Enseignement, et des manifs auxquelles auraient pris part des collégiens, des lycéens, des étudiants, des parents d'élèves. <br /> <br /> <br /> <br /> Dans un tout autre contexte, le suicide de Gabrielle Russier, en 1969, avait saisi d'horreur le pays tout entier, mobilisé nombre d'intellectuels et d'artistes (dont Charles Aznavour et le cinéaste André Cayatte) et il laisse le souvenir des silences émus du président de l'époque, Georges Pompidou, questionné par un journaliste à propos de cet évènement, et de sa magnifique citation d'un poème de Paul Eluard (https://fresques.ina.fr/reperes-mediterraneens/fiche-media/Repmed00284/le-president-pompidou-evoque-l-affaire-gabrielle-russier.html). <br /> <br /> <br /> <br /> Que nous dit cet épisode, au regard de ce que nous traversons aujourd'hui, de la banalisation des tragédies humaines et de l'annihilation de l'empathie qu'a, au fil du temps, généré cette banalisation chez cette entité prise dans l'immédiateté et la précipitation qu'est devenue le public. C'est dans cette annihilation de l'empathie que se tient, aussi, le délitement de notre société. On va certes s'indigner de voir des manifestants éborgnés, mutilés, molestés, de dénombrer cinquante-et-un suicides de flics, d'apprendre que des profs mettent fin à leurs jours, que des employés se flinguent sous la pression de leurs managers, que des paysans étranglés par les dettes se pendent, que des centaines de sans-logis crèvent chaque hiver dans la rue, qu'il continue se trouver dans une société qui prétend être évoluée des gens pour en jeter d'autres à la rue, que des quartiers entiers soient placés sous la coulpe de gangs armés qui y font leur loi sans intervention des autorités, que des politiciens corrompus meurent sans avoir jamais été condamnés par une justice qui se montre moins clémente avec le père de famille divorcé qui a du mal à honorer ses obligations de pension alimentaire. <br /> <br /> Autant de tragédies et de scandales qui, il n'y a pas si longtemps, auraient été vues comme inadmissibles par la majorité de nos semblables, et qui à ce jour font partie de l'ordre des choses. On va s'indigner quelques heures, quelques jours, jusqu'à la tragédie, jusqu'au scandale suivant, parce qu'il est de bon ton de s'indigner, parce qu'on estime devoir exprimer entre soi, en tant que personnes adultes et responsables, le reliquat de moralité que laisse subsister en nous ce flux continu d'images et de mots que nous laissons envahir nos existences...
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L
«  Que se raréfie ce dévouement total à un métier n'est jamais que la conséquence du délitement global de notre société »<br /> <br /> <br /> <br /> Tout est dit !<br /> <br /> <br /> <br /> Nous nous éloignons du point de départ qui était le suicide d’une enseignante mais il était évident, dès le début, qu’il pose des questions au-delà de la souffrance personnelle d’une personne qui n’a pas été entendue ou qui l’a été trop tard.<br /> <br /> <br /> <br /> La vocation, le dévouement n’ont plus de place dans une société de l’immédiat, façonnée par la crise qui a débuté fin 1973, qui a rendu la précarité obligatoire et, partant, une lutte sans merci encouragée par l’individualisme matériel. Ceux qui en ont les moyens prennent soin de leurs corps (culture physique dans des centres qui fleurissent partout, produits cosmétiques, loisirs de plein-air) tandis que tous tâchent de garder leur emploi. <br /> <br /> <br /> <br /> Il y a quelques mois, j’ai rencontré, hors cadre professionnel, un vieux médecin plus ou moins à la retraite qui me disait qu’autrefois, on devenait médecin pour soigner les autres tandis que, maintenant, on le devient parce qu’on est bon à l’école. Ceux qui ont moins d’ambition, et notamment celles qui cherchent un salaire d’appoint et des vacances compatibles avec leurs enfants, choisissent l’enseignement. Ne parlons pas de celles qui s’ennuient à la maison, qui pourraient vivre confortablement sans travailler et qui s’occupent en faisant prof. Ajouté à l’obsession de Bourdieu de la reproduction des élites, on a cassé le prestige du métier d’enseignant. Les expériences pédagogiques, les stages et autres formations qui n’ont pour but que de détacher certains enseignants de la présence devant leurs élèves, aboutissent à cette pétaudière qu’est devenue l’institution de l’Éducation Nationale. Il faut ajouter ceux qui croulent sous les contraintes administratives, ceux qui n’arrivent pas à tenir une (ou plusieurs) classes et ne reçoivent aucune aide, ceux qui se démènent pour faire des cours utiles dans un environnement de tape à l’œil et d’expériences pédagogiques jargonnantes. <br /> <br /> <br /> <br /> Et les flics ! Attirés par la stabilité de l’emploi, ils se trouvent confrontés à toutes les bassesses de la vie sans avoir été formés pour ça. Arrivés dans leur poste, ils doivent composer avec des supérieurs qui cherchent d’abord la tranquillité. Ceux qui pensaient pouvoir quand même être utiles à leurs semblables en sont pour leurs frais. Quand ils peuvent, ils essaient de ne pas se faire trop remarquer, de faire le minimum afin de pouvoir postuler dans un autre endroit ou un autre service et échapper à la médiocrité. Quand ils ne peuvent pas, le moindre récalcitrant s’en prend plein la gueule et paie pour toutes les brimades, la tension, l’épuisement. Bavures, violences policières, j’ai écrit que lorsque des flics descendent dans la rue, même s’ils n’ont pas le droit de manifester en uniformes, il faut les entendre car, pour qu’ils en arrivent à battre le pavé eux aussi, il faut qu’ils en aient vraiment marre. C’est sûr qu’avec un État qui ne tolère plus la moindre manifestation et qui fait du zèle avec avec les environnementalistes, on en arrive à déployer des effectifs pléthoriques et donc, toujours mobilisés. Les flics n’ont toujours pas été payés de leurs heures supplémentaires de 2016. Est-ce tolérable ? Où l’on voit que, malgré une baisse des vocations, il reste quand même un semblant de conscience professionnelle qui fait que, malgré les salaires ridicules, malgré les heures sup non payées, malgré les risques du métiers, malgré la violence des usagers et les incivilités pluri quotidiennes, il se trouve encore des salariés qui partent au boulot et essaient de le faire le mieux possible, sans aucun espoir de la moindre reconnaissance. <br /> <br /> C’est peut-être ça, le délitement de notre société.
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J
Je te suis bien au sujet des vocations, Diogène, et cette balance impossible à établir entre ce qui porte quelqu'un à devenir prof, militaire, ou à intégrer un corps paramédical, et les réalités du métier au quotidien, les pressions, les faux-semblants, la duplicité des uns, les intrigues ourdies par d'autres, conduisent à ce que l'on dénomme aujourd'hui un "burn out", traduction par la démission du corps et l'effondrement de l'esprit, de l'incapacité à savoir établir cette balance. <br /> <br /> <br /> <br /> Ce documentaire de l'excellent Olivier Delacroix retrace quelques expériences de "burn out" : https://youtu.be/a91I201mTT4<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai connu de ces instituteurs dévoués que tu évoques, j'ai eu des profs vénérables qui partaient en dépression alors que nous, leurs élèves, n'étions pas, loin s'en faut, de cette mauvaise graine vers quoi l'on dépêche les frais émoulus des IUFM et les jeunes profs, comme s'il fallait les mettre à l'épreuve en les envoyant au casse-pipe - comme on soumet un prototype de voiture à des crash-tests. <br /> <br /> <br /> <br /> Nous les connaissions sur la scène que matérialisaient alors l'estrade, le tableau noir et, placé généralement à notre gauche, le bureau du maître/du professeur. Nous ne savions rien de ce qui se passait dans les coulisses, la salle des profs dont l'accès nous était interdit, ces bureaux occupés par des gens qui n'en sortaient jamais. <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai connu aussi des médecins revenus de leur vocation, qui me confiaient qu'ils devaient coller à un standing alors que ce n'était pas leur principal souci, qui même parvenus à l'âge mûr et responsables d'un service en centre hospitalier, avaient à devoir gérer des rapports de force avec leurs pairs, leur hiérarchie, la bureaucratie, de jeunes internes de bourgeois aux dents aussi longues qu'ils avaient le bras long, et certains syndicalistes qui réclamaient leur tête pour de très subjectives questions d'orientation politique. <br /> <br /> <br /> <br /> Je crois que le problème de fond est que nous sommes conditionnés à nous identifier "à ce que nous faisons dans la vie" - professionnellement, s'entend - plutôt qu'à ce que nous sommes en tant que personnes. Derrière la vocation la mieux ancrée il y a quelqu'un, une femme, un homme. Mais ce quelqu'un sera reconnu au regard de son rôle social et non en tant que ce qu'il est, et à force, il intégrera ce schéma jusqu'à en être captif. <br /> <br /> <br /> <br /> Une infirmière me disait que si elle n'avait pas "une vie à côté", elle ne tiendrait pas le choc, qu'il est indispensable dans son métier d'avoir "une vie à côté". Je connaissais un notaire qui, parallèlement à son boulot de notaire, cultivait la passion du jeu et celle de la philatélie, qu'il qualifiait de ses "ballons d'oxygène". On peut exceller dans son métier et y voir la concrétisation d'une vocation, mais une vocation n'est un apostolat que dans le périmètre d'un monastère. En fait c'est l'affaire de chacun. <br /> <br /> <br /> <br /> Que se raréfie ce dévouement total à un métier, comme tu le soulignes, Diogène, n'est jamais que la conséquence du délitement global de notre société que je pointais plus haut, mais aussi, cela a son importance, de grilles de salaires pitoyables comparées à certains pays voisins, salaires procurant, une fois soustraits impôts et charges incompressibles, des niveaux et qualités de vie qui paraîtront enviables vus de l'Afrique profonde, mais risibles vus de notre voisinage européen comme plus lointain. <br /> <br /> <br /> <br /> https://www.touteleurope.eu/actualite/le-salaire-des-enseignants-en-europe.html<br /> <br /> <br /> <br /> https://www.lapolicenationalerecrute.fr/Personnels/Officier-de-police/Missions-et-remunerations<br /> <br /> <br /> <br /> https://www.police.be.ch/police/fr/index/jobs/jobs/polizist_in/anstellungsbedingungen.html<br /> <br /> <br /> <br /> https://www.infirmiers.com/emploi/emploi/edito-salaire-infirmier-carton-rouge-france.html
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L
J’ai dit, au début, que je ne me sens pas capable d’ajouter quelque chose à la réflexion de Camus sur le suicide. D’autres l’ont fait mais je ne connais pas forcément leurs travaux. Ce que je puis dire, c’est que, à côté du monde actuel surpeuplé, où l’on a forcément plus de mal à trouver sa place et encore plus à marquer son passage, il peut arriver des circonstances où l’on se dit que c’est normal d’en être réduit là où l’on en est et qu’on ne peut avoir raison contre tout le monde. Donc, si l’on est exclu, en échec, c’est que, forcément, on est bon à rien et l’on n’a pas sa place. <br /> <br /> <br /> <br /> En parlant du monde surpeuplé et du mal à trouver sa place, je veux parler, notamment, de la précarité qui en résulte. On s’accroche à son boulot car on sait pertinemment qu’il ne suffit pas de traverser la rue pour en trouver un autre. Ou, plutôt, les audacieux, les beaux parleurs, ceux qui ont le moins de scrupules sont à même de décrocher n’importe quel boulot, y compris les plus intéressants. Alors même que leur incompétence sera connue de tous, ils sauront donner le change, tourner leur nullité avec humour et convaincre leurs responsables. Dans l’administration ou dans l’armée, c’est encore plus simple, ils sont promus pour éviter les conflits. Dans ce contexte, désormais généralisé, les plus consciencieux souffrent en silence. Tous ne retournent pas l’arme contre eux mais que dire de ceux qui accumulent les arrêts maladies ou qui vont bosser en se gavant de médicaments pour tenir le coup ? Ce sont surtout les femmes qui se comportent ainsi car elles doivent tenir le coup pour leurs enfants. <br /> <br /> <br /> <br /> Tu pointes, cher Jérémy, les différences culturelles. Dans le sud, j’ai remarqué qu’on s’apostrophe volontiers sur la route, qu’on échange des insultes fleuries et qu’on essaie de se sortir du mauvais pas où l’autre t’as mis. Ailleurs, ce sont les pires gros mots échangés quand ce ne sont pas des coups et là, c’est le plus fort qui l’emporte. Transposé dans le monde du travail, on a une idée de l’ambiance dans les entreprises et les administrations. <br /> <br /> Juste un mot sur le cas particulier des profs. C’est de moins en moins vrai mais c’est encore un métier où l’on trouve des personnes qui l’exercent par vocation. À la campagne, il n’était pas rare de citer un vieil instituteur, resté célibataire, parce qu’il avait consacré toute sa vie à ses élèves et que son temps de loisir servait à élaborer des stratégies pour améliorer ses cours malgré le manque de moyens. Idem pour les femmes tout dévouées aux autres, aux enfants, mais qui n’ont pas pris le temps d’avoir les leurs. Elles étaient un peu comme des bonnes-sœurs mais sans prendre le voile. Alors, dans l’époque actuelle, il n’y a plus ce dévouement total mais il existe encore des profs qui se consacrent complètement à leurs élèves. C’est un déchirement pour eux de se voir mis au ban parce qu’ils ne se fondent pas dans le moule et donc n’adhèrent pas au bon syndicat. Au moindre pépin, ils en paient lourdement les conséquences.
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J
Étranger au monde de l'enseignement, c'est sur la question du suicide dans un cadre professionnel que ta série d'articles m'invite à m'interroger, Diogène. Qu'est-ce qui fait qu'à un moment, une personne qui ploie sous l'aveuglement d'une bureaucratie, l'indifférence d'une hiérarchie, les pressions d'un manager, va retourner contre soi son agressivité au lieu de remettre sa démission, rendre sa plaque et son arme de service quand il s'agit d'un policier, mettre une bonne correction, ou simplement une salutaire paire de claques, au manager qui accule son personnel au burn-out?<br /> <br /> Les gens de notre âge ont en mémoire des histoires de petits chefs gentiment recadrés, dans un coin d'atelier, par des ouvriers qui n'hésitaient pas à lui tenir le langage des poètes de la salle Wagram - pour employer une formule argotique dont les initiés qui nous sont contemporains saisiront le sens (*). <br /> <br /> <br /> <br /> Dans la vie courante, et crois-moi Diogène qu'en tant que sudiste je vois ça tous les jours qui se lèvent, il peut suffire d'un bon coup de gueule, assené d'une voix qui porte, pour calmer certaines velléités dirigistes et secouer des lenteurs calculées. Je ne parle pas de verser dans ce travers contemporain de l'injure, qui alors confinerait au délit tout en signant un aveu d'impuissance. Remettre au pas, en haussant le ton, pour montrer qu'on est là, qu'on existe, que ce qu'on a dire doit être entendu par l'autre en face qui se barricade derrière des règlements, des codes corporatistes, une autorité qui lui est conférée par des bouts de papier et un salaire supérieur au sien, un prétendu rôle social. <br /> <br /> <br /> <br /> Bien sûr ça a l'air facile vu comme ça, quand on n'est pas pris dans une machine qui s'est emballée, quand on n'a pas la crainte du regard de l'autre, quand on attend de l'autre qu'il nous sauve la mise parce que c'est sensé être sa fonction, le syndicaliste, le médiateur, quand on a l'espoir absurde qu'à la prochaine réunion, ce qui ne va pas sera dit par d'autres et répercuté "en haut lieu", qui en tiendra compte. Quand on a la faiblesse de croire que sont encore observées, en ces temps, les règles basiques de la vie en société, ou tout simplement, celles du rapport humain à l'autre. <br /> <br /> <br /> <br /> Le fait que l'on conçoive de la douleur à faire son métier, qu'il est des choses qu'on ne tolère plus dans son milieu professionnel, démontre peut-être aussi qu'on a échappé à certains conditionnements ou qu'une lucidité s'exacerbant au fil des scandales incline à prendre ces conditionnements pour ce qu'ils sont : des codes auxquels d'autres obéissent en faisant la part des choses entre l'absurdité d'un job, d'une mission, et le montant du salaire qu'on en retire, la sécurité de l'emploi que ce job va apporter, si l'on en dispose, dans le contexte de précarité que l'on sait. <br /> <br /> Il peut se faire aussi que l'on soit fragilisé par les aléas malheureusement courants qui jalonnent toute existence, problèmes de couple, dettes, maladie d'un proche, deuil, solitude, des heures passées chaque jour dans les transports en commun, et les stress ne feront que se surajouter, dont on tempérera les symptômes comme on le pourra, alcool, tabagie, tranquillisants, psychotropes. <br /> <br /> <br /> <br /> Dire que ces successions de suicides en milieu professionnel témoigne d'une dégradation des rapports entre individus dans une société en état de déliquescence, serait souligner une évidence et renverrait les anciens dont nous sommes, forts d'une expérience différente du rapport à l'autorité, à se questionner vainement quant aux raisons qui font qu'on en est arrivés là. <br /> <br /> <br /> <br /> Ce qui reviendrait à se poser aussi vainement la question de la soumission de tant de nos contemporains à ce qui n'est rien moins que le chantage collectif sur quoi repose le fonctionnement chaotique de ce qui nous tient lieu de société. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> (*) Par le passé, la salle Wagram était un lieu parisien où se tenaient des combats de boxe.
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