Rentrée Rétro sur Inter en 2019
Pour commencer, un vrai moment d’émotion dans « L’instant M » du jeudi 24 octobre 2019. Mme Devilers qui venait d’affirmer qu’en 1979, notre radio s’appelait « Paris Inter », n’arrive pas à se maîtriser à la fin lorsqu’elle évoque avec le photographe iranien Réza, l’enterrement à Paris d’un journaliste iranien. C’est pour ça qu’on aime la radio. On ne triche pas. Tout s’entend.
https://www.franceinter.fr/emissions/l-instant-m/l-instant-m-24-octobre-2019
Nous épinglons assez souvent cette émission, pour ses liaisons différées et quelques points de vue parisianistes pour ne pas saluer une nouvelle fois, le très bon boulot effectué sur les médias et ce moment rare où l’animatrice et l’invité sont saisis par le sujet traité. Respect !
Ce préambule annonce d’autres félicitations. Inter nous a régalé tout l’été avec des concerts et paraît recommencer dès la rentrée. Pourvu que ça dure, d’autant que, le vendredi, à 21 h, il y a une des rares émissions en direct et public. Dommage que cet ancien dépôt ferroviaire, connu sous le nom de « Charolais » (car construit le long de la rue du même nom) , s’appelle désormais « Ground Control ». Qu’est-ce que ça veut dire ?
Au mois de septembre, M. Demorand nous a aussi régalé avec le choix de ses invités : Edgar Morin, Thomas Piketty, Pascal Bruckner, Régis Debray, Boris Cyrulnik, Edward Snowden, Alain Finkielkraut, François Sureau, Christiane Taubira. À noter que, le vendredi, Mme Salamé, habituellement absente pour préparer son émission de télévision, a tenu à être présente face à ses invités. Le reste n’est pas à l’avenant. On ne peut pas tutoyer l’excellence en permanence et il faut apprécier ces grands moments avec des invités prestigieux. Le problème principal reste le peu de temps laissé aux auditeurs qui appellent et la curieuse sélection des questions, parfois. Ainsi, mercredi 25 septembre 2019, une seule auditrice à l’antenne et pour une question sur la disparition annoncée de la librairie de Tourcoing à M. Darmanin, Ministre des Comptes-publics. Il répond longuement bien entendu. Ensuite, les deux animateurs voulaient se garder du temps pour interroger le ministre sur la réforme de l’audiovisuel public et la création de France-Média annoncée le matin. Nous y reviendrons. La veille, aucun auditeur à l’antenne et juste une courte lecture des questions posées sur l’application.
Un autre coup chapeau pour M. Goumarre et son « NRV ». Cette émission a changé plusieurs fois de formule depuis sa création voici six ans. Au début, on avait l’impression de renouer avec le « Pop Club » mais dans une version actuelle. L’an passé, les deux parties distinctes ont semblé consacrer un format intéressant : magazine (avec le sempiternel « mon invité aujourd'hui est ») et chanson en direct (ou non) en première partie et la deuxième partie, tournée vers l’actualité mais avec le recul pour la réflexion, confiée à M. Christophe Bourseiller. Il arrive dès la première heure à présent tandis que 5 minutes de chanson en direct concluent avant le journal de 23 heures. Regrettons juste cette bizarrerie qui consiste à pouvoir écouter l’émission dès 18 heures pendant que d’autres émissions passent à l’antenne en direct. Curieuse concurrence interne. Déjà qu’Inter entend concurrencer les autres stations du groupe Radio-France. Ensuite, on retrouve les grandes archives de France-inter, autrement dit, on peut ré-écouter une série ou un thème traité à partir des archives. Parait-il que ça ne plaît pas à tout le monde mais nous pestons suffisamment contre les animateurs qui méprisent ouvertement leurs prédécesseurs et contre le fait qu’on ne rende pas hommage aux disparus pour ne pas féliciter cette initiative qui permet de ré-écouter de bons moments. Toujours intéressant d’entendre ce qu’on savait faire avant. Avant, c’était avant la réforme annoncée de l’audiovisuel public.
On s’achemine donc vers un projet de holding qui vise surtout à faire diminuer le budget de l’ensemble des chaînes, stations et sociétés concernées. Officiellement, on s’en tient à la ligne directrice : « il faut faire des économies ». Tout le monde approuve car ça veut dire moins d’impôt et moins de redevance.
Dans la réalité, on veut que l’audiovisuel de l’État fasse mieux avec moins de moyens (car on limitera son recours à la publicité). On sait pertinemment que ce n’est pas possible. Par conséquent, on veut la fin de l’audiovisuel public comme on veut la fin de tous les services publics et du modèle français. La France doit devenir un membre lambda des institutions auxquelles elle appartient et ne plus proposer la moindre esquisse de modèle alternatif, surtout s’il est performant. On s’ingénie à le rendre moins performant pour justifier sa suppression.
Sinon, la couleur de l’antenne est tout à fait rétro en cette nouvelle saison. Explications. Inter ressemble à s’y méprendre à Fréquence Gay, une de ces stations nées de la vague des radios libres au début des années 1980 et qui ont permis à la communauté gay de se faire connaître, loin des clichés méprisant qui avaient cours jusqu’alors. Comme la grille n’est pas extensible (d’autant qu’il n’y a plus que des rediffusions la nuit), Inter propose aussi des émissions gays uniquement sur l’Internet et M. Demorand se propose d’expliciter ce que signifie le sigle LGBTQ+ (car chaque pratique veut avoir sa lettre et, pour le moment, on s’est arrêté au Q) et notamment « queer » avant de nous renvoyer au site Internet. Observons qu’il y a de plus en plus de renvois au site Internet ou au podcast. On a l’impression que le support radiophonique tend à devenir anecdotique et que les vrais reportages, les grandes enquêtes se trouvent désormais sur le site, les entrevues complètes aussi. La radio perd du terrain y compris sur la principale station de radio française. Toujours dans le rétro mais encore plus ancien avec la nouvelle émission « Modern Love » (pourquoi encore un titre anglais?) le dimanche en début de nuit. Certes, il a fallu trouver quelque chose dans la précipitation après le retrait de M. Baer qui n’avait pas vraiment convaincu l’an dernier mais qui était prévu dans la grille. « Modern Love », c’est le retour de Ménie Grégoire. On objectera que plus personne ne se souvient de Ménie Grégoire et que ce rappel ne peut venir que d’un vieux, donc hors-jeu. Tout de même, il est effarant que, dans le style comme dans les sujets abordés et même l’intonation des auditeurs qui passent à l’antenne, on retrouve, à l’aube de la troisième décennie du 21e siècle, un décalque d’une émission qui a connu le succès trois décennies avant la fin du siècle dernier. Pour le reste, nous avons pointé des émissions qui tournent plus au moins autour de la même thématique. Pour enfoncer le clou, « Modern Love » du 27 octobre 2019 demande comment définir et incarner correctement la transidenté et la transition avec notamment les « films transgenre ». Les émissions interactives se consacrent, successivement aux thèmes liés à la PMA et à la version française de « me too » en sachant qu’il y a des passerelles établies entre les deux.
Un mot sur M. Trappenard qui ne se retient désormais plus. On devine que son émission comporte dans son cahier des charges l’obligation de rendre compte de l’actualité culturelle et cette contrainte lui pèse de plus en plus. Il ne cache plus qu’il est excédé à l’idée de perdre 2 minutes pour informer sur les événements parisien ; car l’émission s’adresse d’abord aux Parisiens et à quelques provinciaux qui ont le bon goût de vouloir se cultiver comme de vrais Parisiens. Voici comme M. Trappenard annonce l’actualité culturelle le 24 septembre 2019 : « Celle qui se noie dans un verre d’eau, avec son actualité sordide et putassière : c’est la culture, évidemment. ». S’ensuit un sujet sur Degas à l’opéra. Le 1er octobre 2019, il récidive : « C’est la culture et son actualité bonne pour le vide-ordure. ». S’ensuit la voix de Jessye Norman morte la veille ; bonne pour le vide-ordure, donc… Or, c’est tous les jours qu’il y a une introduction intentionnellement péjorative.
Le gros de l’actualité médiatique de cet automne aura été l’arrestation de Dupont de Ligonès. Déjà, plus personne ne souvient exactement de l’affaire. Or, les radios (RTL y a consacré l’essentiel de sa matinale) ont consacré un temps illimité à ce sujet. Pourtant, quels que soient les crimes de cet individu, il n’est ni l’ennemi public n°1, ni un tueur en série. S’il est nécessaire de l’arrêter et de le châtier pour avoir fait couler le sang, il ne représente pas un danger pour la société qui justifie qu’on interrompe le cours normal des émissions pour statuer sur les conséquences de l’arrestation. En plus, on apprendra rapidement qu’il s’agissait d’une erreur judiciaire due à une dénonciation anonyme et que le prévenu n’était pas le meurtrier en cavale mais un quidam qui rejoignait son épouse en Grande-Bretagne. Comme dans les dérapages précédents*, les médias n’ont pas jugé utile d’adopter un profil bas. Pis, ils ont retourné la situation à leur avantage en prétendant qu’ils ont rapidement émis des réserves sur le suspect arrêté. On se souvient qu’il n’en a rien été.
Le rendez-vous d’Inter avec la médiatrice l’a évoqué mais il est pipé comme d’habitude. Ainsi le traitement de l’affaire Dupont de Ligonès : la directrice de l’info se focalise sur les doutes que la rédaction a, soit-disant, commencé à avoir très tôt. En fait, on voit comment les questions sont contournées et que le fond du problème est éludé. Les journalistes ne sont pas en cause pour s’être trompés (l’erreur est humaine) mais pour avoir consacré autant de temps à un fait divers dont plus personne ne se souvient. La médiatrice oppose le même type de réponse à côté au sujet de Le Pen. À partir du moment où le RN fait partie du paysage politique, on ne peut leur interdire l’antenne. Certes mais ce qui pose problème, c’est d’inviter JMLP qui n’a plus de responsabilité dans son parti et qui est retiré de la vie politique. Seulement, les journalistes espèrent toujours qu’il va sortir une monstruosité qui va occuper les rédactions pendant des jours et des semaines et se dispenser de traiter d’autres sujets d’actualité qui demandent davantage de moyens.
Pour terminer, on a annoncé le vendredi 11 octobre, la mort d’Annette Ardisson. On ne l’imaginait pas retraitée car elle a gardé jusqu’au bout une voix de jeune femme. Pour une fois, on en a parlé un peu puisque, dès le vendredi soir, Mme Alexandra Ackoun y a consacré un sujet pendant le dernier journal parlé puis, le lendemain, M. Serge Martin a terminé son journal de 8 heures avec l’évocation de sa consœur avant que Mme Patricia Martin ne se souvienne que, lorsqu’elle animait la matinale, c’était elle qui se chargeait de l’entrevue politique. Heureuse époque où la matinale était décontractée, où l’entrevue politique ne débordait pas, où l’on passait des chansons qu’on fredonnait en partant au boulot. Le bémol, c’est que l’hommage à Annette Ardisson a empiété sur l’entrevue avec Mme Clémentine Autain (les entrevues du week-end sont déjà plus courtes qu’en semaine) et non pas sur celle avec l’invité qui s’est répandu sur l’arrestation de Dupont de Ligonès.
https://www.franceinter.fr/info/annette-ardisson-une-grande-voix-de-france-inter-s-est-eteinte
* Timisoara, la guerre du golfe de 1991 notamment