Fin programmée des trains en France
Bon, cet article retarde encore, après ceux sur la grève en cours à Radio France, inévitable, l’article sur les territoires et l’entreprise ainsi que sur l’actualité à la radio en cette fin d’année.
Seulement, aujourd’hui, 1er décembre, il y a du changement à Sncf (et plus LA Sncf et ce n’est pas qu’un détail).
Nous avons montré, à plusieurs reprises, comment, dans un pays comme la France, l’état du train accompagne les mutations de la société, de la politique, de manière significative et pas seulement hautement symbolique. Cette fois, c’est l’arrêt des TAC, autrement dit des Trains-Auto-Couchettes qui devrait attirer l’attention. Ce n’est pas anecdotique mais, au contraire, très significatif d’une façon de penser, de gouverner et de soumettre les citoyens à un choix aussi absurde qu’indésiré.
Comme son nom l’indique, le Train-Auto-Couchette consiste à rajouter un ou plusieurs wagons de transports d’automobiles à un train composé de voitures équipées de couchettes pour la nuit. On se présente en avance à la gare de départ, on confie les clés pour l’embarquement pendant qu’on va faire valider son billet et s’installer dans le compartiment. À l’arrivée, on récupère sa bagnole et l’on peut effectuer des courts trajets pendant son séjour sur place. Ça paraît bête comme chou.
Il y a quelques années, la Sncf avait supprimé ce service sur la ligne courte de Paris à Saint-Gervais-Mont-Blanc. Un camion roulait à côté du train de nuit, emportant les voitures des voyageurs. Devant une telle imbécillité, il y a eu levée de boucliers des syndicats, des associations d’usagers et même des journalistes, pour une fois. La direction a cherché à temporiser mais a finalement rétabli le service habituel. Las, une mauvaise idée n’est jamais totalement abandonnée. Donc, en ce 1er décembre 2019, il n’y a plus du tout de trains-auto-couchettes. Sncf propose ceci :
AUTO/TRAIN Faites transporter votre véhicule en toute sérénité
et développer un laïus sur les différentes formules :
- Votre voiture est transportée par la route entre la ville de départ et la ville d'arrivée. Un particulier qui a besoin de faire le trajet conduit votre voiture à votre place. Le conducteur et vous-même bénéficiez ainsi d'un service à prix réduit (à partir de 98€).
et d’ajouter que la voiture est assurée. Encore heureux puisque c’est obligatoire !
-Votre voiture ou votre moto est transportée sur un camion, elle ne roule pas. Le dépôt et la livraison de votre voiture ou de votre moto se font en point-relais. Selon la destination, un voiturier pourra, en option, conduire votre voiture entre votre domicile et le point relais pour vous
Et d’ajouter que la voiture est assurée (encore heureux) et déplacée par un spécialiste du transport camion et stocké sur un parc ou dans un entrepôt sécurisé. Extraordinaire, n’est-ce pas ? Sncf nous rassure : c’est un transporteur routier qui s’occupe de ta bagnole et elle garée dans un entrepôt sécurisé. En clair, un espace clos (ou peut-être pas) muni de caméras de surveillance.
- Le nec plus ultra : Votre voiture est conduite par un chauffeur dont c'est le métier.
On croyait que c’était la masse salariale qui grévait le budget des entreprises mais il faut croire qu’il y a des exceptions. On supprime des postes de cheminots à Sncf mais on crée des postes de chauffeurs routiers.
Et d’ajouter, outre que ta bagnole est bien assurée (encore heureux) mais qu’en plus, « nos chauffeurs sont certifiés par le sous-traitant et régulièrement formés pour assurer une prestation de qualité. » Là, on a le droit de rigoler un peu : quelle formation (l’auto-école?), combien d’heures pour apprendre à conduire la voiture d’un autre sans égratignure ?
Imaginons qu’il y ait un accident. Quelle sera la position de l’assureur habituel du véhicule qui devra tenir compte de l’accident pour le calcul des primes à venir ?
Tout ceci est ridicule mais le ridicule ne tue pas, comme chacun sait et c’est bien là-dessus que table Sncf. https://autotrain.oui.sncf/dynamic/autotrain-webapp/homeControl.action
En clair, alors que les infrastructures existent (installations dans les gares pour embarquer et débarquer les voitures rapidement), que les rails existent et que ça coûte pas plus cher de rajouter des wagons qui existent aussi, Sncf choisit de fermer tout ça et de s’adresser à un sous-traitant (peut-être une des ses centaines de filiales). Est-ce que la formule habituelle dysfonctionnait ? Est-ce que les clients se plaignaient beaucoup (il y peut toujours y avoir un pépin) ? Y a-t-il une demande pour qu’il n’y ait plus d’automobile sur les trains et davantage sur les routes et autoroutes ?
Inutile d’écrire les réponses. Simplement, remarquons qu’un tel raisonnement, à savoir l’arrêt d’un service qui donne satisfaction et son remplacement par un autre, plus cher et moins fiable est répandu et que ça n’est pas près de s’arrêter. Rappelons que, au moment de l’injonction de l’UE d’en finir avec les renseignements téléphoniques GRATUITS (le 12) pour cause de monopole d’État, incompatible avec le dogme de la « concurrence libre et non faussée », nous avons vu dans un premier temps des gougnafiers proposer des renseignements obsolètes, à partir de vieux annuaires téléphonique édités par l’affreux monopole d’État, mais proposant aussi les prévisions météo, piquées sur le site de Météo France, autre monopole d’État mais pas concurrencé celui-là car trop cher, ou les pronostics du tiercé. Rappelons juste qu’on appelait pour connaître un numéro de téléphone et pas autre chose. la symbolique du 12
Cette fois-ci, il est proposé d’user sa voiture personnelle aux mains d’un inconnu plutôt que de l’amener intacte à destination.
Parfois, sur un réseau social bien connu, des ferroviphiles échangent des photos des premiers temps du TGV. On y voit ces belles rames orange, symboles d’un progrès réalisé par le savoir-faire d’une entreprise d’État, à l’époque enviée par le monde entier. Tout le monde était plus ou moins concerné par ce train à très grande vitesse. Du moindre cheminot, jusqu’à l’ingénieur, aux chefs de gares, au personnel des voies, on préparait l’arrivée de ce nouveau train. Les plus grandes entreprises privées de l’époque fournissaient les différents composants. Creusot-Loire fabriquait les roulements, Alsthom (avec un h) construisait les moteurs avec toutes les technologies de la CGE (Cie Générale d’Électricité fondée en 1898 pour concurrencer Siemens, AEG et General Electric), l’acier des rails venait de (Sacilor) Lorraine, les ingénieurs sortaient des meilleures grandes écoles et universités françaises. C’était tout un pays qui se trouvait mobilisé et qui portait ce grand projet. L’inauguration a donné lieu à une liesse générale à l’époque. C’est la gauche au pouvoir qui a raflé la mise après avoir toujours soutenu les transports publics mais la droite, au pouvoir les décennies précédentes avait soutenu ce projet car c’était l’intérêt de la France et de ses entreprises. Tous les cheminots étaient fiers de cette réussite attendue depuis longtemps car les projets ferroviaires sont toujours longs à être finalisés. En fait, tous les Français étaient fiers du TGV, payé en grande partie par leurs impôts. Nous avons rappelé qu’aucune entreprise (sauf au Japon mais avec une mentalité tout autre) n’aurait financé l’investissement en Recherche & Développement, surtout à une époque (fin des années 1960) où l’on pensait qu’entre la voiture individuelle pour les petits parcours et l’avion, il n’y avait plus de place pour le train.
Regards sur la France en 30 ans de TGV
Tous les Français étaient fiers, donc, et rêvaient de « le prendre au moins une fois ». On interrogeait avec envie : « T’as déjà pris le TGV ? Comment c’est ? ». Les touristes demandaient dans quelle gare parisienne on pouvait voir le TGV. À l’époque, le billet de train était calculé selon la distance. Pour le TGV, il suffisait de s’acquitter du prix d’une réservation obligatoire pour voyager. Autrement dit, ce qui était rare avec les prestigieux TEE, dans leurs voitures « grand confort » en France, devenait accessible. Le slogan de la Sncf était ensuite : « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ». Et c’était vrai !
Et puis, devant le succès espéré mais inattendu car quelque peu risqué, on a persisté en créant le TGV Atlantique. Cette fois, on savait faire, on en a profité pour rallonger les rames. On a abandonné la livrée orange industrielle pour un vilain gris rehaussé de bleu. Et comme en France, il faut que tout le monde soit logé à la même enseigne, on a repeint les premières rames.
La couleur est anecdotique mais marque aussi le changement de tarification. Désormais, plus question de payer au kilomètre mais, comme dans les avions, en fonction des réservations et du remplissage. Et c’est là que tout a changé. Finie l’équité entre les voyageurs, fini le progrès partagé par tous et le billet de TGV à peine majoré de la résa. Fini l’enthousiasme dans le style de l’été 36 !
Toujours sur ce réseau social, un cheminot approuve : « oui, j'ai observé moi avec l'arrivée du TGVA, un carnage incroyable sur tout l'ouest, toutes activités confondues. Des dizaines de MA et ME supprimés du jour au lendemain au changement de service et le début de la fermeture des triages. ». Un autre ajoute : « J’ai toujours entendu ça depuis toujours.... tu verras les triages vont fermer. Il n’y aura plus de wagons isolés. Plus de fret.... etc... eh bien, tout ça s'est réalisé. ».
Barre, Premier Ministre, avait eu le temps d’imposer à la Sncf et à la Ratp « la vérité des prix » : plus question que les contribuables qui ne prennent pas le train paient pour ceux qui le prennent ». Foin de la péréquation et de la solidarité ! L’euphorie des début du TGV et de la victoire de la gauche l’avait fait un peu oublier mais, dès 1989, année du bicentenaire de la Révolution française, on met fin à l’égalité entre les voyageurs et ne compte plus que la rentabilité et l’activité commerciale de la Sncf. D’ailleurs, s’il faut faire du commerce, il n’y a aucune raison pour n’en faire qu’avec des trains ; au contraire ! Si tout le monde se rappelle la présidence, plutôt courte de Louis Armand à la tête de la Sncf, parce qu’il en a fait la grande entreprise qu’on a connue, tout le monde se souviendra que Pépy l’a achevée. C’est lui qui a mis fin au fret (les trains de marchandise) et fait en sorte que tous les opérateurs privés tentés par l’aventure jettent l’éponge. Non seulement, il a fait fermer des gares puis des lignes et s’est ingénié à réduire l’activité ferroviaire de la Sncf tout en multipliant les filiales avec des participations croisées (près de 1000 en tout) afin de mettre la plupart des activités dans le droit privé et plus dans le service public mais, en plus, il a fait en sorte qu’aucun opérateur ne puisse prendre le relais et peut-être gagner de l’argent. Il faut dire qu’à ce jeu-là, en cas de renoncement d’un opérateur, certains pourraient être tentés de demander à la Sncf de reprendre l’activité et, visiblement, il n’en est pas question ; sous aucun prétexte. La fin des Train-Auto-Couchettes n’est que la nouvelle étape de ce qui est engagé car, après les avoir dissuadé de mettre leur automobile sur les trains, la prochaine consistera à dissuader les voyageurs de prendre le train et, notamment, le train de nuit.
Actuellement, il ne reste plus que deux trains de nuit. Le Paris-Rodez met 11 heures pour faire 500 km avec un départ dès 19 h de Paris au lieu de 21 h 30 autrefois. Il met plus d’une heure de plus qu’en 1956 avec une locomotive à vapeur. Le Paris-Briançon est en sursis permanent depuis des dizaines d’années et ne doit sa survie qu’à un élu local qui se bat depuis bien avant son élection à l’Assemblée Nationale qu’il rejoint en train, naturellement. Comment dissuader de prendre le train et, notamment, la nuit ? Il suffit de programmer des travaux longs. Comme dans les deux cas et sur presque toutes les destination de montagne, il y a une voie unique, la circulation est arrêtée. D’ailleurs, même quand il y a une double voie, désormais les travaux impactent les deux, ce qui oblige à fermer tout trafic. Les travaux peuvent durer. Il suffit d’un peu de neige pour les suspendre. C’est autant de prolongations. Pendant ce temps, Sncf met en place un service d’autocars. Maintenant, même en Europe, il existe des autocars très confortables, où l’on peut allonger ses jambes et se reposer sur longues distances.
https://www.kelbillet.com/blog/bus-2/test-bus-nuit-flixbus/
Pour convaincre les clients potentiels, on ajoute nombre de services qui n’existent pas en train : sièges ajustables, espace bagages sécurisé, wifi, 4G, prises USB pour recharger, snacks et boissons bon marché etc. Même le personnel à bord est vanté alors que, justement, Sncf essaie de supprimer tout personnel à bord, laissant le conducteur, seul professionnel dans un train. On a vu ce qui peut se passer en cas d’accident, surtout si le conducteur est blessé ; mais encore assez consciencieux pour assurer la sécurité de ses passagers et des autres trains…
Une fois les voyageurs habitués ou résignés aux autocars, il n’y aura plus aucune raison de rétablir le trafic, ni d’entretenir des autocars de grand confort. C’est ce qui se joue entre Grenoble et Gap et Grenoble et Marseille et c’est ce qui va se jouer d’ici peu entre Paris et Briançon. Bien sûr, il peut arriver que des cols soient fermés en hiver et les liaisons impraticables. Le col du Lautaret a été fermé quelques jours en novembre dernier. Il arrive aussi qu’il y ait des accidents sur les routes sinueuses de montagne, surtout en hiver mais il ne faut pas penser à ça. Il faut voir, au contraire, tous les avantages de la route et du « nouveau monde » qui se construit en ce sens. Tous les élus, quelle que soit leur couleur politique, se battent pour défendre le train dans leur ressort. Quand ils rencontrent Sncf, elle leur présente des devis astronomiques pour rénover les voies. Les devis sont invérifiables et, dans le cas où une nouvelle réunion est organisée, ils sont majorés voire doublés et ainsi de suite. Personne n’a accès aux calculs et autres critères. Ne parlons même pas de l’état des voies abandonnées, des fois que des assemblées territoriales veuillent y remettre des trains.
On peut se demander pourquoi une telle volonté d’en finir avec le train ? Plusieurs réponses sans compter celles avancées par Sncf. Le train, plus qu’aucun autre, symbolise le service public à la française : des investissements d’État, une activité commerciale de qualité à un prix modéré et proposant des tarifs sociaux pour ceux qui en ont besoin. À l’heure de l’ultralibéralisme, il est hors de question de laisser perdurer un modèle alternatif qui fonctionnait à la perfection jusqu’à ce qu’on y porte des coups fatals. Ensuite, Sncf est un bastion de salariés syndiqués qui, malgré leurs divergences, s’unissent pour les grandes causes. Éventuellement s’ajoute un système de retraite avantageux dont on parle beaucoup en ce moment. Rappelons juste que ce système était parmi les premiers systèmes de retraites mis en place et devait être élargi à tout le monde. Il ne l’a pas été pour des raisons de coût. Donc, porter une estocade au dernier endroit où l’on peut encore faire grève (parfois encore efficacement) sans risquer la mise à la porte.
L’idéal, pour Sncf, ce sont des TGV pleins comme des boudins, avec le moins d’arrêts possible car, s’il descend des voyageurs, il n’est pas assuré qu’un nombre équivalent va monter. Au départ de Paris, on peut vouloir descendre à Valence ou en Avignon mais il y a peu de chance que des voyageurs montent pour aller plus vite à Marseille ou Nice et pour quoi faire ? Il y fait aussi beau que sur la côte.
Donc, la fin des Train-Auto-Couchettes n’est pas une nouvelle folklorique au milieu des malheurs du monde. C’est une étape dans l’organisation de notre pays décidée de manière autoritaire et sans aucune considération de la volonté des citoyens ou des clients. Il faut, au contraire, prendre la chose très au sérieux. Ensuite, l’abandon du sigle SNCF devenu une simple marque qui ne fait plus référence à la prestigieuse Société, qui plus est « Nationale » (horreur!), des Chemins de fer Français (mieux vaudrait qu’ils soient Européens) n’est pas un détail. Il annonce la prochaine étape, le mois prochain, qui consistera en l’adoption du statut de société anonyme pour Sncf. Par dogme, la gauche au pouvoir avait repris la totalité du capital de la Sncf, détenu encore en 1982 par les actionnaires des anciennes société ferroviaires dont la Sncf était issue. Ça ne s’imposait pas vraiment puisque ça marchait bien comme ça et que les actionnaires ne se plaignaient pas non plus. Par dogme, le très libéraliste gouvernement actuel va transformer un des derniers fleurons en SA où il aura une participation de moins en moins importante, gage de nouvelles suppressions de lignes et d’emplois. D’ici la fin de l’année prochaine, le nom devrait changer. « les trains français » ou une déclinaison de « Oui » qui semble l’idée géniale de ces dernières années (oui-go et même inOui). À moins qu’on ne préfère « France Trains », en anglais naturellement.
Ce qui est aberrant, c’est que, à l’heure où l’on parle de réduire le nombre de voitures, à l’heure où les projets de voitures et surtout de camions autonomes se multiplient (quels risques en cas de bug ?), on ne comprends l’abandon du potentiel d’un transport guidé et donc hautement sécurisé. Or, vue la politique actuelle d'Sncf, on peut craindre qu'il n'y ait plus d'infrastructure du tout pour le jour où il faudra en passer par le tout-train. On dirait que tout est fait pour rendre irréversible la remise en activité des lignes encore existantes.
Pendant ce temps, les chemins de fer autrichien ÖBB reprennent les activités des trains de nuit dans plusieurs pays européens et notamment en Allemagne où les DB connaissent des difficultés énormes après avoir été présentés comme le modèle à suivre. Ils ont déjà fait des propositions pour relancer les trains de nuit en France mais nous avons vu ce qu’il en est.
Supprimer les Train-Auto-Couchettes n’est pas anodin. Ça s’inscrit dans une logique libéraliste qui consiste à détruire ce qui marche bien et donne satisfaction pour le remplacer par quelque chose qui n’est pas demandé et qui est plus cher et, surtout, plus loin. Ce schéma est transposable pour tous les services publics et, après les retraites, sans doute la Sécurité Sociale est-elle déjà dans le viseur.
Photos : le Creusot (mairie) bogie TGV (Serge Martin)
passage à niveau (Michel Vuillermoz)
TGV - Lieusaint - Octobre 1983 © Marc Carémant
archives et ÖBB (trains autrichiens)