Qui regretta Thunberg ?
Oui, c’est vrai, la rime est plus difficile avec Thunberg qu’avec Garbo, cher Henri Tachan. C’est sans doute pour ça que ni vous ni personne ne s’y est encore risqué en français.
On a tout dit de Greta, qu’elle ne fait que répéter ce que d’autres, dans l’ombre écrivent pour elle, qu’elle est manipulée, qu’elle est autiste, que c’est une enfant. Arrêtons-nous un instant sur ce concept. Il est intéressant de noter que, selon les circonstances, selon le but recherché, on classe une adolescente dans la catégorie enfant ou jeune adulte. Donc, on ne veut surtout pas voir Greta comme une jeune fille mais comme une gamine. Les uns mettent en avant la spontanéité de son innocence quand d’autres ne veulent voir que sa minorité. Pour la première fois, sans doute, une enfant, une très jeune peut avoir une influence au niveau mondial. Les jeunes héroïnes ne manquent pas mais leur rôle était limité dans le temps et dans la géographie. Nous vivons l’époque des médias de masse, de l’Internet, outil d’accompagnement de la globalisation. Rien d’étonnant que son impact dépasse celui de Jeanne d’Arc. Passons sur ceux qui la suivent ou l’adulent. On les comprend facilement. Restent les autres, ceux qui la vilipendent et n’ont pas de mots assez forts contre elle.
Que nous dit Greta Thunberg ? En simplifiant, elle demande à quoi bon étudier, si le monde que vont trouver les ados est invivable. Ceux qui gagnent beaucoup d’argent en rendant le monde invivable ou, a minima, sans s’en préoccuper, voient d’un mauvais œil cette contestataire qui, au lieu d’opposer une phraséologie marxisante ou écolo, en appelle à la mauvaise conscience. Les dominants ont appris à contrer les arguments, y compris les plus irréfutables. Quelqu’un comme Trump considère que la vérité n’est qu’une opinion parmi d’autres. Au passage, personne ne reproche à un grand dirigeant planétaire, à un patron milliardaire, de tenir des propos préparés par d’autres. Concernant Greta, d’un côté on lui reproche son jeune age et sa minorité mais de l’autre, on s’insurge contre ses propos visiblement élaborés par d’autres, qui ont une connaissance plus longue (forcément) et plus approfondie des dossiers. En fait, on aimerait que ses propos relèvent de ce qu’une certaine presse spécialisée nomme « les mots d’enfants ». On voudrait que ses propos relèvent de « l’école des fans » ; pour ceux qui se souviennent.
On en est loin et les adultes détestent ces enfants qui ne restent pas dans leur rôle d’enfant, c’est à dire d’être mineur et soumis. Nombre de parents rabaissent leurs propres enfants quand ils font mine de raisonner. Où irait-on si l’on laissait les enfants penser par eux-mêmes et émettre des réflexions ! On admet la « crise de l’adolescence » tant qu’il s’agit de chevelure improbable ou de velléités d’émancipation mais surtout pas quand il y a remise en cause de l’autorité. Avec Greta Thunberg, on franchit un pas puisqu’elle dérange, non pas tant par ses réflexions que par ses interrogations rhétoriques. Elle demande : « comment osez-vous ? ».
En réalité, elle s’en prend à tous ces dirigeants, tous ces décideurs qui répètent jusqu’à la nausée qu’ils préparent l’avenir alors même que tout ce qu’ils mettent en œuvre contribue à appauvrir les ressources naturelles et l’espace vital. En France, depuis quelques années, nous connaissons une déclinaison particulière qui est « la dette que nous allons laisser à nos enfants ». Cette formule sert à faire avaler toutes les régressions. Comme si, depuis des siècles, les gouvernants, y compris les plus vertueux (ne parlons pas de Philippe le Bel) n’avaient pas contracté de dettes, laissées à ceux qui viendront après, pour assurer l’avenir. Il n’y a pas eu de crise à chaque fois. Au contraire, cette fois, c’est la crise qui a provoqué l’endettement, y compris dans les États les plus vertueux financièrement. En revanche, les mêmes – toujours en France – ne se soucient guère des déchets radioactifs pendant des siècles que nous laissons parce que nous nous obstinons à produire de l’électricité avec des centrales atomiques. Les mêmes se targuent de préparer un avenir sans pollution aux hydrocarbures en fonçant, soudainement, dans les moteurs électriques à batteries. Pour des décennies encore, nous ne saurons pas comment recycler les batteries. En clair, elles seront entreposées sur des surfaces encore prises à l’agriculture, en attendant qu’on trouve le moyen de s’en débarrasser ; au moins partiellement. Ces batteries modernes utilisent du lithium qu’il faut importer de l’autre bout de la planète ; encore pire que le pétrole. Elles utilisent des terres rares qui, comme leur nom l’indique, sont rares et vont être épuisées rapidement. Comment prétendre qu’on va laisser une planète propre dans ces conditions ? Comment prétendre qu’on se préoccupe de l’avenir de nos enfants ?
Parmi les autres formules toute faites que prononcent les adultes à l’envi, il y a aussi « je suis majeur et vacciné », « je suis adulte et je fais ce que je veux », « je suis responsable ». Fort bien mais ce ne sont là que des mots vidés de tout sens qui servent surtout à justifier qu’on agit dans son seul intérêt immédiat. Nous n’apprenons rien de l’Histoire qui est un éternel recommencement. Nous n’apprenons rien du présent. Nous regardons, à la télévision, sur l’Internet, les mêmes images de la tempête Gloria après celle de Xinthia, il y a quelques années. La tempête Xinthia est passée
On repasse les mêmes reportages, les mêmes témoignages de victimes éplorées qui oublient tout quand les murs sèchent après avoir constaté que les dégats ne sont pas si importants. On regarde les incendies en Australie peu après ceux de l’Amazonie et avant ceux de Californie.
Penser que se débarrasser de l’emprise intellectuelle et idéologique de Dieu permet de dominer la nature est une faute qui ne pardonne pas. La nature se venge et venge les siens mais sans discernement. Ce sont toujours les mêmes qui paient les fautes des irresponsables qui prennent les décisions fatales.
Cependant, ce qui dérange davantage dans l’initiative de Greta Thunberg, c’est qu’elle donne mauvaise conscience à tout le monde ; le monde adulte bien entendu. Elle interpelle ces parents qui, la main sur le cœur tiennent des propos du genre : « les enfants, vous savez, c’est l’avenir », « mes enfants passent avant tout », et autres formules ressassées depuis la nuit des temps pour donner bonne conscience. Elle, elle en appelle à du concret et se désole de voir qu’à moyen terme – donc de son vivant – l’air sera pollué un peu partout, la température aura augmenté, les déserts auront avancé, les glaciers continueront de fondre, le niveau des mers aura englouti nombre de côtes et de grandes villes portuaires, que l’espace encore disponible sera bétonné pour loger l’augmentation de la population et l’afflux de réfugiés climatiques, économiques et politiques, que par conséquent, les surfaces cultivables diminueront fortement, que les richesses produites ne proviendront plus de l’exploitation des ressources, de la culture ou de la manufacture mais des seules transactions financières, ce qui, de toute façon, satisfera largement ceux qui en profitent. Un mot encore sur l’agriculture. On commence à peine à parler « d’artificialisation » des terres. En clair, il s’agit de bétonner les terres mais sans doute, une fois de plus, se sentirait-on inférieur si l’on parlait simplement. On bétonne les terres quand on construit pour loger, quand on crée des « zones d’activités », quand on construit des infrastructures. Ça coûte bien moins cher d’acheter des terres agricoles et de les aménager à sa guise que de réhabiliter des friches industrielles déjà « artificialisées ». Donc, on bétonne, encore et toujours. Le pire, c’est que toutes ces zones d’activités ont peu d’impact sur le chômage car il s’agit, le plus souvent de délocalisation. Donc, entre l’exploitation des ressources et le logement, la part cultivable se réduit comme peau de chagrin et il faut nourrir toujours plus de monde. Les belles âmes, en général des religieux, affirment que la Terre peut nourrir jusqu’à 13 milliards d’individus. Il y a quelques décennies, ils affirmaient qu’on pouvait nourrir 8 milliards. Maintenant que nous y sommes, miraculeusement, le potentiel augmente. Il suffit pour ça de mieux partager, de respecter les équilibres, etc. On sait tout ça depuis la crise du Biafra et tout ce qu’on a trouvé pour y remédier, c’est l’aide humanitaire. Dans le cas qui nous préoccupe, il n’y a, pour l’instant, que l’agriculture intensive au moyen d’intrants chimiques pour y parvenir ; donc davantage de pollution et de risques de maladies.
La force mais également la faiblesse de Greta tient dans la culpabilité qu’elle fait porter, non seulement aux décideurs mais à tout un chacun quand on se paie de mots, de belles formules d’apparence généreuse et responsable alors que ce ne sont que des phrases répétées depuis toujours.
Or, personne n’aime éprouver la mauvaise conscience, surtout ceux qui, bardés de certitudes, sont pris en défaut sur un point essentiel de leur existence.
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