Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
1 février 2020

Terminus gare du Nord

Ça y est, la guerre est déclarée à Paris ! Les candidats sont connus et font montre d’imagination pour se faire élire. Ce qui a été le plus remarqué, ce sont les sorties des deux antagonistes du même parti, LREM, qui ont proposé de repousser, chacun, une gare parisienne en banlieue. À cette occasion, un chroniqueur essaie de lancer le concept de « january bullshit » (connerie de janvier) par analogie avec les « october projects » aux États-Unis, annoncés juste avant les élections là-bas.

https://www.cnews.fr/france/2020-01-26/paris-les-gares-du-nord-et-de-lest-embarquees-dans-la-campagne-921062

Évidemment, les réseaux sociaux sont déchaînés et traitent les deux malheureux de tous les noms. Pardon, mais il s’agit-là d’un très très vieux projet. En effet, dans les années 1950, parmi les aménagement de Paris envisagés, il y avait le report des gares parisiennes à la périphérie immédiate mais dans le but de réaliser l’interconnexion qu’on attend toujours. La première devait être la gare d’Austerlitz, mal située, assez peu commode. Songeons un instant que, jusqu’à la fin des années 1960, les trains de banlieue traversaient la gare en surface avant de s’enfoncer dans le tunnel pour rejoindre les berges de la Seine et continuer leur course. Les voyageurs empruntaient alors un passage à niveau dans la gare pour rejoindre leur quai. Jusqu’à la fin des années 1980, date d’entrée en service du TGV-Atlantique au départ de la gare Montparnasse, le terminus napoléonien accueillait un fort trafic en provenance du sud-ouest et de l’Espagne. Ça la fichait mal comme première impression de Paris. Austerlitz était donc toute désignée pour ouvrir le bal des reports. Entre temps, le boulevard périphérique a été construit et l’on ne jurait que par le tout-automobile pompidolien. À l’heure où l’on parle, parfois, de plus en plus, de transformer le périf en promenade plantée, imaginons le nombre de véhicules qui traverseraient Paris ou le hectares de terres arables à bétonner pour créer des autoroutes en grande banlieue s’il n’y avait pas cette ceinture autoroutière.

Rappelons qu’il a été sérieusement question, à cette époque, d’en finir avec le train puisque l’avion se développait pour les grandes distances et la voiture pour les courtes. Les plateformes ferroviaires (le sol sur lequel sont posés les rails) auraient servi d’autoroutes facile à construire et desservant les villes moyennes.

D’ailleurs, ça aurait pu être réalisé quand on a transformé les entrepôts de Tolbiac qui prolongent la gare d’Austerlitz. On sait que le Président Mitterrand voulait sa très grande bibliothèque et a choisi un projet, joli sur le papier mais complètement inadapté à la conservation, à la recherche et à la lecture ; sans compter l’accès difficile. Néanmoins, quand on arrive en train par là, on peut admirer les quatre tours en forme de livre ouvert à 90°. De l’autre côté, on aurait pu saisir l’occasion de faire une grande et belle gare internationale, nationale et banlieue reliée au nouveau métro automatique Méteor, celui-là même qui roule les jours de grève. Un pôle multimodal par dessus et le tour était joué. Il faut rappeler que, depuis quasiment la création des chemins de fer puis du métro parisien, on n’a toujours pas trouvé le moyen de relier confortablement les deux gares, d’Austerlitz et de Lyon, construites chacune d’un côté de la Seine. En plus, prendre le trom quand on sort avec ses bagages de la gare d’Austerlitz relève de la performance sportive. Soit on monte des escaliers ouverts à tous les vents, soit on descend pour atteindre l’autre station construite très en-dessous de la gare. La nouvelle station de métro « Bibliothèque » est justement reliée à la Gare de Lyon. Le problème, c’est qu’elle ne dessert pas la gare d’Austerlitz. Il a été proposé, un temps, de créer une annexe de la Bibliothèque Nationale dans les anciens bureaux de la gare d’Austerlitz de style Haussmannien et de désaffecter la gare de surface dédiée aux grandes lignes. La place suffisait mais Mitterrand tenait à son projet monumental et Chirac ne voulait pas ouvrir d’hostilité sur les projets présidentiels (comme l’Opéra-Bastille), les réservant pour d’autres causes.

Donc, la gare d’Austerlitz qui a repris une partie du trafic de sa voisine de Lyon, saturée, est toujours aussi minable. Les derniers travaux consistent à poser une dalle par-dessus pour créer un espace vert mais rien pour faciliter le trafic ferroviaire devenu souterrain ni pour l’accueil des voyageurs. Il a même été question, un moment, de faire traverser la verrière par une voie automobile rapide. On y a renoncé en raison du coût et, avec une nouvelle majorité municipale, l’heure n’était plus au tout-automobile. Néanmoins, comme tous les nouveaux maires, le successeur de Chirac (de Tibéri en fait), a terminé les travaux en cours et on a construit de vilains immeubles le long des voies, un campus universitaire éclaté (si ça existe) et tracé une nouvelle avenue destinée à prendre le nom de Chirac un jour. Ce jour ne devrait plus tarder puisque les municipales sont dans un mois et demi.

gare_du_nord_municipales

Il est devenu interdit de critiquer Jacques Chirac. Ceux de droite voient en lui le dernier grand président de chez eux et ceux de gauche ne veulent plus voir que son refus de la guerre contre des Arabes et comment il a envoyé promener les autorités israéliennes lors de sa visite dans le quartier arabe de Jérusalem. Les emplois fictifs, les coups tordus, les personnalités de gauche envoyées en prison pour des scandales amplifiés par la droite et ses médias, on n’en parle même plus. Ceux qui lisent ces lignes ne savent même pas de quoi il s’agit. Pourtant, sur Paris, bien que travaillant peu sur les dossiers parisiens puisqu’il était tout entier occupé par sa carrière et ses nombreux déplacements (sans compter son passage à Matignon), Chirac impulsait l’esprit dans lequel devait être géré sa capitale ou, plutôt, son marche-pied pour accéder à l’Élysée. Ainsi, il n’a eu de cesse de vendre les terrains encore disponibles – notamment des terrains de sports avec leurs installations – au profit de promoteurs tandis qu’il réclamait à cor et à cris que l’État lui cède le foncier qu’il possède à Paris. Ça concerne les ministères, des musées, les universités, des administrations, les casernes, les prisons et, bien sûr, les chemins de fer et leurs gares. C’est comme ça que la Ville de Paris a récupéré, notamment, la prison de la Roquette pour y construire des logements sociaux qui manquent tellement à Paris. À ce moment de la lecture, on est prié de verser une larme en pensant que les plus modestes ne peuvent plus se loger dans Paris. Les terrains sont vendus au plus offrant qui réalise des résidences de luxe ainsi qu’on a transformé le quartier de cavalerie Duplex. Ça n’a pas empêché, cependant, d’élire et réélire des maires socialistes qui, eux, préfèrent des habitats mixtes. C’est à dire qu’ils n’ont pas les moyens de construire des HLM mais négocient avec les promoteurs la construction de quelques logements bas de gamme à côté des beaux appartements.

Quoi qu’il en soit, il est piquant de constater aujourd'hui que la Maire actuelle et deux de ses rivaux ont adopté la même mentalité consistant à exiger que l’État cède du terrain (au propre comme au figuré) pour réaliser leurs projets les plus emblématiques. On apprend, quasiment le même jour, qu’un tiers de l’Hôtel-Dieu, hôpital en plein milieu de Paris, va perdre un tiers de sa surface au profit d’un promoteur qui ambitionne d’y installer un hôtel de luxe et un restaurant itou qu’on préfère appeler « gastronomique ». Comme il est idéalement situé, qu’il accueille des urgence au centre de la capitale et, notamment, des urgences ophtalmologiques, les Hôpitaux de Paris (dont la Mairie est propriétaire) va construire dans les cours intérieures de l’édifice pourtant classé vu que, de toute façon, il se trouve à côté de Notre-Dame, ce qui va être transféré pour faire un hôtel.

https://www.20minutes.fr/paris/2521451-20190519-va-devenir-partie-hopital-hotel-dieu-paris-cedee-80-ans-promoteur-immobilier

Les candidats rivaux, eux, envisagent de récupérer le foncier ferroviaire pour en faire de grands jardins. Les gares iront se construire plus loin. Techniquement, c’est possible. Il suffit de casser le béton et les fondations des voies et les remplacer par le double de volume de terre végétale (plus si l’on veut planter des grands arbres) : une paille ! On prendra la terre là où l’on va construire les nouvelles gares tandis que les gravats des anciennes serviront de fondations aux nouvelles. Tout ceci est absurde mais traduit bien le mépris profondément ancré chez beaucoup de gens pour le train. On dit que les Français aiment le train et rien n’est plus faux. Il suffit de voir le nombre de plaintes, de pétitions contre le train depuis des dizaines d’années et le blocage de nombre de projets qui incommodent les électeurs. À Aix en Provence où le trafic est anecdotique, même du temps de la mine de Gardanne, on a construit une colline artificielle pour enterrer la voie ferrée. Les riverains, partout en France, s’opposent à la remise en service de lignes abandonnées qui leur a procuré un prix d’achat intéressant puis une tranquillité enviable qui donne de la valeur à leur patrimoine. Ailleurs, ce sont des écologistes vent debout contre toute création de nouvelle ligne. Curieusement, dans ces cas-là, les écolos sont écoutés. Les Français aiment le train mais à la télévision, pour les paysages. Quand ils sont dedans, ils font tout pour ne pas les regarder : baisser les rideaux, lire un bouquin (le Guide du Routard avait publié une liste avec le temps correspondant à des voyages) et, bien sûr, maintenant, le smartphone qui fait tout.

À Paris, il s’agit d’envoyer ailleurs ceux qui prennent le train. Autrement dit, son atout principal qui est la proximité se retrouve à la périphérie comme l’avion. Il est facile de comprendre ce qui pourrait se passer. Malgré tout, on doit se taper les rodomontades des uns et des autres sur le changement climatique et la transition écologique alors que les mêmes – oui les mêmes – ne font rien dans le meilleur des cas ou le contraire. Mme Hidalgo, maire de Paris, n’est pas en reste puisque elle a annoncé que l’essentiel de son programme consiste à faire de Paris une ville sans voiture. En même temps, elle répond à l’interrogation formulée précédemment

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2019/12/20/37880853.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2019/12/21/37882410.html

à savoir que les travaux et les récents aménagements de la voirie ont pour but de dissuader de prendre la voiture. Le problème, c’est qu’on ne prend pas la voiture à Paris pour le plaisir et que, de toute façon, l’offre de transports – pardon de « mobilité » – ne suffira jamais. Ou alors, il faudrait envisager des queues interminables d’autobus dans toutes les rues et quasiment en permanence. Et puis, il faut bien livrer les commerçants. En attendant, Paris est devenu comme Marseille un gigantesque embouteillage dès 16 h 30 et pareil le matin avant 9 h. Paraît-il qu’il ne faut plus fluidifier le trafic car ça encourage l’automobile. Est-ce que les embouteillages ne causent pas plus de pollution qu’un trafic fluide ? Nous avons vraiment une classe politique hors-sol.

Il ne faut pas croire, comme ce chroniqueur, que ces projets absurdes seront abandonnés. Maintenant qu’ils ont été formulés et médiatisés, on peut s’attendre à ce qu’ils soient repris dans un avenir plus ou moins proche. Il suffira qu’un jour, on décrète que chaque Parisien doit être à une distance définie d’un espace vert de tant d’hectares pour qu’on remette cette loufoquerie sur le tapis. La solution moyenne n’est pas très difficile à mettre en place. Il suffit, comme ça a déjà été fait à Montparnasse et maintenant à Austerlitz, de recouvrir les voies et les quais d’une dalle et de planter.

On retiendra de cette affaire que la classe politique et médiatique rivalise d’imagination pour faire croire qu’on prépare la transition écologique pour une Terre de 8 milliards d’habitants quand les industriels et les financiers continuent à polluer et épuiser les richesses naturelles. On lance les projets les invraisemblables, on nous demande d’éteindre les pièces où l’on n’est pas, de prendre des douches (comme si l’on avait le temps de prendre un bain le matin avant d’aller au boulot), bientôt de récupérer l’eau, de nous laver avec un verre d’eau quand on incite à prendre l’avion pour aller à Barcelone ou à Marrakech comme on prenait le train hier. On retiendra que, à l’heure où l’on nous dit qu’il faut limiter les déplacements, renoncer à prendre l’avion pour découvrir le monde et élargir son point de vue, le train est défavorisé et par Sncf en premier qui, sur son site, suggère de prendre le bus plutôt que le train. On retiendra enfin que le personnel politique actuel lance des projets qui reposent sur des hypothèses qui éludent les milliers de personnes sans abri qui vivent et meurent dans les rues alors que ça devrait être la priorité absolue. Il faut voir l’image de la France renvoyée au monde entier. Est éludé également le chômage de masse, la nécessité pour un ménage de posséder deux voitures, les problèmes nés de l’allongement de la durée de vie avec les conséquences en termes de santé et d’épuisement des aidants, le bétonnage des terres alors que la population explose et qu’on prône l’agriculture extensive et de proximité. Rien de tout ça n’est pris en compte par une classe politique qui traite les citoyens comme variables d’ajustement de leurs expériences.

 

 

https://www.cnews.fr/france/2020-01-26/paris-les-gares-du-nord-et-de-lest-embarquees-dans-la-campagne-921062

 

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 682
Newsletter
Publicité