Kirk DOUGLAS est un écrivain
Pas la peine de s’étendre sur la carrière de Kirk Douglas. On la trouve partout et on en oublierait.
En revanche, il me paraît intéressant de revenir sur sa prestation sur le plateau d’Apostrophes, émission culte de la télévision française à une époque où l’on ne prenait pas encore tous les téléspectateurs pour des imbéciles et où l’on pouvait se cultiver à peu de frais dès 21 h 30 puis 22 h puis un peu plus tard. Dès l’origine, Antenne 2 se positionnait sur ce créneau-là : des émissions de qualité dans tous les genres. Il y avait Guy Lux qui, quoi qu’on en dise, proposait des émissions bien ficelées même si l’on avait l’impression de voir toujours la même. Il y avait tout le reste, dont « Apostrophes ». Une fois Marcel Julian évincé à la fin de son mandat et Jacques Chancel avec lui, ses successeurs n’ont pas pu – et peut-être pas voulu non plus – se lancer dans une course à l’audience en abaissant le niveau d’exigences. « Apostrophes » a duré des années jusqu’à ce que son producteur emblématique se lasse et décide d’ouvrir son émission à d’autres genres que la littérature.
Littérature ? Le mot est lancé, il était le pivot de l’émission mais, au fil des ans, peut-être aussi parce que la production laissait moins de choix, on a surtout présenté des livres dans lesquels la littérature n’était qu’un lointain souvenir. M. Bernard Pivot, le producteur et animateur se mettait en vedette et les autres lui servaient la soupe pour espérer, en retour, des ventes pharamineuses. Tout a commencé lorsque, feignant d’assumer son age, il a posé des lunettes de lectures bien au bout de son nez, assumant le ridicule et la défiguration pour montrer qu’avec lui, on pouvait passer outre et que l’important n’était pas sa tenue. On sait que tous les jours, les directeurs de chaînes recevaient (reçoivent encore?) des lettres pour protester contre la couleur de la cravate d’un animateur. Lui, posait ses petites lunettes bien au bout pour n’avoir pas à les retirer à chaque fois qu’il lisait un extrait. « Apostrophes » est devenu une institution par où il fallait passer et a été caricaturée par Pétillon et tant d’autres. Il suffisait de montrer des gens assis autour d’une table de salon, avec un personnage qui semblait diriger tous les autres au fond, les chaussettes bien apparentes en bas des pantalons relevés. On assumait la tenue négligée pour se focaliser sur le fond, sur la littérature.
Or, il a suffi d’une émission où Borniche était l’invité principal pour que d’autres dénient à l’ancien commissaire le titre d’écrivain pour lui préférer le terme péjoratif « d’écrivant ». Pourtant, la distinction n’a pas fait recette. Personne n’a suivi cet auteur dont tout le monde a oublié le nom quand les autres ont perduré. Dès lors, puisque les barrières étaient tombées, il fallait en profiter. M. Pivot a invité n’importe qui pourvu que son nom ou le sujet assure l’audience de l’émission et, éventuellement, les ventes de livre. Alors que l’émission a réuni les meilleurs, on ne retient, 30 ans après la dernière, que l’éthylisme de Bukowski et quelques accrochages comme celui entre Gainsbourg et Guy Béart. En fait, l’alcool était devenu l’ingrédient indispensable du succès de l’émission bien plus que la littérature dont il était pourtant fait beaucoup mention. C’est dommage parce que, pendant au moins premières années, M. Pivot a reçu les plus grands du monde entier.
Aujourd’hui, à propos d’une affaire scabreuse dont l’émission a été le tremplin ou la caisse de résonance, M. Bernard Pivot se réfugie derrière la très commode « littérature » pour justifier sa complaisance. Il regrette qu’on ne parle plus de littérature mais de morale. Mais lui, comment peut-il qualifier de littérature, des récits, des témoignages de gens qui nous racontent comment ils se sont amusés avec des jeunes à peine pubères, comment d’autres attendaient dans les pissotières pour se faire mettre, d’autres encore ont avorté à 20 semaines, comment d’autres décrivent la couleur de leurs urines, comment certains ont commencé à sniffer à 7 ans ou se sont vendues à 12 et toutes les histoires possibles et imaginables qui ont été publiées ? Au bout de 10 pages de cet acabit, le lecteur aurait dû balancer ça à la corbeille et, en réunion, avec les autres, dire qu’on s’en fiche de leurs vilaines histoires. Or, non seulement ça n’a pas dû arriver souvent (la preuve) mais, en plus, ce genre de récit est devenu banal. Il suffit d’écouter les échanges au « Masque & la Plume » pour comprendre qu’il y a au moins deux bouquins de ce genre en discussion chaque mois. Ça veut dire que les éditeurs savent qu’il y a un public pour ça. Ce genre de bouquins se vend bien et même très bien et la plupart des publications ne nous épargnent pas au moins un chapitre qui nous révèle l’intimité d’un personnage réel ou fictif dans ce qu’il y a de plus impudique ou glauque. Voir aujourd’hui que les éditeurs retirent ces titres de leurs catalogues est le summum de l’hypocrisie. Ils auraient dû commencer par ne pas les y mettre mais ils ont pensé que ça se vendrait et, dans le meilleur des cas, que ça compenserait les faibles ventes d’écrivains dignes de ce nom ; c’est à dire qui font des efforts de style, d’originalité, qui innovent. Je crois que ça s’appelle la littérature.
Précisément, face à un acteur mondialement connu, M. Pivot a cru bon en appeler aux fondamentaux de la littérature et rabaisser son invité à son statut de vedette de Hollywood venu faire une tournée pour vendre son bouquin. De plus, rien de glauque dans ce qu’il raconte sinon le parcours d’un garnement né dans une famille de chiffonniers avant de connaître la gloire. Pas d’alcool, pas de drogue, pas de liaison scandaleuse, même pas de clope. S’il ne pouvait décemment pas le louper, M. Pivot n’a pas caché qu’il se serait bien passé de l’inviter. Les récits d’une vie qui commence au plus bas pour finir au sommet sont moins intéressants que les descentes aux enfers et les transgressions. C’est là que, dans un français remarquable pour quelqu’un qui n’a pas étudié, l’acteur Kirk Douglas répond, tel le Forgeron de Rimbaud :
« Je suis un écrivain, monsieur Pivot ».
https://diccionarioasterix.blogspot.com/2010/02/caricaturas.html
Qu’il me soit permis de mentionner la performance de Kirk Douglas dans le film sur « La Vie passionnée de Vincent van Gogh »