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la lanterne de diogène
3 mars 2020

Jérusalem au temps du califat

Les habitués de La Lanterne de Diogène seront familiers avec les lignes qui suivent et qui sont bien introduites par l’article intitulé POUR UN ROCHER...

 

https://www.geo.fr/histoire/jerusalem-au-temps-du-califat-200035#nlref=3c9d74680918cdaf304d17f65777de9a&srAuthUserId=3c9d74680918cdaf304d17f65777de9a&srWebsiteId=58&utm_campaign=20200302&utm_medium=email&utm_source=nl-geo-quotidienne

 

Par Francisque Oeschger - Publié le 24/02/2020 à 13h12 - Mis à jour le 24/02/2020

En 638, les musulmans prennent Jérusalem aux Byzantins. Bien qu’elle demeure une petite cité de province dans l’immense empire d’Orient, la Ville sainte va connaître, sous l’impulsion des califes, un rayonnement intellectuel et religieux sans précédent.

« Ceci est une des batailles de Dieu », aurait déclaré le général arabe Khaled à ses hommes avant d’affronter les troupes de l’empereur byzantin Héraclius dans la région de Yarmouk (actuelle Jordanie), en 638. Comment ces guerriers venus de la péninsule arabique, plus habitués à organiser des raids ponctuels qu’à soutenir des batailles rangées, vont-ils réussir à mettre en déroute l’armée de l’Empire romain d’Orient qui a triomphé vingt ans plus tôt des Perses, autrement plus puissants ?

Dans son livre Jérusalem Biographie (éd. Calmann-Lévy, 2011), l’historien anglais Simon Sebag Montefiore avance deux explications. D’une part, Héraclius est sorti affaibli d’un conflit avec les Sassanides (614-617). D’autre part, les nomades d’Arabie sont galvanisés par leur nouvelle religion, l’islam, qui prédit l’arrivée imminente du Jugement dernier dont l’avènement, selon la tradition biblique, doit avoir lieu à Jérusalem. « L’heure est proche », dit le Coran, leur livre sacré. La victoire de Yarmouk leur ouvre les portes de la Palestine et de la Ville sainte.

 

Le calife Omar reçoit la reddition des Byzantins

Assiégés par Khaled, surnommé « l’Epée de l’islam » par le prophète Mahomet, les habitants de la cité, qui ont souffert de l’occupation perse, préfèrent négocier. En 638, le calife Omar, deuxième successeur de Mahomet, vient en personne, si l’on en croit la tradition musulmane, recevoir leur reddition. « Une pieuse légende », selon l’historien Vincent Lemire qui a dirigé l’édition du livre collectif Jérusalem, histoire d’une ville-monde (éd. Flammarion, 2006), mais une légende indispensable à « la sacralisation de Jérusalem comme troisième ville sainte de l’islam », après La Mecque et Médine.

Omar se fait conduire sur l’esplanade du Temple, là où se trouve la « Pierre de la fondation » du monde, le rocher sur lequel, selon la Bible, Abraham (Ibrahim en arabe) était prêt à sacrifier son fils Isaac (Ismaël), le lieu mythique où le roi Salomon avait bâti le fameux Temple abritant l’Arche d’alliance, reconstruit par Hérode avant d’être rasé par les Romains en 70 après J.-C. Abraham, dans le Coran, sert de trait d’union entre la tradition biblique et la nouvelle religion révélée à Mahomet par l’archange Gabriel. La tribu des Quaraychites, à laquelle appartient la famille du Prophète, est censée descendre d’Ismaël. Et Mahomet, toujours d’après les sourates du livre sacré, aurait fait un « Voyage nocturne » à Jérusalem, chevauchant un coursier ailé, le Buraq. Arrivé sur le rocher du Temple, il aurait été conduit au ciel par un ange (l’épisode dit de « l’ascension ») pour y rencontrer Allah ainsi que les anciens prophètes, et visiter le paradis et l’enfer.

 

Omar ne profite pas longtemps de son succès militaire. En 644 – l’an 22 du calendrier musulman – il est assassiné à Médine. Sa succession provoque des dissensions au sein de la tribu des Quaraychites. Un gendre de Mahomet, Othman, qui appartient au clan des Omeyyades, une puissante famille de La Mecque, lui succède. Alors que les Arabes poursuivent leurs conquêtes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Othman est assassiné à son tour. L’accession au califat d’Ali, l’époux de Fatima, une autre fille du Prophète, provoque un schisme entre ses partisans, les chiites, et les musulmans orthodoxes, les sunnites. La première fitna (guerre civile), appelée la « Grande discorde », va durer cinq ans. En 661, à la mort d’Ali, Mouawyia, un parent d’Othman jusque-là gouverneur de la province de Syrie, se fait proclamer commandeur des croyants.

Mouawyia, le premier calife de la dynastie omeyyade

 

Surnommé « le César arabe », le premier calife de la dynastie omeyyade installe sa capitale à Damas dont il rêve de faire une nouvelle Rome. Ce souverain cultivé et raffiné préfère pourtant séjourner avec sa cour à Jérusalem. Depuis qu’Hélène, la mère de Constantin, le premier empereur romain d’Orient converti au christianisme, a fait construire dans les années 320 l’église du Saint-Sépulcre (la basilique de l’Anastasis pour les orthodoxes) sur l’emplacement du tombeau de Jésus, les chrétiens dominent la ville, devenue un grand centre de pèlerinage. Ils bénéficient de la tolérance du nouveau calife qui laisse les monothéistes (juifs, zoroastriens, chrétiens), considérés comme faisant partie des peuples du Livre (les dhimmi), pratiquer librement leur culte.
Sous le règne de Mouawyia, les musulmans poursuivent leur expansion territoriale dans l’est de la Perse et en Asie centrale, et se rendent maîtres de Chypre et de Rhodes. Sa mort, en 680, provoque une deuxième guerre civile.

 

Le Dôme du Rocher, le plus ancien monument architectural de l’islam

Après deux brefs interrègnes, Abd al-Malik, un proche parent de Mouawiya, est proclamé calife à Jérusalem en 685. Il va couronner la Ville sainte de ce joyau qu’est le Dôme du Rocher, le plus ancien et le plus spectaculaire monument architectural de l’islam. Pourquoi a-t-il choisi de bâtir ce bâtiment insolite, d’inspiration byzantine ? « Ni mosquée, ni mausolée, sa signification échappait le plus souvent aux pèlerins. […] Elle nous échappe encore aujourd’hui en partie », note Vincent Lemire. En fait, le Dôme du Rocher semble répondre à un double objectif, religieux et politique. De par sa taille imposante et la richesse de sa décoration, il affirme la puissance de la nouvelle religion face au Saint-Sépulcre de la Ville sainte et à l’empire byzantin. Et il déplace le centre de gravité du pouvoir musulman de La Mecque à Jérusalem.

 

Achevé en 692, l’édifice, avec son assise octogonale et son déambulatoire intérieur de douze colonnes entourant le sommet du célèbre rocher d’Abraham, est coiffé d’un dôme de 21 mètres de diamètre dont le revêtement d’or illumine les murailles ocre et les ruelles poussiéreuses de la ville. « Son dôme rappelle ceux du Saint-Sépulcre et de Sainte-Sophie à Constantinople » tandis que « son déambulatoire fait penser à la Kaaba de La Mecque », note l'historien Simon Sebag Montefiore. Abraham, Jésus et Mahomet : c’est la synthèse des trois monothéismes dont l’islam se veut l’aboutissement.
L’intérieur de l’édifice est recouvert de riches mosaïques mélangeant les styles perse, byzantin et arabe – seule la façade extérieure, telle que l’on peut l’admirer de nos jours, sera remaniée sous le règne de Soliman le Magnifique, au XVIe siècle.

 

Abd al-Malik entreprend dans le même temps la construction d'une grande mosquée, à l’extrémité sud de l’esplanade (là où sera bâtie plus tard la mosquée al-Aqsa). Elle sera ensuite restaurée par son successeur, son fils Walid. Autant d'édifices religieux qui font du mont du Temple le « Noble sanctuaire » (al-Haram al-Sharif) pour les musulmans, là où Mahomet, lors de son « Voyage nocturne », aurait laissé l’empreinte de son pas.

La dynastie des Omeyyades, l’âge d’or de l’islam ?

Si Abd al-Malik est contesté par une partie des musulmans qui lui reproche d’avoir dévoyé le califat, à l’origine simple fonction religieuse, en le transformant en monarchie héréditaire, la dynastie des Omeyyades (661-750) est considérée aujourd’hui encore par les nationalistes arabes comme l’âge d’or de l’islam. Sous son règne, Damas étend ses frontières de l’Indus jusqu’à la péninsule ibérique. En Occident, ses troupes, après avoir franchi les Pyrénées, ne seront arrêtées qu’à Poitiers, en 732, par Charles Martel. Au Proche-Orient, seule Constantinople, bien qu’assiégée à plusieurs reprises, leur résistera. Un tel empire – jamais, par la suite, il ne retrouvera une telle expansion – nécessite une solide organisation.

 

Les califes omeyyades mettent en place une administration centrale dont la langue est l’arabe, la monnaie unique le dinar, et dont les différents bureaux (les diwans) sont chargés de contrôler les affaires religieuses, la politique, l’armée et les finances. Le califat se veut toujours tolérant avec les « Gens du Livre ». Mais si chrétiens, juifs et zoroastriens peuvent devenir fonctionnaires de l’empire tout en continuant de pratiquer librement leur culte, ils n’en sont pas moins des sujets de deuxième classe, astreints à un impôt particulier. Enfin, les Omeyyades couvrent la Syrie, l’Arabie et tous les pays conquis de monuments qui s’inspirent de l’architecture du Dôme du Rocher et d’Al-Aqsa : des mosquées, dont la Grande Mosquée de Damas, un chef-d’œuvre du début du VIIe siècle, mais aussi des palais, des forteresses, des caravansérails et des châteaux dans le désert.

 

Après la mort d’Abd al-Malik, ses successeurs, qui vivent entourés d’une cour fastueuse, se montrent parfois moins tolérants. Omar II, bien que réputé pour sa sagesse et sa piété, interdit aux Juifs de prier sur le mont du Temple. Yasid II, l’iconoclaste, ordonne la destruction des images chrétiennes. Des dissensions au sein du clan provoquent une troisième guerre civile. Un chiite installé à Koufa (Irak), Abou al-Abbas, descendant d’un oncle du Prophète, en profite pour se proclamer « calife à la place du calife », une formule promise à un bel avenir. S’étant emparé de Damas, en 750, le fondateur de la dynastie des Abbassides (750-969), surnommé le « Massacreur », extermine les Omeyyades dont le seul survivant se réfugiera en Espagne où il créera l’émirat de Cordoue. Les descendants d’Abou al-Abbas ont installé leur capitale à Bagdad, non loin de l’antique Babylone. Ils négligent Jérusalem qui n’est plus qu’une petite ville de province réputée pour sa douceur de vivre.

 

Des heurts fréquents opposent les chrétiens aux musulmans et aux juifs

Dès la fin du VIIIe siècle, l’Occident chrétien s’inquiète de l’occupation de la Ville sainte par les « Sarrazins », comme on les appelle. En l’an 800, Charlemagne, qui vient d’être sacré empereur, sollicite du calife Haroun al-Rachid, le héros des Mille et Une Nuits, l’autorisation de construire près du Saint-Sépulcre une auberge destinée à accueillir et protéger les pèlerins venus d’Europe. Le maître de Bagdad, qui y voit l’occasion d’affaiblir l’influence de son rival byzantin, ne s’y oppose pas. Cela ne suffira pas à consolider la dynastie abbasside qui voit se succéder à sa tête, entre autres, un prince turc et un eunuque éthiopien. « L’instabilité politique favorisait la concurrence entre les religions », remarque Simon Sebag Montefiore. Des heurts fréquents opposent les chrétiens aux musulmans et aux juifs. En 966, ces derniers s’allient aux Arabes pour attaquer le Saint-Sépulcre et brûler le patriarche Jean sur un bûcher.

 

Catastrophes, tyrannie...l'empire fatimide se délite

Trois ans plus tard, en 969, les Fatimides, des chiites ismaéliens venus d’Afrique du Nord, envahissent l’Egypte puis s’emparent de Jérusalem. Ils installent leur capitale au Caire. La Ville sainte connaît une brève période de tolérance. Mais en l’an 1000, le nouveau calife, al-Hakim, le « Caligula arabe », persécute avec une rare cruauté les chrétiens et les juifs. Il fait raser le Saint-Sépulcre et démolir les synagogues. Douze ans après son assassinat, en 1021, un tremblement de terre achève de dévaster la ville, détruisant la Grande Mosquée. Les deux édifices seront reconstruits, mais l’Empire fatimide continue de se déliter.

Au Caire, les Turcs seldjoukides prennent le pouvoir. Ils défont l’empereur byzantin à la bataille de Mantzikert (1070) et ravagent Jérusalem. Puis leurs généraux dépècent l’empire pour s’y tailler des fiefs personnels, précipitant sa désintégration. L’époque glorieuse des premiers califats est révolue. « Les monstruosités d’Hakim, la défaite de l’empereur byzantin, la prise de Jérusalem par les Turcomans [Turkmènes] et le massacre des pèlerins ébranlèrent la chrétienté », résume Simon Sebag Montefiore. Le 27 novembre 1095, à Clermont (Auvergne), le pape français Urbain II appelle tous les chrétiens à délivrer la Terre sainte et le tombeau du Christ. La ville est devenue un enjeu stratégique entre l’Orient et l’Occident. En juin 1099, les Francs, comme on appelle indistinctement les chevaliers venus d’Europe, font le siège de Jérusalem. Après le rayonnement du califat, une nouvelle ère va s’ouvrir, celle des croisades.

 

📸 En images : la Ville sainte au temps de l'empire d'Orient.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire de décembre 2019 - janvier 2020 sur Jérusalem (n°48).

 

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