Municipales à Paris : demeurer malgré tout
La circulation, ou plutôt la congestion, dans Paris a occupé la première partie de notre observation de l’évolution de la capitale. Voyons à présent comment on y vit aujourd'hui.
Le précédent maire était habité par la volonté très jospinienne (MM. Delanoé et Jospin se côtoyaient dans le 18e arrondissement où ils étaient élus), de tirer un trait sur l’existant, quitte à supprimer ce qui donne satisfaction pour imposer des nouveautés que personne ne demande et qui ne plaisent pas au plus grand nombre. Donc, parmi les leitmotivs, on trouvait cet entêtement à ne pas faire de Paris une ville-musée, comme si c’était une tare ou comme si rien n’avait plus d’importance. Dans son esprit, cela signifie casser l’image pittoresque des quartiers tout en consacrant un budget pharamineux à l’achat d’objets de décoration urbaine, pompeusement qualifiés d’œuvres d’art pour justifier des prix indécents. C’est autant qui ne va pas à l’entretien du patrimoine que le monde entier envie à Paris, ni à l’aide sociale, à la propreté ou la sécurité.
Il est frappant de voir sur les cartes postales anciennes comment les rez-de-chaussée des artères parisiennes étaient autrefois occupés par des commerces de détail, généralement alimentaires, puis à la fin du siècle dernier, par des boutiques de fringues avec des titres plus ou moins anglais. Aujourd’hui, les rez-de-chaussée sont habités et les rues sont désertes. Là où il y avait des rues commerçantes, on trouve généralement des boutiques où l’on fabrique des repas à livrer avec la flotte de vélomoteurs garés sur le trottoir ou, dans le meilleur des cas, un peu plus loin. On trouve les inévitables « kébabs » et, entre les deux, l’entrée de ces petits supermarchés qui se sont installés depuis le début du siècle, qui s’agrandissent passées les portes coulissantes et le sas mais qui ont contribué à la fermeture des derniers commerces d’alimentation.
Paris est en train de se vider de ses Parisiens pour devenir une ville haut-de-gamme avec, au bas de l’échelle, les bobos qui se prévalent d’habiter une capitale avec des activités culturelles, et peuplée de propriétaires qui louent cher des logements aux touristes de passage et, si possible, aux touristes les plus friqués.
Paris avait cette réputation mondiale d’être une cité d’exception. Combien de fois ai-je entendu, au cours de mes voyages, dire « Paris est unique » ! Il n’était pas seulement question des monuments, de l’architecture urbaine, des quartiers typiques mais aussi de cette cohabitation du petit peuple, des étudiants, des intellos, des artistes. C’était l’âme de Paris devenue aujourd'hui invivable pour ses habitants qui la quittent contraints et forcés. D’ailleurs, les petits commerces ferment devant l’invasion de magasins franchisés, les mêmes que partout dans le monde. Paris demeure encore une des principales destinations touristiques mondiales. Malgré le mauvais accueil des étrangers, ils en conservent néanmoins un bon souvenir à cause du charme qui règne dans la plupart des quartiers. Il est bien évident qu’ils ne vont pas à aller à Paris pour voir des gratte-ciels tels qu’on en trouve partout et sur tous les continents à commencer par chez eux. Même s’il y avait une myriade d’hôtels cinq-étoiles et encore plus de restaurants gastronomiques et encore plus de boutiques de luxe, ce ne serait pas pour cela qu’on viendrait à Paris. On va pas faire le déplacement rien que pour claquer des milliers de dollars pour manger, dormir et passer le reste du temps à acheter des fringues ou des bijoux. Ce type de touristes existe mais ils appartiennent au fameux 1 %, à la rigueur 2 %. Il faut qu’il y ait quelque chose à voir ou à faire et si l’on détruit le charme de Paris, il ne viendra plus grand monde. De nos jours, les touristes aiment flâner, s’égarer dans les quartiers qui ne sont pas mentionnés dans leurs guides. Ils ne vont pas aller se balader au pieds des tours de béton et de verre.
On construit dans Paris. On construit toujours et les municipalités socialistes veulent à tout prix voir de nouvelles tours monumentales après avoir fustigé la tour Montparnasse pompidolienne qui émerge d’une ville encore à taille humaine dans bien des quartiers. Si l’on parle d’une tour par-ci par-là, on ne fera plus un quartier entier comme La Défense (hors de Paris d’ailleurs), les Olympiades ou les Batignolles, ne serait-ce que parce qu’il n’y a plus de réserves foncières comme on a pu en connaître avec la fermeture de l’usine Citroën, des différentes gares de marchandises, et l’aménagement de la plaine Vaugirard, petit appendice au sud de Paris où se trouve notamment l’héliport. Tout a déjà été bouffé par le béton. De plus, ce n’est pas l’ambition de Mme Hidalgo ni de son prédécesseur. Aujourd'hui, la communication n’est plus fracassante autour des projets parisiens. D’abord, nombre de compétences relèvent de la Métropole et de la Région, comme les transports. Cependant, la Mairie se garde bien de présenter des transformations massives mais cible plutôt des quartiers nouveaux en récupérant des emprises ferroviaires ou autres. Si elle affiche une volonté de ne pas faire de Paris une ville-musée, l’obsession pathologique consiste à chasser la voiture de la capitale et d’en faire une vitrine écologiste, au sens où l’entendent ceux qui sont épargnés par des contraintes plus terre-à-terre. Or, on n’attend pas d’une ville aussi prestigieuse, la pose des dalles, de bancs, de poubelles pour trier ses déchets et des pistes cyclables partout, comme on a fait aux alentours du Mucem à Marseille, désespérément déserts malgré le soleil et le bord de mer. On voit déjà à Paris que ces places bien propres, sans commerce autour, sans vie, sont désertées par la population.
Paradoxalement, plus on construit, plus la capitale se vide de ses Parisiens. Paris livrée aux promoteurs, ce n’est pas nouveau. Simplement, on aimerait autre chose de la part de gens qui se prétendent socialistes avec le soutien des écologistes et des communistes. L’augmentation du nombre de logements sociaux est surtout due à la requalification de logements du parc de la Ville de Paris. Les nouveaux sont ceux concédés par les promoteurs en échange de la construction de résidences de luxe. On parle ainsi de mixité sociale. Pardon de parler de mon cas mais je suis né dans un immeuble sous-haussmannien où se côtoyaient des nationalités différentes et surtout des gens de conditions différentes. S’il n’y avait certes pas de riches, il y avait des vrais pauvres (famille entassée dans une pièce avec latrines sur le palier), petits commerçants au-dessus de leurs boutiques mais le reste composé d’ouvriers, d’employées de bureau, de fonctionnaires dont un commissaire de police. Là, c’était vraiment la mixité sociale même si le terme n’existait pas à l’époque ; tout simplement parce qu’on ne se posait pas ce genre de question. On vivait tous ensemble, on se connaissait tous et ça se passait bien dans l’ensemble. Les enfants jouaient dans la cour ou devant l’immeuble sous la surveillance des parents ou des voisins, là encore sans se poser de questions. La mixité selon les canons actuels, ce sont des appartement, certes corrects mais sans plus, à côté d’appartements de standing. Les deux ne se mélangent pas.
L’élection d’un maire à la tête de la capitale, depuis 1977, a sans doute renforcé cette tendance à décider en haut lieu de ce qui est bon pour ses habitants en fonction de l’idée qu’on se fait de la France. Chirac avait fait de Paris un marche-pieds pour la Présidence. Si les socialistes ne nourrissent pas d’ambition personnelle, faute de personnalités fortes, ils espèrent néanmoins prouver que leur gestion de la capitale parvient à concilier les projets écologistes avec une économie fortement privée par la délégation de nombreux services au secteur marchand. Tout comme M. Jospin avait davantage privatisé que ses prédécesseurs de droite à Matignon. Les amusements coûteux comme l’Autolib ne sont rien comparés à cette valeur sure qu’est l’immobilier. Néanmoins, ce qui est proposé par la candidate à sa réélection oblige ses compétiteurs à se livrer à une surenchère de projets toujours plus verts. Entendons-nous bien. Vert signifie afficher une grande réalisation pour frapper les esprits mais sans aucune considération pour l’impact environnemental. Ainsi du report à la périphérie de grandes gares parisiennes. Parvenir à faire pousser des arbres sur une ancienne friche ferroviaire augmenterait, certes, les surfaces vertes dans la capitale. Il faudra néanmoins que les millions de voyageurs qui fréquentent la gare sacrifiée arrivent à destination. Donc, il faudra bétonner ailleurs et assurer d’une manière ou d’une autre la continuité entre la nouvelle gare périphérique et le centre, donc occuper les rues avec des nouveaux transports ou augmenter le nombre de voyageurs dans le métro qui est déjà bondé la plupart du temps.
Cependant, toutes ces considérations relèvent de l’étude politique où l’on part du principe que l’électeur est rationnel et choisit parmi les programmes le meilleur. Tout autre est la réalité, sinon il n’y aurait plus besoin de procéder à des élections. Les Parisiens (dont les journalistes font partie) sont focalisés sur les étiquettes politiques et leur lisibilité. Quelqu’un comme M. Gaino l’a appris à ses dépens. Il s’est présenté aux législatives de 2017 sans l’investiture (= l’étiquette) de la droite et a été battu. Il en a profité pour cracher le morceau :
« L’électorat (de la 2e circonscription) est à mes yeux à vomir (…).
Entre les bobos, d’un côté, qui sont dans l’entre-soi de leur égoïsme et puis cette espèce de bourgeoisie traditionnelle de droite, celle qui va à la messe, qui envoie ses enfants au catéchisme et qui après vote pour un type qui, pendant 30 ans, s'est arrangé pour tricher par tous les moyens. (…) Un peu pétainistes, vous savez tous ces gens-là qui ont voté pour la primaire de la droite. (…) Je constate, c’est tout. Je constate ce qu’ils ont fait au moment de la primaire. Je constate pour qui ils ont voté, contrairement à tous leurs préceptes moraux ; cette hypocrisie du socle sociologique sur lequel la droite s’est rétrécie. »
https://www.youtube.com/watch?v=CVcmXlmQnEc
En d’autres termes, les électeurs parisiens ne votent pas pour les qualités d’une personnalité mais pour son appartenance politique, pour le logo qui figure en bas de l’affiche et pour ce qu’incarne ce candidat. Dans le cas de Mme Hidalgo, c’est sa capacité à flotter sur tous les thèmes à la mode repris par les médias, sans aucune considération du contexte ni du patrimoine de Paris. C’est la communication, l’esbroufe. Vidée presque complètement de ses Parisiens, la population parisienne ressemble de plus en plus à celle d’un film ou d’une série télévisée où l’on choisit des personnages archétypiques pour faciliter la compréhension de l’intrigue. En fait, c’est parce que les autres candidats présentés par les grands partis et donc médiatisés, sont particulièrement médiocres que Mme Hidalgo sera réélue et puis, on l’espère un peu parce qu’on a toujours la faiblesse de penser qu’elle est quand même un peu de gauche et que ça vaut mieux pour la capitale. Ça fait beaucoup de peu. Il arrive aussi que les électeurs préfèrent ne pas avoir Jospin au deuxième tour.
Mme Dati se présente justement dans le ressort décrit par M. Gaino. Elle a donc toutes ses chances mais il n’en demeure pas moins qu’elle n'est bonne que lorsqu'elle dispose d'un discours bien préparé. Le reste du temps, elle fait comme Reagan autrefois, elle raconte des histoires pour amuser la galerie car elle ne connaît rien à rien. Il suffit de se rappeler comment elle répondait aux questions quand elle était tête de liste aux Européennes.
À droite, il y a encore Mme Buzyn, parachutée en catastrophe mais qui a vite compris qu’elle devait s’allier à la précédente. Sans scrupule, elle abandonne le ministère de la Santé au moment où se répand une épidémie. Certes, il ne manque pas d’intelligence ni de compétence en France mais l’on peut quand même s’interroger sur cette manière de servir la République. Le Gouvernement est une pétaudière. On en part, on arrive comme bon semble à chacun. On choisit son maroquin. On attend son tour. On s’absente pour assurer la campagne électorale dans sa ville, au cas où. C’est un hall de gare.
Justement, en parlant de gare, M. Villani a frappé un grand coup en proposant d’en transformer une en espace arboré intra-muros. Il fallait bien ça pour qu’il émerge mais il n’est pas sûr qu’il réussira.
Il a contre lui d’être macroniste et mathématicien. Donc, tous ceux qui ont de mauvais souvenirs des maths à l’école ne voteront pas pour lui quand tous ceux qui en ont de meilleurs ne le soutiendront pas forcément. Il avance sans étiquette, ce qui n’est jamais bon à Paris où, qui plus est, se trouvent les sièges de tous les appareils politiques. Dans le passé, tous les candidats dissidents ont été rejetés massivement par les électeurs qui aiment les positions tranchées et clivantes. En plus, son allure, même avec des cheveux moins longs, n’est pas de nature à attirer. Pourtant, tout montre qu’il possède une très bonne connaissance des dossiers et qu’il voit loin ; trop loin pour la classe politique qui ne propose que des solutions de nature à assurer la réélection et pour l’électeur de base qui veut que les problèmes qu’il connaît dès qu’il sort dans la rue soient résolus. Le succès, tel que les sondages le montrent, des deux opposantes évoquée, montre bien que les électeurs ne regardent pas les compétences des candidats mais leur étiquette politique.
À Paris, on assiste à des surenchères pour planter des arbres, végétaliser l’urbain, éliminer la voiture thermique et même le train ainsi que certains transports en commun. On ne saurait trop recommander aux candidats de s’inspirer d’un certain Michel Crépeau qui, dès le milieu des années 1970 avait compris qu’on ne pouvait plus être envahis par les voitures en ville. Il avait favorisé la circulation en vélo en en mettant gratuitement à disposition. Nombre de rues du centre de sa ville ont été dévolues aux seuls piétons ; une première en France à l’époque. Il avait obtempéré à la campagne menée par le journaliste Noël Mamère, dans son émission « C’est la vie » (créée par son directeur M Elkabach) sur Antenne 2, pour installer systématiquement des bancs dans les arrêts d’autobus qu’il avait promus aussi. Il avait favorisé ce que Mme Hidalgo appelle « les déplacements doux ». Tout cela en quelques mois. Il n’avait pas hésité à détruire certaines installations qu’il venait de créer pour faciliter aussi l’usage de la voiture dans sa ville car il écoutait les besoins de ses administrés. Autrement dit, il voulait impulser un partage de l’espace urbain entre les piétons et assimilés et l’usage inévitable de l’automobile. La Rochelle n’est pas Paris, loin de là mais a la réputation d’être une ville où il fait bon vivre, sans l’agressivité qu’on peut observer dans des communes comparables. Michel Crépeau a donné l’exemple et a inspiré nombre de maires de gauche pendant des années. Il serait peut-être temps de retrouver son esprit.