C'est Sophia Aram qui le dit qui l'est
Il fallait s’y attendre. Avec la délation à la petite semaine et autres joyeusetés, on entend un peu tout le monde balancer sa solution pour venir à bout de la pandémie de covid 19. Le reste du temps, on appelle « diagnostique fulgurant », la réponse apportée in petto par ton interlocuteur quand tu lui avoues souffrir de quelque chose. Sans même t’examiner, connaître tes antécédents, il sait, lui ou elle, ce dont tu souffres très exactement et ce qu’il faut pour guérir. Nous en avons déjà parlé mais ce préambule introduit bien notre sujet.
On croyait que, sur Inter,la suspension de la chronique des humoristes puis leur reprogrammation une heure plus tard – et l’on se demande bien pourquoi – avait permis à certains de retrouver le sens de l’humour, aidés par une situation qui rend dérisoires leurs habituelles ficelles consistant à parler des parties du corps qui font rire les Français à tout coup, à tirer sur des ambulances, à régler ses comptes avec des personnalités qui, elles, ont du succès, à dézinguer l’invité politique. On en revenait aux fondamentaux mais pas pour longtemps puisque, ce lundi 13 avril 2020, Sophia Aram retrouve ses vieux démons. Le plus fort, c’est qu’elle commence un peu comme nous venons de le faire, en dénonçant la propension de tout un chacun à s’ériger en spécialiste de la chloroquine. Prêtons l’oreille, ça va devenir intéressant. Las, un premier lapsus sur le sras au lieu du covid 19 (à moins que pour elle ce soit pareil) ouvre des propos incohérents mais, finalement, qui portent la marque connue de l’auteure. Voici qu’elle met Ségolène Royal, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Jean-Marie Bigard, Donald Trump comme des exemples types de personnes qui, selon elle, n’y connaissent rien mais ont un avis sur la chloroquine. Elle rajoute que « Valérie Boyer déblatère sur le bien fondé des essais cliniques, même Franz-Olivier « fucking » Giesbert invente pour l’occasion le concept « d’efficacité incontestable non prouvée scientifiquement ». Ces deux derniers devant, selon elle, achever de convaincre l’auditeur du bien fondé de sa dénonciation. Puis, elle avoue – et c’est tout à son honneur – qu’elle n’y connaît rien sur la chloroquine mais qu’elle la considère comme un « révélateur de crétinerie » ; ce qui n’est toujours pas faux. Alors pourquoi s’énerver ?
« Vous prononcez le mot « chloroquine » et ils rappliquent tous avec leurs pétitions nauséabondes, leur démocratie sanitaire, leur éthique pleine de miasmes et leurs sondages expérimentaux. Pire, leurs témoignages chevrotants ne sachant plus très bien s’il doivent la vie à la chance ou à leur croyance dans les statistiques hasardeuses d’un traitement qu’ils revisitent à l’aune de leur dévotion envers Didier Raoult dont seule l’Histoire nous démontrera s’il s’agissait d’un scientifique déguisé en druide ou l’inverse ».
Tout ça pour en arriver là ! On passe encore sur l’accumulation de locutions dont le but est de remplir afin que la chronique ne soit pas trop courte. À ce stade, on ne comprend pas tout ce qui précède puisque, après avoir dénoncé tous ceux qui donnent leur avis sur le traitement à la chloroquine sans rien y connaître, elle se permet, elle, de le faire, mais sans doute estime-t-elle qu’elle possède la légitimité pour le faire. Plus fort encore, la longue citation insinue clairement qu’elle le considère comme un mystificateur : témoignages chevrotants, statistiques hasardeuses, dévotion (donc manifestation d’adoration, donc émotion) pour quelqu’un présenté comme un charlatan. Pour elle, c’est un farfelu, un illuminé qui croit pouvoir guérir une pandémie en buvant une tisane de sa préparation.
Cependant, ce n’est pas ce qui motive ces lignes mais le raisonnement, finalement assez répandu, qui considère toute personne qui apparaît à la télévision sur le même pied d’égalité. Déjà, au début de sa chronique, Sophia Aram met à égalité des personnalités politiques nationales, un chef d’État étranger et un humoriste. Notons que pour faire contre-poids à Le Pen, elle met deux personnalités de gauche. Il faut bien ça : 2 gauches pour 1 extrême-droite. Passons sur la logique qui la fait citer Bigard et Trump à la suite des autres. Valérie Boyer (qui c’est celle-là?) citée pour qu’il y ait aussi quelques femmes. Franz-Olivier Giesbert sans doute en raison de la longueur de son nom pour remplir mais pourquoi « fucking » ? Cependant, ce qui est intéressant dans son raisonnement, c’est qu’elle ne reconnaît aucune autorité à quelqu’un qui est au minimum médecin (8 ans d’études supérieures minimum), spécialiste (encore 2 ou 3 ans de plus) et dont les travaux et les compétences lui ont valu la direction d’un Institut Hospitalier Universitaire dans la 2e ville de France. Comme n’importe quelle pipelette, Sophia Aram se permet de douter des compétences d’une sommité en raison de son faciès, et de se demander s’il est un druide (= un sorcier, un imposteur) ou un scientifique. Elle ne demande pas depuis combien de temps il est descendu de son arbre où il coupait le gui mais tout juste. Les vieux clichés. Or, dans le passé, nous avions déjà été époustouflé de l’entendre traiter Mme Audrey Pulvar (qui officiait sur Inter) de, je cite, « petite consœur », considérant que le fait de parler dans un micro les mettaient à égalité toutes les deux.
C’est un lieu commun de rappeler que la télévision est une redoutable machine à niveler et que, pour la plupart des téléspectateurs, ceux qui passent à la télévision, outre qu’ils sont soupçonnés de ne pas travailler vraiment et de jouer de leur physique, font tous plus ou moins la même chose, qu’ils soient présentateurs, animateurs, journalistes, experts, invités, acteurs, sportifs, personne politique, Président de la République, etc. Tout ça c’est pareil, c’est de la télévision et s’ils ont une bonne tête, ils sont bien mais sinon, ils n’ont évidemment aucune qualité.
Donc, pour Sophia Aram qui n’a besoin d’aucun diplôme (même si elle en a) pour déblatérer pendant 5 minutes toutes les semaines, un éminent spécialiste en maladies infectieuses et tropicales – critiquable certes – est au même niveau que Michel Cymes qui lui même est au même niveau que Patrick Cohen, Yves Calvi, Laurent Delahousse, Ali Rébeihi ou elle-même. L’Internet a sans doute amplifié cette tendance à tout mettre à égalité et à ne reconnaître aucune compétence, aucune autorité, aucune qualité. Si la télévision met tout le monde au même niveau, l’Internet permet l’exclusion et la disqualification. On mettra à l’écart les plus compétents en les accusant non seulement de ne pas l’être mais de défendre un groupe, des intérêts hostiles à la cause qu’on défend soi-même. Enfin, chacun se sent légitime à critiquer tout le monde et diffuser sa bonne parole. Le succès du complotisme vient de la suspicion systématique : votre conclusion me déplaît (car elle dessert mes intérêts ou ceux de mes amis) donc, je vous dénie toute compétence et j’en appelle à interdire votre expression publique au nom de la défense de mes amis.
Bien sûr, Sophia Aram ne défend aucun groupe en particulier. Sa démarche consiste plutôt à se croire plus intelligente puisqu’elle se prétend capable de maîtriser le sujet de l’infection au coronavirus et de discréditer les travaux d’un des plus éminents spécialistes de la question en ironisant sur les résultats positifs qu’il a obtenus. Le fait même d’en parler pose qu’on est plus intelligent que la moyenne et même un peu plus que le professeur Raoult. La preuve, c’est que la première radio de France lui confie une chronique hebdomadaire depuis des années. On peut même suggérer que c’est grâce à de telles intelligences qui s’exprime au micro que les auditeurs sont aussi nombreux à écouter. 4 millions écoutent la matinale, si l’on en croit les 30 000 personnes interrogées. N’empêche, ce nivellement, ce dénigrement perpétuel au fil des nombreuses chroniques qui ont envahi les antennes depuis des années, continue ce travail malfaisant qui réduit à néant des travaux scientifiques en les exposant à la vindicte de pitres qui n’ont que cette solution pour se maintenir. La liste serait longue de tous les chroniqueurs en vue désormais tombés dans l’oubli après avoir causé parfois des dégâts.
Cette chronique à charge contre le Pr Raoult traduit bien le travers typiquement français qui consiste à mépriser ceux qui gagnent et préférer les seconds, voire les perdants. Autre travers bien français, c’est le formatage universitaire qui dénie à tous ceux qui travaillent en dehors, le droit de faire des recherches utiles et à disqualifier systématiquement tous leurs résultats. En France, on aime ceux qui perdent et, surtout, ceux qui n’obtiennent pas de résultats.