Quand le savant montre ses travaux, Sophia Aram regarde sa barbe. (réponse à Jérémy)
Nous convergeons, avec Jérémy, sur l’utilité des amuseurs. Je règle tout de suite la question de leur rémunération car elle revenait dans les chroniques de Didier Porte lorsqu’il officiait. Pour faire passer sa récrimination auprès des auditeurs qui s’offusquaient, M. Stéphane Bern, à l’époque animateur du « Fou du roy » (comme l’écrit Jérémy) disait que c’était une « private joke ». Sur Inter, les cachets ne doivent pas être mirobolants mais il faut considérer que c’est toujours mieux que rien pour des intervenants et autres chroniqueurs qui, sans cela, demeureraient confinés dans l’anonymat. La question que je me suis toujours posé, c’est de savoir où ils sont allés les chercher. Pourquoi, amène une réponse plus évidente. Le producteur espère sans doute que, l’amateurisme, la méconnaissance des codes des médias apporteront une spontanéité qui bousculera un peu les auditeurs. À plusieurs reprises, j’ai attiré l’attention sur cette espèce de concours de celui qui a la plus grosse, à savoir celui qui osera, celui qui poussera le bouchon le plus loin. Je cite souvent aussi la première chronique matinale de Stéphane Guillon qui, à un moment s’écrie : « Ah, j’ai dit bite, sur France-Inter à 7h 54. Que va-t-il se passer ? ». Comme bien sûr, à part les éclats de rires dans le studio, rien ne s’est passé, il en a rajouté à chaque fois jusqu’à ce qu’il comprenne que taper sur les ministres ou anciens ministres, taper sur l’invité du jour, était devenu banal sur « la radio de service public ». Il décide alors de s’en prendre à son employeur en insinuant que s’il se faisait recadrer, c’était sur ordre direct de l’Élysée. Il était évident qu’il était victime d’un complot hourdi contre lui en haut-lieu, ce qui lui donnait une importance que les autres chroniqueurs n’avaient pas. Qui se souvient de Stéphane Guillon ? Aujourd’hui, quelqu’un comme Jérémy, cultivé et bien informé, ignore jusqu’au nom de Sophia Aram et, sans doute, des autres chroniqueurs qui envahissent les ondes.
L’autre question est de savoir qui les embauche et leur utilité. Je crois pouvoir dire que tout a commencé avec Canal + quand il s’agissait de faire quelque chose de nouveau. « Nulle part ailleurs » devait innover et les interruption pour laisser la place à un chroniqueur a donné des idées aux autres. Est-ce que ces pitreries sont du goût du public ? Il faut croire que oui puisqu’elles perdurent et qu’on ne peut plus citer tous ceux qui ont, l’espace d’une saison ou moins, ponctué des émissions de divertissement ou d’information. En fait, le premier a probablement été M. Claude Villers dans son très original « Tribunal des flagrants délires » avec la chronique quotidienne de Pierre Desproges et quelques autres selon l’année ; jusqu’à ce que, comme Jacques Martin en son temps, il se dépare de Desproges visiblement insupportable et surtout pas fait pour travailler en équipe. On apprend qu’un Laurent Ruquier a fait ses armes, dans l’ombre du « Tribunal » et d’autres encore. Lorsqu’il a remplacé au pied levé les chansonniers vieillissants et prétentieux de « L’Oreille en coin – dimanche matin », il a fait appel à une pléthore d’humoristes chargés de nous distiller la bonne parole et de dézinguer l’invité, prié de courber l’échine et de sourire sous peine de passer pour un mauvais coucheur. Pourquoi les invités répondaient-ils alors à l’invitation ? Il y avait plusieurs cas de figure. La plupart ne connaissaient évidemment pas l’émission et pensaient vendre leur salade (bouquin, disque, spectacle) dans la bonne humeur. D’autres se disaient qu’il fallait en passer par là car, il y avait de moins en moins d’émission de promotion à la télévision. Pour d’autres enfin, c’était le seul endroit où l’on parlait encore d’eux. Rares ont été ceux qui, comme Gloria Lasso, ont répondu du tac au tac à un Didier Porte totalement déstabilisé. Où l’on entendait que le public présent n’attendait que ça – et sans doute depuis longtemps – pour signifier au pitre qu’ils ne l’appréciaient pas. Il se trouve que j’ai assisté quelques fois au « Fou du roi » et je puis dire qu’il était peu applaudi mais que les micros bien disposés donnaient l’illusion d’une salle entière qui ovationne l’intervenant. Tout le monde ne va pas au cirque dans l’espoir de voir le dompteur dévoré, même si ça existe aussi. Le public populaire et âgé qui assiste à ces émissions cherche d’abord à passer un bon moment et est plutôt « bon public ». Les scolaires qui s’y rendent pour voir comment se passe une émission en direct ne connaissent, en général, ni Inter, ni ses animateurs, ni les chroniqueurs, ni même la plupart des invités qui se succèdent au fil des jours. Encore un mot sur « le Fou du roi ». J’ai vu, une fois, un des chroniqueurs/commentateur présent sur le plateau dire une seul mot dans l’émission. Le type a été payé pour un mot dans une émission d’une heure et demi. Pour finir sur le sujet, je pose simplement la question : de tous les chroniqueurs qui sont passés chez les uns et les autres depuis 30 ans, peut-on en citer seulement dix sans faire d’effort de mémoire ?
D’une manière générale, j’ai souvent écrit ici que le modèle type de chronique sur Inter est le suivant : j’ai déniché une information (qui a échappé à tout le monde) ou plus simplement encore je commente ce que tout le monde commente depuis des jours. Voici ce que j’ai compris et voilà ce qu’il est convenable d’en penser. On a appelé ça, à un moment, la pensée unique. Notons aussi une dérive impulsée notamment par Guy Carlier consistant à donner des leçons de morale qui portent d’autant plus qu’on se dit qu’un humoriste qui traite un sujet grave fait preuve d’une grande sensibilité et sera d’autant plus crédible. C’est sur ce créneau que joue Sophia Aram.
Ce qui m’intéressait dans sa dernière intervention, c’était sa prétention à évaluer les travaux d’une sommité du monde médical et à le mettre au niveau des marabouts de Barbès, à Paris, pour ceux qui connaissent les lieux. On savait la propension des Français à être sélectionneurs de l’équipe de France ou Premier Ministre en toute circonstance. Voici qu’ils ajoutent une nouvelle corde à leur arc : ils sont tous devenus épidémiologistes. Je souscris complètement à la remarque de Jérémy qui constate que « les résultats qu'il produit sur le traitement du Covid-19 sont sans cesse démentis, voire détournés par une bureaucratie (ARS) qui est une émanation du système en place ». Or, ce qui a propulsé le Pr Raoult sur le devant, c’est justement qu’il obtient des résultats mais qu’on refuse de les prendre en compte car il n’aurait pas respecté les protocoles imposés par ses confrères et ça, quelqu’un comme Sophia Aram, pur produit de l’université française bien formatée et de la bien-pensance ne peut le supporter. C’est typiquement ce type de démarche qui entretient le complotisme amplifié depuis plusieurs années par l’Internet et, maintenant, les réseaux sociaux. Chacun peut s’improviser journaliste et même philosophe, étant son propre employeur, aucun diplôme n’est exigé. L’animateur Guillaume Meurice qui intervient chez les Belges d’Inter a pu interroger un jour un type qui s’estimait fondé à donner son avis puisqu’il était ingénieur. Ingénieur dans quelle spécialité ? Généraliste, répond le badaud. Parlant de diplôme, je rappelle que, précisément, non seulement aucun diplôme n’est exigé mais aucun diplôme n’est reconnu par les chroniqueurs et les intervenants des réseaux sociaux. Le Pr Raoult n’est reconnu (ou vilipendé) que parce qu’il porte les cheveux longs à son âge et une barbe druidique selon Sophia Aram. On se souvient que l’Abbé-Pierre passait bien à la télévision pour des raisons similaires. En revanche, aucun n’a pu lui succéder, ni le Pr Jacquard ni, plus récemment, M. Augustin Legrand. Leur critique féroce du système n’intéresse pas les médias qui en sont le pur produit et la caisse de résonance. L’Abbé-Pierre, le Pr Reeves, le Pr Raoult intéressent les médias à cause de leurs barbes prophétiques et, malheureusement, c’est aussi ce qui fait qu’on les écoute. Pour le reste, ils peuvent bien raconter ce qu’ils veulent. Je sais bien qu’il est mal vu, en ce moment, de se référer à la Chine mais le proverbe s’applique bien ici : quand le savant indique la lune, le sot regarde l’index. Pour être complet, il faut aussi préciser que le Pr Raoult semble écouté par le Président Macron et c’est sans doute ce qui a provoqué la fureur de la petite chroniqueuse. Qu’un savant obtienne des résultats là où les autres pataugent et qu’il ait l’oreille du Président de la République est tout à fait insupportable à la bien-pensance.
https://charliehebdo.fr/2020/03/actualite/chloroquine-sauver-des-vies-ou-respecter-des-protocoles/