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la lanterne de diogène
5 mai 2020

À propos de la mort d’Idir dans les médias

Je viens d’écrire que le chanteur Idir occupe une place considérable dans la mesure où il constitue un trait d’union entre l’Algérie et la France et que les relations compliquées entre les deux pays en ont besoin. Les deux pays s’adorent. Leurs peuples s’adorent et pourtant, combien de mépris de la part des uns et des autres entre ceux qui en veulent à mort aux Français qui les ont colonisés et ceux qui en veulent à mort aux Algériens ingrats mais bien contents d’avoir la France pour les soutenir. Arrêtons-là car la liste des griefs ne demande qu’à s’étendre.

 

Sur Inter, « radio de service public », « première radio de France », la nouvelle de la mort du chanteur a été signalée en passant dans le 1er grand journal parlé du matin à 8h. Certes, avec les difficultés dues au confinement, tout devient compliqué mais n’était-il pas possible de passer une chanson juste après ? Il est vrai que, depuis plusieurs années à présent, chaque émission est minutée, chaque pause musicale (on notera l’expression) est préparée, programmée par les programmateurs et que, même en présence de l’artiste, on ne passera ses chansons que sous forme d’extraits car on a plus important à promouvoir. Pensez, il faut de la place pour Philippe Katherine, Bertrand Belin et consorts qu’on n’entend pour ainsi dire que sur Inter qui semble s’être donné une vocation de défenseur des chanteurs sans succès et de pourfendeurs des autres.

À 9 heures, la journaliste préposée revient un peu plus longuement et rappelle son succès « vava inouva » et sa participation aux côtés d’autres artistes.

 

Déjà, pour Robert Herbin, j’avais pointé cette fichue tendance journalistique consistant à répéter ce qu’un autre à dit ou écrit un peu avant, sans se donner la peine de ce qui est l’essence même du journalisme, à savoir la vérification de l’information. Il a suffi que le grouillot chargé d’établir rapidement la nécrologie d’une personnalité oubliée et tombe sur le mot « sphinx » pour que tous les autres répètent qu’on ne l’appelait pas autrement que « le sphinx ». Encore une fois, c’est comme ça qu’on écrit l’Histoire et que ceux qui ont vécu l’époque ne la reconnaissent pas dans les écrits a posteriori.

 

On sait que l’objectivité ne peut pas exister mais la vérification est toujours possible. Or, je découvre l’article du Monde qui annonce la mort d’Idir et comprends que tous l’ont lu, car ce devait être le premier à l’annoncer en ligne. Outre qu’il y a un manquement, ce qui est vraiment stupéfiant, c’est que la journaliste, visiblement, ne connaît ni le chanteur Idir, ni son succès qu’elle dit pourtant être international, comme si son métier ne consistait qu’à lire des informations sans se sentir concernée. Idem pour le rédacteur de l’article du Monde Afrique en lien avec l’AFP. On peut penser d’ailleurs que l’erreur vient de l’agence puis reprise par tous les autres. Ce qui est aberrant, c’est l’inculture des journalistes actuels. La page en ligne du Monde est celle de l’Afrique. On peut penser que ceux qui y travaillent, même un dimanche, même en confinement, sont des spécialistes. Si l’on ne peut pas exiger qu’ils connaissent les variétés du grand continent, on peut au moins espérer qu’ils les plus célèbres, ceux qui sont en place depuis plus longtemps et surtout s’ils sont connus en France où ils réalisent l’essentiel de leur carrière et de leurs succès. Eh bien, il faut croire que non, ça ne va pas de soi.

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/05/03/le-chanteur-idir-l-un-des-principaux-ambassadeurs-de-la-chanson-kabyle-est-mort_6038485_3382.html?fbclid=IwAR3aagQJZ1iyDhYuO9y46W1wQlGpH_1ANSnIifE0BoHDVrmbuE5oX5FMMMQ

 

Oh, il y a un précédent. Lors des années terribles que l’Algérie a traversées, l’ineffable Fabrice Drouelle (par ailleurs excellent dans son émission actuelle « Affaires sensibles ») animait un « Téléphone sonne » et a donné la parole à une auditrice. Je cite de mémoire : Nous avons maintenant Djura. Alors vous, Djura, vous chantez, c’est ça ? - Bonsoir. Oui, je suis Djura. » Visiblement, M. Drouelle ne connaissait pas non plus. Pourtant, à Paris, il est facile de connaître les artistes tant il y en a qui se produisent. On était encore dans ces années où les musiques du monde étaient à la mode. Il faut croire que pas tant que ça. Ce qui est grave, ce que « la première radio de France », dite « de service public », qui se vante volontiers d’un auditoire instruit et cultivé, teinté à gauche, est composé d’un personnel de premiers de la classe, capable de réciter ce qu’il faut pour réussir aux examens mais surtout qu’on ne lui en demande pas plus. À quoi ça sert d’en savoir plus, justement ? À quoi sert d’avoir des connaissances sur le sujet abordé ?

 

L’autre regret concernant la mort d’Idir, c’est que, de toute façon, les radios ne vont pas modifier beaucoup leurs programmes pour qu’on se souvienne du chanteur kabyle. Là aussi c’est grave et là aussi, il y a un précédent. En 1982, l’Algérie était qualifiée pour le Mundial en Espagne, de même que la France qui y a brillé en alignant sa meilleure sélection de tous les temps. On aurait pu espérer que les matches avec l’Algérie seraient tous retransmis et à des horaires corrects. Or, les rédactions sportives des 3 chaînes de télévision ont privilégié, comme d’habitude, les « grandes équipes » et proposé les autres en 3e match de la soirée ou, tout au plus, en se disant que telle « petite » équipe était en forme en ce moment et que ce serait intéressant de la regarder. À aucun moment, les rédacteurs en chef, les directeurs n’ont pensé aux communautés étrangères qui vivent en France et qui auraient aimé voir leurs équipes. J’entends (parce que je les ai entendus à l’époque et encore maintenant) les grands indignés, engagés dans toutes les grandes causes et notamment celles qui touchent aux étrangers, immigrés, réfugiés et autres sans-papiers. Comme en général, ils détestent le foot, ils sont persuadés que ceux qu’ils défendent sont comme eux. Ils n’imaginent pas que si le football est aussi populaire, c’est parce qu’il est pratiqué dans le monde entier (à l’exception notoire du monde indien) et qu’il est suivi partout. Ils ne comprennent pas non plus que des gens qu’ils ne voient que comme des victimes puissent faire autre chose que se lamenter ou revendiquer. Pourtant, ils mangent, boivent, ont des distractions quand ils peuvent et le football et la chanson en font partie. C’est pas évident de vivre dans un pays étranger, qu’on y est contraint par les événements ou simplement pour le plaisir. Alors, quand on allume son poste de radio (son application de nos jours), son poste de TV et qu’on voit l’équipe de son pays d’origine ou qu’on entend chanter dans sa langue maternelle, les soucis disparaissent pour un petit moment et le sourire revient. C’est pas grand-chose mais ça fait plaisir. Qu’est-ce que ça coûterait aux radios généralistes, aux radios commerciales, aux chaînes de télévision, de passer des extraits d’émissions avec Idir ou des clips vidéos ? Qu’est-ce que ça coûterait de faire plaisir aux communautés étrangères en passant, de temps en temps, des chansons de chez eux plutôt que de la daube en anglais ? La vie est faite de petits gestes, de petites attentions qui apaisent les tensions. La situation des étrangers n’est pas un sujet de conversation ou un thème de débats politico-philosophique ni même une grande cause pour valoriser ses porte-paroles. C’est une réalité quotidienne dans laquelle on apprécie davantage un sourire gratuit, une main tendue qu’une vedette (même sincère) qui vient parler à votre place.

 

On n’a plus entendu Idir le lendemain de sa mort. Même la matinale du lundi qui, d’habitude, se fait une spécialité de reprendre les infos du samedi, du dimanche qu’on n’avait pas pu traiter, l’a ignoré. Sur les autres radios généralistes, silence à peu près complet. On ne le passait pas le reste du temps, on va pas faire exception au moment de sa disparition.

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Commentaires
L
Ce n’est pas tant l’ignorance d’Idir qui me chiffonne mais qu’à travers lui, c’est tout un pan de culture générale qui est ignoré. J’ai indiqué que, à Paris, il est très facile de connaître les divers artistes, y compris ceux qui évoluent dans un milieu bien particulier. <br /> <br /> <br /> <br /> J’ai évoqué mes années lycée à Paris qui correspondent aux années 1970. Certes, à l’époque, il était difficile de ne pas être conscientisé et donc sensible aux causes régionalistes ici ou indépendantistes ailleurs. Quoi qu’absolument pas concernés, nous ignorions peu du combat des Noirs d’Afrique du Sud, de leur lutte pour une Azanie indépendante et souveraine, nous connaissions la lutte des Bretons, des Occitans, des Corses, des Basques notamment. Aussi, le nom de Glenmor nous était familier, d’autant plus qu’il avait été invité par Guy Lux lui-même. On connaissait sa silhouette et celle d’autres chanteurs et groupes bretons. En revanche, il était plus difficile de connaître Joan-Pau Verdier, Luis Llach, ou Claude Marti. Plus difficile mais pas impossible car nous pouvions voir ces noms sur les affiches, officielles ou militantes, sur les murs de la capitale. À l’époque, les palissades de chantiers (nombreux à l’époque car nous étions à l’époque des 6e et 7e plans quinquennaux), les murs des taudis, les panneaux publicitaires officiels étaient recouverts d’affiches de spectacles, le plus souvent en une couleur (rouge de préférence) avec un graphisme minimaliste comme on dirait aujourd’hui. Ça allait des combats de catch ou de boxe aux petits spectacles dans des salles minuscules en passant par les cinémas du quartier et les réunions et autres fêtes politiques. Ces chanteurs engagés avaient table ouverte dans les grands rassemblements politiques. Ça montrait l’ouverture d’esprit des mouvements organisateurs quand il y avait des chanteurs qui ne chantaient ni en français ni en anglais et ça popularisait des causes.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Aujourd’hui, il n’y a bien sûr plus de fête de la section parisienne du PS, le gala du Monde Libertaire passe inaperçu maintenant que Léo Ferré, Georges Brassens, Lenny Escudéro ne sont plus là et plus personne ne fait attention à celle du Lutte Ouvrière qui coïncide avec la pentecôte. Il n’empêche qu’il y a toujours des spectacles dans Paris même s’ils ne s’affichent plus sur les palissades car les entreprises de BTP porteraient plainte contre les affichistes. Autre temps. Il est tout de même très facile de se tenir au courant de l’actualité culturelle, surtout quand on travaille dans une rédaction, qu’on reçoit nombre de dossiers de presse ou en se promenant et découvrant des adresses de spectacle. Rien qu’en attendant le métro, on peut regarder ces affiches qui reprennent les grands spectacles et sont l’équivalent souterrain des fameuses Colonnes Morris. Il me semble que la qualité première d’un journaliste devrait être la curiosité.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Tout ça pour dire qu’une journaliste, même jeune, est impardonnable de ne pas connaître le chanteur emblématique de la cause kabyle, quand on sait les liens entre l’Algérie et la France. D’autant que, s’il y a une grande radio (non associative) qui a diffusé des chansons d’Idir, c’est bien Inter. Il est vrai que j’ai entendu un jour, il y a assez longtemps, un journaliste qui recevait un invité (« mon invité ») corse qui avait pu (c’était encore possible à l’époque) faire passer le tube du moment chanté par Petru Guelfucci, « Corsica ». Le journaliste découvrait : « C’est ça qu’on écoute en Corse en ce moment ? ». Pourtant, « Corsica » passait souvent sur Inter et Guelfucci avait été invité dans « Synergie », l’émission de M. Jean-Luc Hees qui devait être, à l’époque, directeur adjoint de la rédaction. J’ai eu l’occasion, quelques fois, d’échanger quelques mots avec des animateurs ou journalistes d’Inter et d’évoquer, avec eux, le fait que nombre de salariés de l’antenne, non seulement ne connaissaient visiblement pas leur employeur avant d’y bosser mais que, en plus, ils ne l’écoutaient pas non plus. Quelqu’un comme Mme Kathleen Évin, lorsqu’elle avait besoin d’une archive sonore, diffusait systématiquement un document de la télévision et jamais d’Inter.
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J
Je vais me faire l'avocat du diable, Diogène. <br /> <br /> Idir, je ne le connaissais pas. J'ai bien sûr entendu maintes fois la chanson "A Vava Inouva", que je croyais chantée par Areski et Brigitte Fontaine - va savoir pourquoi ? Après vérification, j'ai constaté que la version dont j'ai le souvenir, était chantée par David (Jisse) et Dominique (Marge) (https://youtu.be/5AUUjDQYRDk). Version entendue sur Inter à cette lointaine époque du milieu des années 70, d'une chanson qui à l'époque ne m'avait pas spécialement marqué, chanson que j'ai ré-entendue dans le courant des années 90 sur une cassette qu'on m'avait passée et qui était, il me semble, la bande son d'un film où s'illustraient d'autres artistes nord-africains. <br /> <br /> <br /> <br /> A la décharge des journalistes et chroniqueurs d'Inter et d'autres médias, cela nous ramène quand même à de nombreuses décennies en arrière, et en son genre, Idir n'a dû marquer les esprits que de quelques connaisseurs des deux rives de la Méditerranée. <br /> <br /> <br /> <br /> Te lisant à son propos, je pense à un Glenmor, apôtre de l'antédiluvienne cause séparatiste bretonne, à un Mauris, chanteur militant de langue nissarde (patois jadis parlé à Nice et qui puise ses origines dans le bas-occitan et le génois), à un Joan Pau Verdier, qui est toujours parmi nous, et que l'on pourrait présenter au profane comme un barde occitan - de ceux qui perpétuent l'art de la chanson dans son acception traditionnelle, héritiers des troubadours et trouvères médiévaux. On est loin des circuits commerciaux, bien à l'écart de la culture mainstream et à des milliers d'années-lumière des méga-scènes consensuelles. <br /> <br /> <br /> <br /> Rien de surprenant alors à ce que les médias s'en tiennent aux grandes lignes de la carrière de l'artiste disparu, succinctement brossées par quelque obscur pigiste de l'AFP. Ce qui est ancien devient obscur, lointain et ne concerne que peu de monde, surtout si ce n'est pas très "vendeur". Évoquer l'Algérie renvoie désormais, pour le grand public, aux questions connexes des quartiers et du communautarisme musulman. C'est déplorable mais c'est ainsi. <br /> <br /> <br /> <br /> Sur un autre registre, je doute (n'écoutant plus guère la radio depuis la parano orchestrée autour du Covid-19) qu'il ait été question sur les ondes de la disparition, ce 24 avril, d'un certain Hamilton Bohannon, artiste qui marqua la soul et la funk des années 70 d'une empreinte originale, grooves répétitifs et dépouillés tranchant (hors quelques slows sirupeux) sur les productions de la Motown, du Philadelphia Sound et des majors californiennes, aux orchestrations léchées et aux sections rythmiques sophistiquées qui préfiguraient les années disco. <br /> <br /> Je te sais peu réceptif à ce son, Diogène, mais c'est pour l'anecdote. Après avoir été le batteur de Stevie Wonder, Bohannon entama une carrière solo en 1973 chez un petit label, Dakar Records. Son succès "Foot Stompin' Music"inonda les ondes, les juke-box et les night-clubs planétaire en 1975. On n'est que quelques connaisseurs en France à s'être émus, sur les réseaux sociaux, de la disparition de Bohannon à 78 ans. <br /> <br /> Les médias américains, dont le très officiel New York Times, ont longuement rendu hommage à cet artiste qui n'avait plus rien produit depuis les années 80. <br /> <br /> <br /> <br /> L'amnésie en vigueur sous nos latitudes, cultivée à l'endroit de ce qui n'est pas contemporain ni consensuel, ne semble pas sévir outre-Atlantique.
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