À propos de la mort d’Idir dans les médias
Je viens d’écrire que le chanteur Idir occupe une place considérable dans la mesure où il constitue un trait d’union entre l’Algérie et la France et que les relations compliquées entre les deux pays en ont besoin. Les deux pays s’adorent. Leurs peuples s’adorent et pourtant, combien de mépris de la part des uns et des autres entre ceux qui en veulent à mort aux Français qui les ont colonisés et ceux qui en veulent à mort aux Algériens ingrats mais bien contents d’avoir la France pour les soutenir. Arrêtons-là car la liste des griefs ne demande qu’à s’étendre.
Sur Inter, « radio de service public », « première radio de France », la nouvelle de la mort du chanteur a été signalée en passant dans le 1er grand journal parlé du matin à 8h. Certes, avec les difficultés dues au confinement, tout devient compliqué mais n’était-il pas possible de passer une chanson juste après ? Il est vrai que, depuis plusieurs années à présent, chaque émission est minutée, chaque pause musicale (on notera l’expression) est préparée, programmée par les programmateurs et que, même en présence de l’artiste, on ne passera ses chansons que sous forme d’extraits car on a plus important à promouvoir. Pensez, il faut de la place pour Philippe Katherine, Bertrand Belin et consorts qu’on n’entend pour ainsi dire que sur Inter qui semble s’être donné une vocation de défenseur des chanteurs sans succès et de pourfendeurs des autres.
À 9 heures, la journaliste préposée revient un peu plus longuement et rappelle son succès « vava inouva » et sa participation aux côtés d’autres artistes.
Déjà, pour Robert Herbin, j’avais pointé cette fichue tendance journalistique consistant à répéter ce qu’un autre à dit ou écrit un peu avant, sans se donner la peine de ce qui est l’essence même du journalisme, à savoir la vérification de l’information. Il a suffi que le grouillot chargé d’établir rapidement la nécrologie d’une personnalité oubliée et tombe sur le mot « sphinx » pour que tous les autres répètent qu’on ne l’appelait pas autrement que « le sphinx ». Encore une fois, c’est comme ça qu’on écrit l’Histoire et que ceux qui ont vécu l’époque ne la reconnaissent pas dans les écrits a posteriori.
On sait que l’objectivité ne peut pas exister mais la vérification est toujours possible. Or, je découvre l’article du Monde qui annonce la mort d’Idir et comprends que tous l’ont lu, car ce devait être le premier à l’annoncer en ligne. Outre qu’il y a un manquement, ce qui est vraiment stupéfiant, c’est que la journaliste, visiblement, ne connaît ni le chanteur Idir, ni son succès qu’elle dit pourtant être international, comme si son métier ne consistait qu’à lire des informations sans se sentir concernée. Idem pour le rédacteur de l’article du Monde Afrique en lien avec l’AFP. On peut penser d’ailleurs que l’erreur vient de l’agence puis reprise par tous les autres. Ce qui est aberrant, c’est l’inculture des journalistes actuels. La page en ligne du Monde est celle de l’Afrique. On peut penser que ceux qui y travaillent, même un dimanche, même en confinement, sont des spécialistes. Si l’on ne peut pas exiger qu’ils connaissent les variétés du grand continent, on peut au moins espérer qu’ils les plus célèbres, ceux qui sont en place depuis plus longtemps et surtout s’ils sont connus en France où ils réalisent l’essentiel de leur carrière et de leurs succès. Eh bien, il faut croire que non, ça ne va pas de soi.
Oh, il y a un précédent. Lors des années terribles que l’Algérie a traversées, l’ineffable Fabrice Drouelle (par ailleurs excellent dans son émission actuelle « Affaires sensibles ») animait un « Téléphone sonne » et a donné la parole à une auditrice. Je cite de mémoire : Nous avons maintenant Djura. Alors vous, Djura, vous chantez, c’est ça ? - Bonsoir. Oui, je suis Djura. » Visiblement, M. Drouelle ne connaissait pas non plus. Pourtant, à Paris, il est facile de connaître les artistes tant il y en a qui se produisent. On était encore dans ces années où les musiques du monde étaient à la mode. Il faut croire que pas tant que ça. Ce qui est grave, ce que « la première radio de France », dite « de service public », qui se vante volontiers d’un auditoire instruit et cultivé, teinté à gauche, est composé d’un personnel de premiers de la classe, capable de réciter ce qu’il faut pour réussir aux examens mais surtout qu’on ne lui en demande pas plus. À quoi ça sert d’en savoir plus, justement ? À quoi sert d’avoir des connaissances sur le sujet abordé ?
L’autre regret concernant la mort d’Idir, c’est que, de toute façon, les radios ne vont pas modifier beaucoup leurs programmes pour qu’on se souvienne du chanteur kabyle. Là aussi c’est grave et là aussi, il y a un précédent. En 1982, l’Algérie était qualifiée pour le Mundial en Espagne, de même que la France qui y a brillé en alignant sa meilleure sélection de tous les temps. On aurait pu espérer que les matches avec l’Algérie seraient tous retransmis et à des horaires corrects. Or, les rédactions sportives des 3 chaînes de télévision ont privilégié, comme d’habitude, les « grandes équipes » et proposé les autres en 3e match de la soirée ou, tout au plus, en se disant que telle « petite » équipe était en forme en ce moment et que ce serait intéressant de la regarder. À aucun moment, les rédacteurs en chef, les directeurs n’ont pensé aux communautés étrangères qui vivent en France et qui auraient aimé voir leurs équipes. J’entends (parce que je les ai entendus à l’époque et encore maintenant) les grands indignés, engagés dans toutes les grandes causes et notamment celles qui touchent aux étrangers, immigrés, réfugiés et autres sans-papiers. Comme en général, ils détestent le foot, ils sont persuadés que ceux qu’ils défendent sont comme eux. Ils n’imaginent pas que si le football est aussi populaire, c’est parce qu’il est pratiqué dans le monde entier (à l’exception notoire du monde indien) et qu’il est suivi partout. Ils ne comprennent pas non plus que des gens qu’ils ne voient que comme des victimes puissent faire autre chose que se lamenter ou revendiquer. Pourtant, ils mangent, boivent, ont des distractions quand ils peuvent et le football et la chanson en font partie. C’est pas évident de vivre dans un pays étranger, qu’on y est contraint par les événements ou simplement pour le plaisir. Alors, quand on allume son poste de radio (son application de nos jours), son poste de TV et qu’on voit l’équipe de son pays d’origine ou qu’on entend chanter dans sa langue maternelle, les soucis disparaissent pour un petit moment et le sourire revient. C’est pas grand-chose mais ça fait plaisir. Qu’est-ce que ça coûterait aux radios généralistes, aux radios commerciales, aux chaînes de télévision, de passer des extraits d’émissions avec Idir ou des clips vidéos ? Qu’est-ce que ça coûterait de faire plaisir aux communautés étrangères en passant, de temps en temps, des chansons de chez eux plutôt que de la daube en anglais ? La vie est faite de petits gestes, de petites attentions qui apaisent les tensions. La situation des étrangers n’est pas un sujet de conversation ou un thème de débats politico-philosophique ni même une grande cause pour valoriser ses porte-paroles. C’est une réalité quotidienne dans laquelle on apprécie davantage un sourire gratuit, une main tendue qu’une vedette (même sincère) qui vient parler à votre place.
On n’a plus entendu Idir le lendemain de sa mort. Même la matinale du lundi qui, d’habitude, se fait une spécialité de reprendre les infos du samedi, du dimanche qu’on n’avait pas pu traiter, l’a ignoré. Sur les autres radios généralistes, silence à peu près complet. On ne le passait pas le reste du temps, on va pas faire exception au moment de sa disparition.