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la lanterne de diogène
10 mai 2020

L'Europe des rendez-vous manqués (par Jérémy)

"Au fond, c'est l'Europe des rendez-vous manqués que célèbre ce "Jour de l'Europe" passé chez nous sous silence.

Une Europe des contraintes et des normes tatillonnes, une Europe de la bureaucratie et de la dette où demeure la barrière, pour beaucoup inexpugnable, des langues et des usages, dès que l'on passe une frontière. Une Europe que seule matérialise une monnaie qui n'a pas la même valeur ici et là. Une Europe qui a fait passer le prix de la baguette symbolique de un à plus de six francs de naguère. Une Europe dont on subit depuis près de quarante ans les directives ordo-libérales décrétées par un collège de technocrates, lesquelles ont conduit notre pays, naguère célébré comme un modèle social, à une régression qui s'observe dans tous les domaines de la vie quotidienne : chômage de masse, précarisation des emplois, disparition progressive des services publics, crise du logement, explosion du coût des charges domestiques déjà aggravé par la prolixité des taxes.

On a cru un temps à une Europe des peuples qui permettrait d'échanger dans une seule langue à déterminer ; on a cru un temps à une offre élargie de services qui auraient cohabité en favorisant la création et le maintien d'emplois pérennes tout en contribuant à faire baisser les prix de ces services : plusieurs compagnies ferroviaires, les unes se concentrant sur les axes internationaux, d'autres exploitant les réseaux interurbains et locaux ; les postes italienne, belge, allemande, et pourquoi pas roumaine ou tchèque suppléant à notre système postal connu pour son état de dysfonctionnement permanent ; on a cru un temps à une coopération à l'échelon européen dans la recherche scientifique, favorisant la création de communautés de chercheurs sans frontières ; on a cru à une Europe des arts et de la création qui viendrait enfin à bout des citadelles éditoriales, des systèmes de cooptation, des entre-soi et des élites autoproclamées autant qu'endogamiques qui ont tant appauvri notre culture au nom de l'"exception culturelle" à la française, dont les produits sont en majorité inexportables ; on a cru tout bêtement à la possibilité d'aller passer son permis de conduire chez le voisin, où il revient dans certains cas à moins du quart des tarifs astronomiques pratiqués par nos auto-écoles franco-françaises, et s'obtient dans certains cas aussi en quelques semaines.

On a cru naïvement que l'Europe allait améliorer notre sort, nous faciliter la vie, nous la changer en pratiquant des ouvertures dans nos labyrinthes bureaucratiques ; que nous bénéficierions des lumières de regards extérieurs et neufs, grâce à l'apport de ministres étrangers invités au sein de gouvernements qui ne seraient plus composés que d'énarques gris issus des mêmes vases clos ; peut-être même, un jour, aurions-nous à la tête du pays un président anglais, italien, allemand, ou d'origine scandinave ; et qu'il en serait de même pour les pays voisins.

Ce beau rêve ne s'est pas réalisé. L'Europe dont nous rêvions dans les années 70/80, lorsqu'elle n'était encore qu'à l'état de projet, est devenue une sorte de clone de l'URSS imposant à tous restrictions, mises aux normes absurdes, appauvrissement collectif au bénéfice d'une poignée de financiers mafieux sous la houlette d’apparatchiks douteux. Ce qui naguère fonctionnait mal chez nous fonctionne encore plus mal en coûtant toujours plus cher à une collectivité amputée d'un bon tiers de ses effectifs irrémédiablement marginalisé par les contrats de travail précaires rétribués de salaires minables, les filets de sécurité aux allures d'aumônes, le joug des loyers délirants et des charges domestiques aux taxations exponentielles.

L'Europe des origines était riche de garanties. A l'usage, elle ne garantit plus aux peuples que la logique totalitaire du Marche ou crève. L'Allemagne doit sa prospérité à l'inique plan Hartz IV, qu'un certain Macron envisageait de transposer chez nous, à la sauce bien française, enveloppée de bons sentiments, si un malencontreux virus chinois n'était venu l'en empêcher. Le plan Hartz IV est sans doute ce que la technocratie ordo-libérale a pu produire de plus vicieux en termes de politique anti-sociale. Le plan Hartz IV a été mis en œuvre par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder - un homme de gauche en courant vite. Il érigeait la précarité en dogme, l'insertion en marche forcée en devoir à caractère autoritaire, il faisait du retour à l'esclavage une norme (https://www.lesechos.fr/2015/02/hartz-iv-la-clef-controversee-du-miracle-allemand-1105538).

L'Europe de Monnet et Schuman se prétendait garante d'une paix durable entre des peuples longtemps déchirés par la guerre. Soixante-dix ans plus loin, son utopie est devenue dystopie. L'Europe est vue comme une trahison, une perte d'identité, le deuil des souverainetés au profit d'une technocratie au service de la seule finance, elle est gangrénée par les scandales et la paupérisation des peuples ; elle a mis au rencart les pays du sud, peu prospères, qualifiés par ceux du nord de "pays du Club Méd" ; ses boulevards sont le théâtre de guérillas urbaines, son obsession de la dette, ses pratiques d'exploitation des travailleurs à bas coût et à bas salaire, son incapacité à gérer les flux migratoires en provenance de pays pauvres et en guerre ont favorisé le retour au pouvoir d'une extrême-droite de sinistre mémoire au sein des gouvernements de certains de ses pays fondateurs.

L'Europe a engendré les ferments malsains de la guerre civile : détestation des élites, défiance à l'endroit du politique, annihilation des contre-pouvoirs, médias de propagande, désinformation, explosions sociales plus ou moins larvées à quoi les pouvoirs ripostent par des politiques autoritaristes.

L'Europe est à ce jour un mur que beaucoup rêvent d'abattre, comme un autre mur fut démantelé en 1989. Certains déjà ont pris leurs distances. D'autres vont suivre après une crise du Covid-19 qui a montré, s'il en était besoin, ce qu'il en est de la solidarité entre ce que les technocraties qualifient, dans leur jargon, de "partenaires", lorsque des vies humaines sont en jeu.

Pour finir, un article daté de 2000 (https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/le-machin-europeen_1336353.html), qui en dit long sur le chemin parcouru depuis. Dans le mauvais sens."

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