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la lanterne de diogène
13 juin 2006

SOMALI

Les nouvelles en provenance de la corne de l’Afrique sont généralement de nature à inquiéter et à juste titre. Ces dernières années, les crises naturelles ou politiques ont fait des millions de morts, souvent dans des circonstances atroces : famines, massacres, tortures. Pourtant, comme ces populations vivent loin de chez nous et parlent anglais, on y est moins sensible et, dans un fatalisme coupable, on laisse perdurer des situations que, partout ailleurs, on serait enclin à dénoncer pour le moins.

A l’est de cette Afrique, le conflit entre les Noirs du Soudan et les Arabes du Soudan dure depuis des décennies. Il s’est envenimé ces dernières années et a provoqué une ébauche de réaction. Le conflit dit du Darfour commence à peine à émouvoir les opinions publiques occidentales, quand cette émotion n’est pas contestée par des voix qui reprochent de ne s’intéresser aux victimes que lorsqu’elles sont chrétiennes. Ce mensonge (il suffit de voir les réactions après toutes les catastrophes dans l’océan Indien pour s’en convaincre) a pour effet immédiat de semer le doute et retarder une intervention qui pourrait, au moins, soulager les populations qui n’en peuvent mais et forcer les belligérants à négocier.

La Somalie est encore un cas à part. Finalement, y a-t-il une règle générale ?

On annonce la victoire des «  tribunaux islamiques » sur les groupes armés. Ce pays vaste et bordé par l’océan vit sans autorité depuis au moins 1991.

On se souvient qu’en 1993, des troupes étatsuniennes débarquaient « par surprise » sur une plage, en tenue de camouflage, devant les caméras de TV du monde entier. Terrible souvenir qui a occulté l’échec de l’intervention militaire visant à rétablir un semblant de pouvoir public. Depuis, il ne se passe rien. Ou plutôt, c’est le règne des caïds qui contrôlent des clans et des régions, y imposant une loi forcément injuste. Le pays reste infréquentable, au sens strict du mot.

Depuis 1969, la dictature du général Siyad  Barre aura connu la sécheresse et la famine des années 1970 puis, la guerre civile suivant la guerre contre l’Ethiopie puis, finalement,  l’éclatement du pays en 1991. C’est alors qu’un clan décide, sur les bases de l’ancien protectorat anglais du Somaliland, de constituer un Etat répondant aux critères admis par la communauté internationale : un territoire, des pouvoirs publics, une monnaie. Il a cependant fallu attendre 1997 pour qu’il soit stabilisé et doté d’institutions. Cet Etat n’a jamais été reconnu.

Outre l’humiliation infligée à des personnes et à leurs représentants, cette décision a tous les jours des conséquences criminelles. Le pays constitué ne peut se développer dans la paix. Il ne peut établir de relations officielles avec aucun autre Etat. Le passeport de ses ressortissants n’est pas reconnu. Et, encore une fois, c’est une gifle permanente à la figure de ces gens courageux qui ont entrepris de combattre la fatalité de la guerre et son cortège d’atrocités et de misère.

L’argument avancé par la communauté internationale est que l’on ne doit pas reconnaître la sécession d’un Etat. Feu l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) stipulait que ne sont reconnues que les frontières issues de la colonisation. Les membres de l’organisation défunte redoutaient surtout un effet de contagion. Pensez, une partie d’un grand Etat se constitue en démocratie à l’intérieur d’une entité où règnent la dictature, l’impéritie, la corruption, le pillage des richesses et, par voie de conséquence, la pauvreté endémique. En fait, l’ensemble des dictateurs africains tremblait et les présidents démocratiques craignaient de se voir entourés de voisins en guerre et d’accueillir de malheureux réfugiés qui n’auraient pas manqué de déstabiliser leurs fragiles démocraties.

Les autres dirigeants brandissaient des grands principes. Ils en ont toujours en magasin quand ça les arrange. D’abord, ils ont autre chose à faire que de s’occuper de ces Noirs qui, décidément, n’arriveront jamais à rien. Pour eux, ce n’est pas parce qu’ils prouvent le contraire que cela doit changer leurs certitudes commodes.

Ensuite, il y a déjà eu, au moins, un précédent. En 1979, l’opposition aux Khmers Rouges avait fait appel à l’armée vietnamienne pour renverser Pol Pot. Qu’importent les crimes et le degré d’atrocité de ces crimes. Qu’importe que l’on ait qualifié de génocide, le massacre de près de la moitié de la population par les Khmers Rouges. Une seule chose comptait : l’armée vietnamienne était intervenue au Cambodge. Or, le Viêt-Nam était soutenu par l’URSS et le mot d’ordre était tout sauf les Rouges !  Pendant toutes ces années qui ont précédé le retour du Prince Sihanouk et l’avènement de la démocratie, le siège du Cambodge à l’ONU était occupé par un Khmer Rouge. Ce régime abject était, lui, soutenu par la Chine, elle même favorisée par les Etats-Unis qui en faisaient un contrepoids aux Soviétiques. Aucun Etat n’a reconnu le régime qui avait remplacé les criminels Khmers, préférant Pol Pot à un gouvernement appuyé par une puissance étrangère. Selon ce concept, personne ne devrait reconnaître le gouvernement irakien actuel.

Revenons à la Somalie. La lecture des lignes précédentes montre que l’argument des « frontières héritées de la colonisation » ne tient pas. En fait, le peuple des Somalis s’est retrouvé séparé par trois puissances coloniales. Au sud, l’Italie, contrôle la Somalia avec pour capitale Mogadiscio. En remontant au nord de la corne, les Anglais établissent le Somaliland dont la capitale est le port de Berbera. A l’entrée de la mer Rouge, les Français forment la Côte française des Somalis dont le chef-lieu est Djibouti. Au moment de la décolonisation, il est décidé de réunir ce peuple séparé. Si l’indépendance est reconnue par l’ONU dès 1949, elle ne sera effective qu’en 1960 après une période probatoire. Pour généreuse que paraît l’idée, elle ne cesse de se heurter, depuis, à la réalité. La colonie demeure un fait marquant et non une parenthèse à remiser dans les poubelles de l’Histoire. Le fait colonial a profondément marqué les populations et la culture de la puissance coloniale s’est imprimée sur les indigènes. L’homme étant un animal civilisé, il ne se limite pas à un territoire et une couleur de peau. Il possède une culture qui s’enrichit au fil des générations. La culture des Italiens et, donc, leur manière d’administrer les territoires différait du tout au tout d’avec celles des Anglais. Les différences entre les deux populations ne se sont pas noyées au moment de l’unification des deux ancienne colonies. Les pays somalis montrent bien que la conscience et la culture priment largement sur l’ethnie et, donc les gènes. D’ailleurs, comment peut-on encore imaginer constituer des Etats en réunissant des populations sur une base raciale ? Nier leur culture et leur conscience et ne voir que leur peau noire est encore une gifle pour ces gens-là.

Voilà donc le contexte dans lequel les « tribunaux islamiques » ont pris le pouvoir à Mogadiscio. A l’instar des talibans, dont ils partagent la culture, nul doute que les nouveaux hommes forts ne tarderont pas à se lancer dans des opérations militaires visant à soumettre le Somaliland dont l’indépendance et le caractère démocratique ne sont reconnus par personne. Au passage notons les magnifiques euphémismes désignant des fractions armées : tribunaux islamiques et étudiants islamiques. L’allusion à de vertueuses institutions est habile : l’une suggère la force de la loi, l’autre la puissance de la connaissance. Il n’y a pas à dire, ça en jette ! Et ça marche. Les E-U n’ont cessé de soutenir les talibans qu’après le 11 septembre 2001.

On peut prévoir  que dans les semaines, peut-être les mois, qui suivent, les islamistes vont tâcher de conquérir cette contrée qui, par ailleurs, embarrasse tout le monde. Cela se fera dans l’indifférence générale. Auparavant, on aura, sans doute vu des familles entières cherchant refuge dans ce pays frère. Ce sera probablement le prétexte au déclenchement des opérations militaires. Comme à Hong Kong absorbée par la Chine, il sera loin le rêve démocratique des somalis du nord face au totalitarisme. Nul doute que le nouveau pouvoir sera alors reconnu, à commencer par les pays musulmans heureux de réintégrer un frère à leur conférence. Ensuite, les autres s’y mettront arguant que, quoi qu’il en soit, la Somalie sera redevenue un Etat avec qui parler. Il sera toujours temps, après, de pleurnicher sur les violations des droits de la personne.

Passée du fascisme à l’indépendance et la dictature militaire avec ses avatars que sont les guerres contre le voisin, puis civile et finalement l’absence de pouvoir public, sans compter les calamités naturelles, la Somalie illustre l’indifférence coupable du monde envers le continent noir. On pourra toujours gloser sur cette région du monde qui fut, dit-on le berceau de l’humanité. Il en est comme de son propre berceau. Aujourd’hui, se dessinent les contours d’un Etat soumis au joug religieux.

On n’a pas fini de parler de la Somalie.

Entre le moment où ces lignes étaient écrites et aujourd’hui, il y a déjà du nouveau. Les « tribunaux islamiques » ont commencé à s’en prendre à la Coupe du Monde de football : ils ont coupé l’électricité afin que la population ne puisse pas regarder la TV. Peu après leur entrée dans Kaboul –après avoir notamment coupé les mains d’une petite fille de dix ans qui avait du vernis sur les ongles –les talibans avaient confisqué les postes de TV et les cassettes musicales. Les mêmes causes produisent forcément les mêmes effets. On se demande juste pourquoi on n’en tient jamais compte. Dans le même temps, la presse française se demandait si Ribéry serait titularisé. Une chose est sûre, les Somaliens ne pourront pas admirer ses performances.

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