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la lanterne de diogène
6 juillet 2006

JUILLET

FREE JULY*

Ainsi, se tourne une page des plus originales de la presse française et, pourquoi ne pas le dire, des plus honorables. Serge July, rend son plumier et va abandonner le quotidien qu’il a animé pendant près de quarante ans. En fait, il y avait équivalence entre le journal et lui même, tant paraît grande l’identification entre l’homme et sa création.

En fait, Serge July restera, quoi qu’il arrive celui qui a fait Libération, le quotidien fondé en 1972 par le journaliste et écrivain Maurice Clavel et soutenu par le philosophe Jean-Paul Sartre qui apportait sa caution morale et imprimait la ligne du quotidien. Cette année-là voyait aussi le dernier grand rassemblement gauchiste lors des obsèques de Pierre Overney, que tout le monde a oubliés. A cette époque, le journal qui critiquait le régime, la bourgeoisie, qui appelait à l’insoumission et à la révolution s’appelait La Cause du Peuple. La ligne éditoriale était maoïste et, chose incroyable aujourd’hui, ce journal était interdit ! Donc, sa distribution l’était aussi. Cela signifiait également que posséder, vendre, acheter, lire La Cause du Peuple constituait un délit et exposait le contrevenant à des amendes ou à des peines d’emprisonnement. Jean-Paul Sartre ne dédaignait pas prêter son concours en participant à sa distribution.

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Dans les faits, de véritables commandos investissaient un lieu très fréquenté de Paris. Chacune des ventes s’effectuait pour le coup à la criée et se transformait de fait en une véritable petite manif. Chaque membre tenait un exemplaire du journal banni pour le vendre, afin qu’en cas d’arrestation, il ne puisse pas être considéré comme un vendeur délinquant mais un simple lecteur. Ordre était donné à la police de ne pas arrêter le petit vieux à lunettes qui se trouvait avec eux. Le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin ne tenait pas à donner aux arrestations le retentissement qu’aurait la détention du philosophe contestataire. Cependant, celui-ci, sans doute conscient du peu d’impact d’un organe distribué difficilement a rejoint un groupe, d’abord autour de l’agence de presse Libération. A l’hiver 1972, le quotidien Libération sortait des rotatives. Les noms de leurs directeurs fondateurs figuraient sous le titre jusqu’à sa disparition : Jean-Paul Sartre et Maurice Clavel. Serge July en était déjà le principal rédacteur. En fait, cela avait moins d’importance puisque chaque salarié touchait le même salaire, quelque soit son travail ou son grade ; en clair du directeur à la femme de ménage.

http://www.amnistia.net/news/articles/multdoss/libe30an/libe30an.htm

J’étais au collège les premières années du quotidien gauchiste. En fait, il m’intéressait assez peu. Il annonçait surtout les manifestations dans Paris et publiait le compte rendu des incidents de celles passées : charges de CRS, heurts avec les contre-manifestants, réactions des passants dérangés… Etait-ce un effet de l’auto-sabordage de la gauche prolétarienne qui regroupaient les maoïstes, était-ce l’apparition de deux autres quotidiens qui exprimaient cette sensibilité (Le Quotidien du Peuple et L’Humanité Rouge) ? toujours est-il que, dès la deuxième moitié des années 70, l’image de Libération change. Le quotidien, demeure ancré à l’extrême gauche, mais sans exclusive. Il propose désormais des grands reportages de qualité, remarqués par tous, et accorde une place importante à la culture et surtout au cinéma. Se constitue peu à peu une nouvelle culture de gauche, jeune, bien dans son époque et annonçant le dynamisme des années 80. De son côté, la culture de gauche véhiculée par la presse communiste vieillit. La Nouvelle Critique disparaîtra au début des années 80. Pourtant,  ce qui fait le succès de Libération ce sera les petites annonces gratuites qui attirent toujours plus de lecteurs ; très astucieux. On y trouve tout ce que l’on trouve ordinairement dans les PA mais rédigé dans la langue de tout le monde. Surtout, la rubrique « contact » connaît un succès phénoménal. Même par curiosité, on n’hésite pas à les parcourir. On trouve des trucs du genre : tu étais assise en face de moi, hier dans le métro, ligne 7 entre … et … . tu portais un pull indien et un petit chapeau. A un moment nos regards se sont croisés et puis tu es descendue précipitamment. J’ai pensé à toi toute la soirée. Si tu te reconnais écris au journal qui transmettra.

C’était ça l’esprit Libération.

Paradoxalement, c’est en plein ascension que le quotidien a dû s’arrêter, alors même que le gouvernement du gros Barre battait des records d’impopularité, que le mécontentement était à son comble, que même la droite fustigeait ce fat qui proclamait que  «les chômeurs n’ont qu’à créer leurs entreprises ! ». Eh oui, il a osé dire ça… Donc Libération s’arrête.

Quelques semaines plus tard, paraît Charlie matin, « le salaud qui prend la place toute chaude » selon l’expression de Serge July. Ce quotidien contestataire et satirique n’a pas fait long feu puisqu’il n’a publié que deux numéros. J’aurais bien voulu acheter le deuxième, ainsi j’aurais pu me vanter de posséder la collection complète d’un grand quotidien parisien.

Quoi qu’il en soit, cela en dit long sur la crise de la presse quotidienne en France. Je l’ai déjà évoqué à propos de France Soir. Avant, Charlie mensuel avait fusionné avec Pilote avant de disparaître quelques années plus tard. Charlie Hebdo redevenait Hara Kiri Hebdo puis La Semaine de Charlie avant de sombrer après l’expérience quotidienne.

Libération reparaît, je crois en 1981. Si tous nous nous sommes réjouis de revoir le titre dans les kiosques. La différence sautait aux yeux : d’abord, ce losange rouge qui soulignait le titre, ensuite, le papier et l’impression de bonne qualité, les références à M.Clavel et Sartre ont disparu. Sur le fond, les petites annonces gratuites n’ont plus leur place, la publicité apparaît rapidement.  Les articles font l’apologie de l’entreprise individuelle, de la publicité considérée comme forme de communication et de création des temps modernes. Sans doute pour choquer le bourgeois (qui pourtant en a à revendre en matière de turpitudes), le quotidien accorde une large place aux déviations sexuelles, aux témoignages vécus. La gauche s’étant elle-même convertie aux lois du marché, Libération ne pouvait paraître plus royaliste que le roi. Serge July devient alors le principal médiateur de la pensée du président Mitterrand.

Pourtant, Libération innove encore et toujours : pages parfumées, colorées, imprimées sur du coton. On évoque pour la première fois en France, dans les années 80 les virus informatiques. En plein scandale des « avions renifleurs », les personnages de Télé-Chat de Topor commentent l’actualité : « la vrai question c’est : où est passé le pognon ? », s’interroge Grouchat [23 ans après on n’a toujours pas de réponse] . A la mort d’Hergé, personne n’a oublié l’édition entièrement illustrée par le créateur belge. Libération reflétait la culture populaire des jeunes adultes des années 80. Déjà, on ne disait plus que Libé.

Encore une fois, paradoxalement, les difficulté réapparaissent. Libération change plusieurs fois de formule. Celle qui reste dans les mémoires sera l’ambitieuse proposition d’un quotidien épais à la manière de ceux publiés chez nos voisins. La formule n’a pas fait long feu non plus. Entre temps, le rédacteur en chef Jean-Marcel Bouguereau a rejoint L’Evénement du jeudi de Jean-François Khan. Une grille de salaires est adoptée et, avant-dernier épisode, un des Rothschild entre dans le capital de l’ancien quotidien révolutionnaire l’an passé. En fait, cela était écrit. L’apologie du libéralisme, quelque soient ses avatars et les noms qu’on lui donne conduisait fatalement à la fin d’un animateur qui était jeune en 1968.

Comme beaucoup, il n’a pas vu que le monde autour changeait. L’arrivée de journalistes qui n’ont pas fait les barricades de 1968 a mis les fondateurs en porte à faux. Le point culminant de cette crise interne aura sans doute été le soutien du vieux patron au oui au référendum sur le traité constitutionnel européen. Après la défaite de sa ligne, les termes de « xénophobie », « mensonges éhontés », de « désastre général et d’épidémie de populisme » ont été utilisés pour insulter le résultat du suffrage universel. Il a fallu cette divergence  pour que le public s’aperçoive de la dérive du quotidien qui prétendait depuis plusieurs années édicter ce qui était bel et bon, ce qui était moral ou non, ce qu’il convenait de penser. A l’instar des staliniens qui traitaient de fascistes ( et autres termes considérés synonymes comme « hitléro-titiste », « sioniste », « révisionniste ») tous ceux qui ne pensaient pas exactement comme eux, Serge July et ses suivants voient une société, y compris ses propres lecteurs, composée essentiellement de racistes, d’ « homophobes », de xénophobes, de sécuritaires et surtout de populistes. En cela il incarne cette gauche instruite qui méprise le peuple qui n’a pas les mêmes goûts. Comme on dit parfois : il faut changer le peuple !

Alors, ce qui arrive à Serge July devait se produire inéluctablement. Quand on insulte ses lecteurs, qu’on a fait l’apologie de la loi du marché, qu’on ne s’étonne pas d’être désavoué par sa rédaction et mis à pied au nom des lois du marché.

Sans doute, peut-on dire que, désormais, l’esprit de mai 68 a vécu et est bien mort. Les animateurs de la révolte se trouvent dans les cabinets ministériels, les rectorats, dans les direction de la communication des grandes entreprises. L’art populaire a été récupéré ou institutionnalisé par M.Jack Lang, la générosité renvoyée dans les hangars des « Restos du cœur ». Les anciens étudiants ne vont plus vers les ouvriers. L’anticonformisme a fait place à une vague morale imposée par d’anciens contestataires. La permissivité qui venait en réaction à l’Etat conservateur des années 60 est de plus en plus ouvertement rejetée. Un de ceux qui l’ont incarnée se retire sans que sa rédaction ne proteste ni n’entame une grève de soutien. FIN

*le titre fait allusion au film Free Willy ( traduit en français par Sauver Willy)

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