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la lanterne de diogène
31 août 2006

la littérature en question

petite question
en lisant des textes écrits par ma mère, je remarque bon nombre de figures de style involontairement employées. Ca voudrait dire que l'enseignement de ces figures est parfaitement inutile si le but de l'enseignement du français est de nous apprendre à écrire (elle ne les a jamais apprises)... et si le but est de nous faire comprendre les textes, alors nous apprendre les figures de style signifie que celles ci ne sont compréhensibles que par un lecteur averti, et donc que les auteurs ne cherchent pas à permettre la lecture à toute personne, cultivée ou non. Ou alors ce genre de cours est parfaitement inutile...

Cher visiteur,

Ta question se trouve au cœur (du moins le devrait-elle) de la pédagogie.

Depuis quelques années, l’enseignement du français semble tourner le dos à sa fonction qui est celle de communiquer avec ses semblables et d’y prendre plaisir. Le plaisir relevant de ce que l’on appelle, en France, la littérature ou la philologie (l’amour des beaux textes) dans d’autres pays comme l’Espagne.

Au lycée et même au collège (alors que la maîtrise de la langue n’est pas achevée), on consacre de plus en plus de temps à la technique. On parle de repérage de certains éléments dans un texte, de repérage des figures de style, de typologie des textes etc. on privilégie les savoir-faire sur les savoirs sans pour autant parvenir à préparer à ordonner ses idées et les exprimer tant à l’écrit qu’à l’oral. On fixe des objectifs en début de cours et à la fin on doit pouvoir dire : je sais faire… (par exemple repérer les terminaisons de l’imparfait ou utiliser la chaîne de substitution).

Pendant ce temps, on évite soigneusement d’aborder le sens (qui se trouve parfois dissimulé) et encore plus la beauté. Le contexte de l’écriture se trouve occulté au profit du paratexte (mot souligné en rouge par mon correcteur), c’est à dire les introductions, couleurs, illustrations sur la page. En d’autres termes, les exigences en matière culturelle ne sont plus requises. On peut réussir sa scolarité en ignorant la personnalité des auteurs, les conditions dans lesquelles ils ont écrit, les difficultés de publication, l’évolution de la langue. En revanche, on ne peut plus la réussir si l’on ignore les étiquettes à apposer sur les textes (scène d’exposition, texte explicatif, etc.) : c’est ce que j’appellerai le syndrome du Post-It ®.

La meilleure preuve de cette tendance se trouve dans l’épreuve du baccalauréat, qui couronne la scolarité. On ne compte plus qu’une minorité d’élèves qui choisit la dissertation de culture générale. Ils préfèrent s’en tenir à des exercices scolaires à l’extrême comme le commentaire composé et la contraction de texte. En s’en tenant au programme imposé, on peut y réussir avec un minimum d’efforts : la preuve ! La dissertation de culture générale sous entend précisément de posséder une culture, c’est à dire lire d’autres livres que ceux imposés par le professeur, aller au cinéma, au théâtre, voir des expositions, bref former son goût et sa personnalité d’adulte.

Hier, j’entendais un débat sur la lecture. La méthode globale, inventée* par « un Belge génial » (pour reprendre les termes de sa défenseuse) s’attache à faire reconnaître les mots pour soi disant leur donner leur sens. En fait, il n’existe aucun rapport entre les deux. On peut reconnaître un mot sans pouvoir lui donner le sens. C’est bien ce que l’on fait au bac. On parle d’un texte sans pour autant en connaître le sens mais en listant logiquement et en commentant l’usage des figures de style et en définissant le texte. Bien sûr, il ‘agit d’un préliminaire incontournable mais en aucun cas une fin en soi.

La méthode dite syllabique permet de déchiffrer n’importe quel écrit, y compris celui qu’on lit pour la première fois. Cela ne donne pas le sens non plus mais permet au moins de ne pas buter dès la découverte par la lecture et se sentir en échec. Ensuite, le reste du texte peut aider à comprendre le mot inconnu. Cela encourage à aller plus loin et à ouvrir son horizon. A ce stade, me revient ce proverbe chinois ressassé à l’envi : quand tu donnes un poisson à quelqu’un, tu lui donnes à manger pour un jour ; quand tu lui apprends à pêcher, tu lui donnes à manger pour la vie.

Pour prendre une métaphore (une image), je propose d’appliquer la pédagogie actuelle à l’apprentissage de la conduite automobile. On passerait quelques années à étudier un moteur, le fonctionnement de chaque organe, les circuits électriques, la disposition sur le tableau de bord et sous le capot, la fabrication des pièces, l’extraction de l’acier et des autres métaux, la chimie des hydrocarbures et de l’air pour expliquer l’énergie qui découle de l’explosion provoquée dans le moteur, la vulcanisation du caoutchouc, la pression de l’air et ses propriétés, la pénétration dans l’air, l’étude de l’eau minérale et de l’eau déminéralisée, l’histoire des transports terrestres, l’étude des autres véhicules, la force d’inertie (en relation avec le freinage) etc.

Instruit de tout cela, on recevrait le permis de conduire, mais sans avoir vraiment tenu un volant, sans avoir éprouvé jamais le plaisir que l’on a la première fois que l’on fait avancer une voiture tout seul ni le plaisir d’aller plus loin que ce que l’on peut faire à pied.

Voilà ce qu’est la pédagogie française.

Alors, pour répondre plus précisément à ta question, ta mère emploie des figures de style que tu reconnais parce que tu es aguerri à ce genre d’exercice. Je dirais un peu désobligeamment que tu es dressé pour ça. En fait, il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans. Ta mère, en fonction de sa sensibilité, de l’objectif de sa conversation choisit de parler d’une certaine manière pour être mieux comprise et pour être agréable à son interlocuteur. Ainsi utilise-t-elle ce que tu appelles des « figures de styles ».

Elle illustre parfaitement cette fameuse réplique du « Bourgeois Gentilhomme » de Molière qui faisait de la prose sans le savoir. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire de savoir identifier une figure de style pour l’employer.

Prenons d’autres exemples : il n’est point nécessaire de connaître l’action des hormones, la production des phéromones, le cycle de l’ovulation, la chaleur ambiante, les raisons de la sensibilité à des couleurs, l’état d’âme du moment pour réussir l’acte amoureux. Pas plus qu’il n’est nécessaire d’avoir visionné des scènes de copulation pour savoir comment s’y prendre.

Le jeune chien jeté à l’eau ne sait pas qu’il pratique la natation ! son problème c’est d’éprouver du plaisir dans l’exercice et de ne pas se noyer.

Dans son premier livre « Les Secrets de la Mer Rouge », l’écrivain aventurier Henry de Monfreid, décrit (texte descriptif !) une opération chirurgicale dans l’est africain. Le médecin traditionnel entreprend d’encenser le patient avant l’opération. Il ignore la notion d’aseptisation du bloc opératoire. Pour lui, il s’agit d’éloigner les mauvais esprits de la case. Autrement dit, il utilise une autre expression pour désigner une phase préliminaire à l’opération (l’équivalent de la figure de style). Comme quoi, rien n’est figé non plus. 

J’ai coutume de dire qu’il n’existe pas la vie d’un côté et l’école de l’autre. Encore moins faut il se dépêcher d’oublier ce qu’on a fait à l’école dès qu’on n’y est plus sous prétexte que l’on ne sera plus noté. Simplement, l’école permet de comprendre un certain nombre de choses de la vie afin de pouvoir les identifier quand on y sera confronté et de pouvoir s’en débrouiller le mieux possible. Bien sûr, l’école n’est pas une fin en soi. De plus, imperceptiblement, l’élève forme sa personnalité en réagissant à ce qu’il rencontre en classe. Il va aimer certaines matières, ou la façon qu’a un professeur de présenter sa matière. Il va s’identifier à des personnages ou vouloir suivre les traces d’un savant ou d’un professeur. Il va comprendre un texte ou un discours parce qu’il sera entraîné. Ainsi, face à un discours politique, il pourra déchiffré le sens caché ou l’absence de sens etc., il pourra lire un texte administratif et aider ses parents un peu moins instruits que lui.

Je vais prendre un exemple dans l’architecture. Autrefois, quand je pénétrais dans une église médiévale, j’étais impressionné par les proportions, les couleurs des vitraux, la luminosité du lieu, l’impression d’harmonie qui s’en dégageait. Depuis, j’ai appris comment les maîtres d’œuvres opéraient et que rien n’était dû au hasard mais qu’en fonction des contraintes techniques, on avait voulu donner du sens et du symbole à tous les éléments. Maintenant, en rentrant dans la même église, si j’éprouve les mêmes sentiments, je suis automatiquement attentif au nombre de voûtes, à la disposition des vitraux, à l’emploi des couleurs, aux poussées et contrebutements etc. Non seulement cela ne gâte pas l’émotion mais en plus cela me permet de découvrir un autre univers que ma sensibilité d’homme de mon époque a pu occulter. Mes modestes connaissances me donnent encore plus de plaisir lorsque je peux comprendre un peu plus que la première impression.

La première fois que je suis entré dans la basilique de Constantin à Trèves, on m’a expliqué que l’empereur avait voulu un bâtiment monumental pour impressionner ses sujets venus se plaindre. Si je n’avais pas su cela, j’aurais certainement trouvé ça affreux et pensé davantage à un hangar de pierres et de briques qu’à un élément majeur du palais impérial.

Quand on fait du ski, plus on maîtrise la technique, plus on peut faire de choses, plus on prend de plaisir. Celui qui sait juste faire le chasse-neige, comme moi, va vite se lasser. C’est pareil pour tout.

A ce stade, je me rappelle une réflexion de l’écrivain Claude Mauriac au Masque et la Plume, il y a bien des années… Il avait dit aux autres critiques présents sur le plateau : « votre connaissance de la technique vous empêche de voir les films ». Aujourd’hui, le phénomène est encore aggravé et une revue comme les Inrockuptibles juge une œuvre en fonction des moyens techniques mobilisés et selon ce qu’il convient de bien penser du contexte. L’œuvre elle-même semble n’exister que pour donner un prétexte à critique tout comme la littérature qui ne semble avoir été écrite que pour permettre aux professeurs et à leurs élèves de déployer leurs connaissances des techniques utilisées. Tous ces gens oublient juste que, pour le public, les œuvres d’art touchent d’abord la sensibilité et l’affectif, que l’on va au cinéma pour se distraire ou pour apprendre et qu’il en va également pour la littérature.

D’autres critiques comme Jean-Louis Bory et surtout Georges Charensol possédaient une immense culture qui incluait aussi de la technique et qui leur permettait d’apprécier une œuvre sous tous ses aspects.

Pour répondre à la dernière partie de la question, il n’y a pas d’inutilité à pouvoir identifier un texte ou une figure de style mais ça ne doit pas constituer une fin en soi mais un moyen. Donc ce n’est pas inutile de le savoir et d’en faire bon usage et pas seulement pour passer une épreuve du bac. Il convient seulement que la connaissance de la technique n’empêche pas d’apprécier une page de littérature, un bon film ou le discours maternel…

Enfin, je dirai que celui qui sait a le devoir de transmettre son savoir, non pour briller mais pour valoriser son interlocuteur. Le savoir, comme le sourire n’appauvrit pas celui qui le donne.

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