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la lanterne de diogène
14 mars 2007

avant les présidentielles 2

                                     Les journalistes en campagne

Ce qui est nouveau dans cette campagne, outre la présence d’une candidate en sérieuse position éligible, c’est la mise en cause très forte des journalistes. Or, ils ne sont pas habitués à cela. Ils croient influencer les électeurs tout en prétendant à l’objectivité. Ils croient modestement influer sur le cours de l’Histoire. Revendiquant, chaque fois que possible, les auréoles de leurs confrères assassinés ou emprisonnés pour le droit à l’information, ils ne pouvaient imaginer que la grogne serait aussi forte. Elle a commencé avec la campagne et la pré-campagne pour le référendum européen. Elle s’est poursuivie jusqu’à maintenant. Comme d’habitude, les leçons n’ont pas été tirées. Conscient d’un certain malaise, ils ont apporté des solutions de journalistes formatées par leurs schémas de fonctionnement habituels. A aucun moment, ils n’ont pensé que la collusion habituelle entre les politiques et eux, les influençaient forcément. A aucun moment, ils n’ont imaginé que les gens, qu’ils disent pourtant « intelligents », ne s’intéressent pas aux tailleurs de Ségolène et se rendent bien compte de l’omniprésence de M.Sarkozy dans les médias, pour un oui ou pour un non. Ils ne se rendent même pas compte que ce qu’ils tiennent pour de l’analyse politique n’est que l’anecdote. Ce qu’ils prennent pour un décryptage minutieux (l’expression a été employée) ne sert qu’à alimenter, à la manière d’un feuilleton, leurs futures chroniques et autres interventions. Les commentaires portent presque exclusivement sur les rivalités de personnes. Ils appellent ça « notes de bas de page », pour que les pauvres cloches que nous sommes comprennent ce qu’ils ont compris avec leur intelligence supérieure et leur connaissance du microcosme politique.

Alors que les spécialistes, politologues et autres, qu’ils convoquent régulièrement, leur répètent depuis des années que les électeurs refusent le clivage gauche-droite et se désespèrent dans l’abstention ou se réfugient à l’extrême droite, ils continuent à instrumentaliser l’affrontement entre une candidate de gauche de pouvoir et un candidat de droite de pouvoir. La meilleure preuve se trouve dans ces débats organisés par les médias audiovisuels entre ces deux candidats (ou leurs représentants) tandis que les autres doivent s’affronter à quatre sur les mêmes plateaux et dans les mêmes durées. Rien que cela montre qu’ils n’ont rien compris au résultat du 29 mai 2005 et que les dés sont encore une fois pipés par eux. Il y a gros à parier que le soir du premier tour on entendra encore parler de « surprise ». Surprise pas pour tout le monde.

Pour l’instant, ce qui offusque le plus les journalistes, ce sont ces émissions où ce sont des « vrais gens » qui interrogent les politiques. Comment donc ! « poser des questions, c’est un métier » a cru bon préciser l’un d’eux. C’est le métier de journaliste. L’argument c’est que les journalistes savent aller en profondeur, savent relancer l’invité quand il répond mal. En effet, les journalistes français sont réputés pour leur ténacité et savent bien relancer un politique (qu’ils ont souvent connu sur les bancs de sciences-po). Ils savent aller au fond des choses et poser les questions qui fâchent. On croit rêver ! Lorsque le secrétaire d’Etat M.Azouz Begag déclare violemment que « les socialistes n’avaient jamais nommé un ministre arabe ou Noir », aucun des trois éminents journalistes qui l’interrogent n’ont évoqué M.Kofi Yamgnane, secrétaire d’Etat aux affaires sociales et à l’intégration de Mme Cresson.

Paradoxalement le public se reconnaît davantage dans les cas particuliers des « gens ordinaires » sélectionnés que dans les généralités trop éloignées de leur quotidien évoquées par les professionnels. Lorsque le quotidien se fait sentir durement, il est bien évident qu’on y pense prioritairement. Il faut un minimum de confort matériel pour pouvoir s’intéresser à ce qui est éloigné ou qui paraît abstrait. Il faut en tenir compte.

Les journalistes mis en cause par le principe de ses émissions poussent des cris d’orfraie, en profitant –comme si c’était un droit naturel – d’une audience exceptionnelle, mais ne se remettent pas en question. A aucun moment, ils ne s’interrogent sur leur façon de s’adresser aux politiques, sur les questions bienveillantes envers les partis de gouvernements et l’agressivité envers les partis écologistes ou minoritaires.

En fait, à chaque fois que l’on se permet la moindre remarque sur les journalistes, on a droit à des éditoriaux enflammés, des minutes entières de réponses à l’antenne pour dénoncer cette atteinte intolérable au droit à l’information qu’ils estiment incarner. Comme la plupart d’entre eux ne mettent pas vraiment leur vie en danger en fréquentant le « microcosme » politique, le moindre propos désobligeant en fait des martyrs. Dans le même ordre d’idée, ils avaient lancé le titre de « grand reporter politique » pour s’approprier le prestige des grands reporters genre Roger Pic et autres.

L’ancien directeur adjoint de la rédaction de France-Inter, Claude Guillaumin, avait publié un livre dont le titre était révélateur de cette paranoïa médiatique : « Faut-il brûler les journalistes ? ». Il y reprenait toutes les critiques entendues sur son métier et les réfutait sans convaincre. Son livre n’a eu aucun succès. Pourtant, aucun journaliste ne s’est interrogé sur ce flop. Le public est ingrat, un point c’est tout. Le public a tort de ne pas les comprendre.

Lorsqu’il s’agit de faire le ménage (plutôt que faire des ménages**), les journalistes n’ont pas leur pareil. Dernière mystification en date, l’éloignement d’Alain Duhamel qui a pris position dans une réunion semi-privée pour la candidature de M.Bayrou. Cette fois, c’en était trop. Il fallait punir le coupable tel l’âne victime expiatoire des « Animaux Malades de la Peste ». Quand on pense que tous les journalistes de premier plan soutiennent un candidat (ce qui est leur droit le plus absolu), que son frère Patrice téléphonait tous les soirs au secrétariat de l’Elysée pour savoir ce que le Président Giscard souhaitait que l’on dise à l’antenne et qu’à l’époque seule Mme Garraud –un comble –l’a mis en cause directement, on ne peut que crier à la tartufferie ; d’autant que son remplaçant sur RTL est M.Franz-Olivier Giesberg…

Voilà l’idée que se font les journalistes de leur éthique. Mme Chabot, directrice de la rédaction de France2 n’a jamais été inquiétée pour avoir donné plus de deux heures d’antenne au candidat Sarkozy la veille de l’ouverture de la campagne officielle. Elle peut bien jouer les vertueuses en écartant le coupable Duhamel.

Le public sent bien qu’on le manipule, qu’on ne va pas au fond. Il peut constater la connivence et les questions convenues posées aux politiques de pouvoir. Il constate que lorsque l’on ne répond pas à une question presque gênante, les journalistes n’insistent pas. Il constate l’agressivité envers les autres. Il se détourne de la politique. Comment pourrait-il en être autrement quand, tous les jours, on sait tout de la couleur des tailleurs de Mme Royal, de ses lapsus ? Quelle audace ! En revanche, on ne sait rien de ses propositions ? mais c’est qu’elle n’en a pas. Tous les jours, les journalistes relèvent le petit mot qui a échappé de la bouche d’un politique et nous indiquent que c’est une allusion à un partenaire. Dès lors, ils peuvent entonner leur refrain favori sur l’air des querelles internes d’un parti : les tendances, les rivalités de personnes, les ambitions des uns, les rancunes des autres. Lorsqu’il y a des alliances, c’est du pain béni : cela promet des commentaires sur les ralliements contre-nature puis sur les trahisons. Jamais il n’est question de stratégie et encore moins de pensée politique qui évolue ou qui s’affine : surtout ne pas sortir du cadre qu’on a péniblement appris à Sciences Po. Jamais il n’est question d’analyse sur le fond. Jamais on ne les voit décortiquer les propositions, enquêter pour voir si elles sont applicables et comment. D’ailleurs, le fond, ça ne fait pas vendre, ça ne fait pas d’audimat.

Pourtant, de temps à autre, des dynamiques semblent redonner un intérêt à la chose publique. La dernière en date a été, précisément, l’inscription massive des jeunes sur les listes électorales. Qu’à cela ne tienne, les journalistes se mobilisent aussitôt pour bien leur montrer comment il faut faire, comment il faut penser, ce qu’ils faut penser des bons candidats, des candidats sérieux et comment il convient de mépriser les autres venus faire diversion. Ils ont participé au détournement de leurs aînés de la vie politique mais ils espèrent farouchement renouveler leur clientèle avec les jeunes génération sans changer leur fond de commerce. Surtout ne pas changer la recette, c’est le public qui doit changer ses goûts.

Reste que la crise est beaucoup plus profonde qu’il ne paraît. Avec ce jeu des « petites phrases », des rivalités de personnes, réelles ou provoquées, on a précipité le public des commentaires convenus des journalistes aux pitres médiatiques. Ce qui fait le succès des « Guignols de l’info », Ruquier et autres Bern, c’est précisément la défiance envers les professionnels. Or, ces derniers, font encore moins que les journalistes de recherche en profondeur et sont encore moins représentatifs de la population. Ils se servent des informations livrées par les journalistes et tentent d’y trouver ce qui va faire rire. Ils s’adressent surtout à un public bobo habitués à rire au nom de la liberté d’expression. Il faudra bien aborder un jour cette crise de la représentation médiatique au lieu de vouloir changer le public ou, comme on dit pompeusement, l’informer pour qu’il comprenne que les journalistes ont raison quoi qu’il arrive. En fait, quand il y aura une nouvelle surprise au soir du premier tour de l’élection présidentielle (tout comme au soir du 29 mai 2005), on dira que les électeurs se sont trompés et auraient dû écouter ce qu’on s’est tué à leur dire.

** faire des ménages pour un journaliste signifie animer contre rémunération (souvent importante) un débat ou une conférence pour le compte d’une entreprise privée ou d’une institution.

En marge : A chaque fois, on évite le débat, on évite la remise en cause ou plutôt la mise en cause car il n’y en a jamais eu. Au début des années quatre-vingt dix, après l’affaire de Timisoara, c’était sûr, on ne tromperait plus les journalistes et ils ne tomberaient plus dans la facilité de la manipulation de l’information. Quelques mois plus tard, les Etats-Unis et quelques autres pays coalisés attaquaient l’Irak pour défendre le Koweit.  Tous les records d’approximation ont été battus : erreurs sur l’histoire, la géographie, les ethnies, les religions et leurs principes fondamentaux, les relations internationales, les armées et leurs équipements, les alliances*. La  guerre devenait un show médiatique. La première erreur a consisté à nommer ce conflit « la guerre du Golfe » puis « la première guerre du Golfe », ignorant –et avec quel mépris – la première guerre appelée « guerre du Golfe » qui avait opposé pendant huit ans l’Iran attaqué par l’Irak. Cette guerre avait fait plus d’un million de morts. Ces mêmes ignorants suggéraient que l’Iran pourrait aider l’Irak contre les Etats-Unis. On atteignait le comble de la sottise. Or, à aucun moment, nous n’avons eu droit au moindre regret. Les mêmes avaient affirmé que puisque des soldats étatsuniens, chrétiens, juifs et autres foulaient le sol sacré de l’Arabie Saoudite, on verrait de grands changements dans ce pays. Oui, on a vu. Le régime s’est radicalisé et a interdit aux femmes de conduire une voiture. Quel progrès !

Pourtant, aucune de ces erreurs n’a eu droit de citer. Pensez ! les relever constitueraient un atteinte grave à la liberté de la presse et puis, personne ne s’en rappelle. L’ignorance et la suffisance de la majorité des journalistes sont assurés de l’impunité totale. D’ailleurs, ils se gardent bien d’inviter ou de faire référence à des personnalités qui pourraient les contrarier.

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