CAMUS
Ce commentaire s’appuie sur la journée spéciale sur France-Inter « Camus, l’obsession de la démocratie, le numéro hors-série de Télérama « Camus, le dernier des justes », le numéro hors-série du Figaro « Camus, l’écriture, la révolte, la nostalgie », à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de l’écrivain le 4 janvier 1960.
D’abord, on peut noter que si le président Sarkozy n’avait pas découvert Camus ces derniers mois, on n’aurait probablement moins parlé de cet anniversaire. Sa volonté de le faire entrer au Panthéon à ravivé les polémiques dont l’écrivain était coutumier bien malgré lui. Albert Camus est donc mort dans un l’accident de la voiture que conduisait son ami Michel Gallimard. Il possédait une Facel-Véga, voiture puissante tout à fait inadaptée aux routes, même nationales, avec un trafic qui commençait à poser problème. Non loin du lieu de l’accident, en retrait de la route nationale, on peut distinguer un petit bouquet d’arbres étrangers au climat du bassin parisien. J’ai toujours pensé qu’il s’agit là d’un clin d’œil, d’un hommage discret comme la vie du grand homme qui ne cherchait pas les honneurs tout en les acceptant, qui ne se mettait jamais en avant mais que la justesse d’analyse, la puissance de la réflexion, le charme, enfin, propulsait constamment au sommet.
Comme on dit simplement : il avait tout compris. Il
appartenait à ces hommes d’une lucidité hors du commun, détaché de toutes les
chapelles, à une époque où l’on se devait de revendiquer son appartenance à une
idéologie. Quand on était instruit et qu’on devenait un intellectuel, on se
devait d’être communiste. Camus l’a été très jeune mais a tôt fait de déceler
les pièges d’un appareil au service d’un totalitarisme. Lorsqu’il a fallu en
combattre un autre, Camus s’est engagé. Il a sali ses mains et participé à la Résistance la Résistance
La misère, il l’a connue. Ce n’était pas une abstraction, un sujet philosophique mais un état qu’il avait vécu. Lui ne parlait pas au nom des pauvres. Il en était et sans en faire un étendard et en gardant une pudeur excluant les descriptions sordides. Tout au contraire, il raconte comment il a vécu dans la rue, comment il jouait avec les autres, comment il allait à la plage à une époque où un simple short permettait à un homme d’aller se baigner. Il faut avoir vu la misère en Afrique et sur d’autres continents pour savoir que ceux qui évoluent dedans vivent la restriction mais échappent à toute image misérabiliste véhiculée par ceux, précisément, dont c’est le métier de parler de la misère. Des années plus tard, quelqu’un comme Coluche n’évoquait jamais la pauvreté qu’il avait vécue et en riait. De même, ceux qui ont connu les camps d’hier et d’aujourd’hui affichent une modération incompréhensible envers leurs bourreaux comme ceux qui ont vraiment résisté ont été les plus indulgents envers les collabos.
Décidément, on ne pouvait pas le prendre en défaut sur son enfance, sur sa jeunesse. Alors, c’est le présent qu’on lui a reproché. Encore une fois, même après guerre –surtout après guerre –il fallait choisir son camp. Or, Camus refuse de se voir imposer quoi que ce soit. Camus a subi la misère, la mort de son père, les handicaps de sa mère. Il ne pouvait plus se voir contraint ou restreint.
Camus est demeuré fidèle à ses origines. Il a toujours préféré le populo aux gens raffinés. Le football lui a fait connaître le collectif et il se sentait heureux en faisant du théâtre qu’il ambitionnait de servir de son mieux avec des textes remarquables. Là encore, on n’attend pas d’un intellectuel qu’il se mêle à la foule des stades et le théâtre reste à part. Tantôt gaudriole pour les petits bourgeois, tantôt élitiste et révolutionnaire. Camus ne veut pas se ranger dans l’un ou l’autre genre. On aurait voulu un Camus romancier d’avant-garde, essayiste, dandy dont chaque ligne aurait été prévisible.
Clairement à gauche, légitimé par son action dans la Résistance la Kabylie
A partir de là, ça commençait à chauffer pour lui. Le comble
a été le Prix Nobel de littérature en 1957. Il eut été convenable pour un
intellectuel de gauche de le refuser, ce qui lui aurait fait de la publicité et
augmenté son prestige. Camus va à Stockholm et y rend hommage à un modeste
instituteur d’une école d’un quartier pauvre d’Alger : Louis Germain.
C’est tout ce qu’il revendique comme maître à penser. Camus ne fait rien de ce
qu’on attend de lui. C’est cela qui est intolérable.
Après, une journée d’hommages à Camus, on peut remarquer que beaucoup essaient de le mettre au goût du jour sur le mode : s’il vivait aujourd’hui, voilà ce qu’il dirait, ce qu’il ferait… On tente de se l’accaparer. On en fait un homme de notre temps. On souligne à l’envi ses infidélités féminines comme on insiste sur l’homosexualité de Rimbaud. Toujours le dessous de la ceinture plus commode que la lecture d’un bouquin. On veut expliquer quelques unes de ses expressions à l’aune de ce que l’on sait depuis. La fameuse phrase : « entre ma mère et la justice, je choisis ma mère » est toujours aussi mal comprise. Sortie de son contexte, on pense parfois que sa mère est l’Algérie. D’autres disent que « sa mère » devrait être l’Algérie et regrettent un engagement qu’il n’a pas pris. D’autres, encore, affirment qu’il n’a pas parlé de la justice mais de l’Algérie et qu’on a sciemment déformé ses propos. En l’occurrence, il estimait que l’on pratiquait le terrorisme au nom de la justice mais que sa mère pouvait mourir dans un attentat si une bombe était placée dans le marché où elle faisait ses courses. En bon fils et en bon méditerranéen, il ne pouvait se résoudre à la mort de sa mère dans un attentat. Aucun Algérien ne pourrait s’y résoudre.
On a rappelé sa polémique avec Sartre. Lui-même avait écrit dans un texte trop peu connu : « une brouille, cela n’est rien, dussions-nous ne jamais nous revoir ». Ce sont les autres qui n’ont cessé de mettre de l’huile sur le feu et de suivre aveuglément le pilier du Café de Flore. Aujourd’hui, il est de bon ton de démontrer que Sartre s’est trompé sur toute la ligne tandis que Camus, injustement traité, a eu raison avant les autres comme l’atteste sa réputation à l’étranger. Ce n’est pas si simple. On peut bien faire parler les deux morts et s’en réclamer sans crainte à présent.
En revanche, personne –absolument personne –n’a évoqué son
dernier cercle d’amis proches. Les derniers temps (mais on ne le savait alors
pas), Camus fréquentait les anarchistes. Parmi eux, Maurice Joyeux a été celui
qui l’a le plus approché. Il a rapporté que pour l’Algérie, l’écrivain était
partisan d’une solution à la
Brésilienne