Dimanche, j'y vois rien !

C’est un dimanche où l’on se réveille avec la gueule de bois. Hier soir, on s’est couché en redoutant de se réveiller avec de nouveaux affrontements en Côte d’Ivoire. Le Président en place a fait annuler le scrutin dans les régions qui ne lui sont pas favorables. Résultat, c’est lui qui remporte l’élection présidentielle. Il se fait investir pendant que son rival s’appuie sur les scores reconnus par la commission électorale à peu près indépendante et par les observateurs de l’ONU. Ce dimanche matin, on en est toujours là mais on craint, chaque heure, d’entendre que les troupes ont fait feu sur des groupes armés ou non.

La nouvelle n’est surement pas parvenue en Côte d’Ivoire mais Jacques Lafleur est mort. Membre de l’ethnie caldoche, il s’était violement opposé aux Canaques réclamant l’autonomie en Nouvelle-Calédonie. Les deux peuples en sont venus aux mains. Il y a eu un mort dans chaque camp et, comme effrayés par ce qu’ils avaient commis, ils se sont calmés et ont commencé à négocier. En métropole, c’était la « cohabitation ». La droite revancharde entendait revenir sur toutes les avancées apportées par la gauche depuis 1981. Afin d’affaiblir le gouvernement socialiste, la droite n’a pas hésité à jeter de l’huile sur le feu pour relancer les affrontements sachant que ça passerait mal –et pour des raisons contradictoires –dans l’opinion. Les électeurs de gauche ne supportant pas la répression de l’expression populaire et anticolonialiste tandis que ceux de droite ne supporteraient pas de voir ne serait-ce qu’un ilot de l’ancien empire colonial accéder à une indépendance inéluctable. Pasqua était parti souffler sur les braises avant de s’illustrer dans une répression sanglante une fois parvenu au pouvoir. La tuerie d’Ouvéa a vu des gendarmes tués à coups de haches alors qu’ils s’en prenaient à des groupes armés. Que de morts horribles pour rien !

La démocratie a ceci de bien qu’on peut changer les gouvernements incapables et discrédités. La réélection de Mitterrand a permis de renouer le dialogue. Avec la « méthode Rocard », Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se sont entendus et ont fait la paix sous les auspices, il est vrai, de la franc-maçonnerie. Puisse leur exemple prévaloir en Côte d’Ivoire.

Autre raison de se lever en tremblant ce dimanche matin : le Téléthon. D’abord, ça commençait mal. M. Bergé rameute la presse et les élites depuis des mois pour dissuader les gens de participer au Téléthon qui fait de l’ombre au Sidaction. C’est particulièrement dégueulasse de vouloir opposer les souffrances et les malades. Certes, les enfants handicapés par une maladie génétique de naissance sont moins médiatiques que les artistes qui ont contracté le sida. Bergé prêche pour sa paroisse et craint (ce qui est respectable) pour la santé de son entourage. Au bout du compte, il y a des malades qui attendent des moyens pour se soigner et atténuer leur souffrance. Quant au public, il est assez grand pour savoir à quelle cause donner un peu d’argent. Il est dommage que quelqu’un use de sa notoriété pour faire pression sur les patrons de presse pour diminuer les aides aux maladies génétiques au profit de la lutte contre le sida. Bien sûr, ce fléau doit être combattu mais pas en opposant les malades entre eux. A l’heure où le choléra s’étend sur la petite île d’Haïti, où le paludisme fait un million de morts chaque année, où la sclérose en plaques tue à petit feu des millions de gens, où la fibromyalgie est surnommée « la cruelle » par les femmes qui sont torturées par ce mal, sans avoir rien fait qui attire ces maladies, il est regrettable qu’une personnalité ne s’intéresse qu’aux malades médiatisés. Faut-il rappeler que contre le sida, les six chaines de télévision généraliste se mettent régulièrement ensemble pendant 24 heures pour produire un programme unique destiné à informer et à recueillir des fonds ? Apparemment Bergé en voudrait plus et que ceux qui donnent pour le Téléthon arrêtent et donnent à la cause qui lui tient à cœur et qui est la seule valable pour lui.

En plus de cette campagne ignominieuse, le mauvais temps a démobilisé les bénévoles. Résultat, ce matin, on enregistre une baisse du montant des dons. Pourtant, ce n’est pas ce qui fait la une, pas plus que la situation en Côte d’Ivoire. Non, ce matin, c’est l’élection de Miss France qui retient l’attention d’autant que la fondatrice de ce concours de beauté s’est démarquée à cause des intérêts des télévisions commerciales. Même la finale de la Coupe Davis est reléguée alors que la France peut l’emporter. Formidable civilisation où une fille en maillot de bain porte une couronne quand la guerre menace et la maladie opprime encore et toujours.