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la lanterne de diogène
12 mars 2011

Chirac et la Justice

 

Que ce procès ait lieu ou pas, il pose déjà de nombreuses questions tant sur la justice que sur la vie politique et la démocratie en général.

 

D'abord, on voit bien que, de plus en plus, les jugements portent sur la forme et non sur le fond. Les notions d'innocence et de culpabilité sont prises en compte de façon anecdotique. La crise morale fait qu'un juge se garde de juger ses semblables mais examine, à la mode anglo-saxonne, les arguments des avocats. Les avocats, eux, sont choisis, non en fonction de leur éloquence (il suffit d'entendre celle de M. Sarkozy avocat de formation pour le comprendre) mais de leur capacité à débusquer un vice de forme, une virgule mal placée afin de reporter voire d'annuler une procédure. L'avantage, c'est que cela décourage le plaignant de bonne foi qui n'aura pas la malice de recourir à ces artifices.

 

Dans le cas Chirac, un report à l'automne signifie que nous serons au début de la campagne présidentielle ; donc le procès sera reporté l'été suivant. Dans quel état de santé se trouvera-t-il alors ? On sent bien qu'un puissant dispose de toutes les facilités pour échapper à la justice. Dans quelque conflit que ce soit, on sait bien que le temps amoindrit le ressenti quant à la faute commise. Un enfant pris la main dans le pot de confiture, s'il n'est pas puni immédiatement, ne pourra pas l'être ne serait-ce que le lendemain. D'un côté, il vivra la sanction comme un injustice vu qu'on lui demandera des comptes au moment où il n'aura rien fait de mal. De l'autre, l'autorité pénalisante sera encline à amoindrir les faits reprochés avec le recul : finalement, il n'a pas pris tellement de confiture et puis, ce n'est que de la confiture. Justement, la Justice n'est pas la punition et encore moins la vengeance : elle a besoin de temps, de recul et de sérénité. Dans tous les cas, le temps travaille pour le prévenu tandis que les victimes subissent chaque jour les conséquences de l'acte.

 

Des voix reprennent à la chaine l'idée selon laquelle, les faits sont anciens et le prévenu âgé : qu'on lui fiche la paix. Maintenant qu'il ne fait plus rien – après un demi-siècle de vie passée dans les ministères et à l'Élysée – monsieur Chirac est l'homme politique le plus populaire. On a déjà tout oublié et, surtout, on ne veut pas entendre qu'on a tort de le trouver sympathique. Ça voudrait dire qu'on ne réfléchit pas. Et, si l'on ne réfléchit pas pour ce cas-là, il y a de grandes chances qu'on ne réfléchisse pas plus au moment de voter ou de répondre à un sondage. On ne retient de lui que l'homme qui se goinfre de pâtés, de bière, qui multiplie les conquêtes féminines et s'attendrit à la naissance de son petit-fils. Ça, les Français adorent. Bien peu sont ceux qui considèrent que quelqu'un qui a passé le plus clair de sa vie à réunir les conditions pour devenir Président de la République, aurait dû, précisément, adopter une attitude la plus exemplaire possible au moins par égard pour la fonction suprême. Nous verrons que c'est tout le contraire.

 

Monsieur Chirac a donc occupé la vie politique pendant un demi-siècle, à peine interrompu par la guerre d'Algérie, d'abord dans les cabinets ministériels, ensuite comme secrétaire d'État avant de grimper dans la hiérarchie ministérielle. Il illustre parfaitement le carriériste politique ambitieux et dénué de scrupule. L'apogée de sa carrière, il l'aura vécue au milieu des années 1970 lorsqu'il a appelé à voter pour le candidat Giscard d'Estaing à la présidentielle de 1974, contre l'avis de sa famille politique d'alors, les gaullistes. On peut dire qu'en entrant à Matignon, non seulement il enterrait le gaullisme mais, surtout, il devenait chiraquien et plus rien ne comptait plus. Il a d'abord été en conflit avec celui qu'il avait contribué à faire élire, lui reprochant d'appliquer son programme plutôt réformiste. Qu'on se souvienne seulement de la majorité à 18 ans et de l'IVG. Ce n'était pas vraiment ce que la bourgeoisie attendait d'un président issu de ses rangs. M. Chirac se voyait plus en co-président qu'en chef d'un gouvernement à moitié centriste.

 

En fait, sa carrière prend toute sa dimension après la démission de l'été 1976. Lorsqu'il crée, peu de mois plus tard, son propre parti sur les ruines du parti gaulliste. Il prend soin de ne pas heurter ce qui faisait sa base. Il se réclame du « travaillisme à la française ». Le RPR était un parti de masse directement concurrent du PCF, principal parti d'opposition à l'époque. Qu'on songe que moins d'un an plus tard, il cumule les mandats de maire de Paris – et donc président du Conseil Général de Paris en raison du statut particulier de la capitale – député de la Corrèze, président du Conseil Général de Corrèze. À cela s'ajoutent tout un tas de petits mandats qu'on a tort de négliger comme président de l'office de tourisme ou d'un parc naturel sans compter la présidence de droit de l'administration des hôpitaux municipaux et, à Paris, ça fait beaucoup. Bien entendu, la principale fonction qui le retient est la présidence du parti qu'il a créé pour servir son ambition.

 

À la faveur de l'éventuel procès Chirac, on commence seulement à dire qu'il ne pouvait pas faire tout ça et que, pour chacun de ses mandats et fonctions quelqu'un faisait le boulot dans l'ombre tandis qu'il était entièrement occupé par son objectif suprême : la présidence de la République. Arrêtons nous un instant. Des commentateurs suggèrent à présent qu'ils savaient. Cela montre, là encore leur hypocrisie puisque, pendant ces années, non seulement ils n'informaient pas le public sur ces pratiques de prête-noms mais, en plus, ils feignaient de s'étonner quand quelqu'un les dénonçaient.

 

Ce qu'ils savaient, c'était que M. Chirac ne s'occupait pas beaucoup de la mairie de Paris. Pourtant, c'est la capitale de la France et une des plus prestigieuses villes du monde. Cela n'a que peu d'importance quand seule sa carrière compte. À sa place, Christian de la Malène fera le boulot avant d'être évincé pour avoir soutenu la candidature de Michel Debré contre celle de M. Chirac à la présidentielle de 1981. Ensuite, M. Tibéri, plus loyal, s'occupera de tout y compris de rencontrer l'Abbé Pierre et de l'envoyer balader. Imaginons que M. Chirac l'ait fait lui-même. M. Tibéri a été longtemps le fusible parfait et le bouclier protégeant son seigneur et maître. Au RPR, un secrétaire général tenait le parti d'une main de fer. Longtemps, Pons a rempli cette tâche. Reste le Conseil Général de la Corrèze. Son épouse l'a secondé avant de récupérer le siège. Là encore des collaborateurs de l'ombre faisaient le boulot ingrat. En revanche, il était plutôt présent à l'Assemblée Nationale où il disposait d'une tribune qui lui permettait de rappeler à son successeur, Raymond Barre, qu'il avait été son ministre. N'oublie pas qui t'a fait roi ! Le vieil adage est toujours valable. Le seul véritable échec dans la stratégie de M. Chirac aura été son incapacité à imposer aux militants un successeur. M. Devaquet était très impopulaire au RPR qui lui a fait payer sa proximité d'avec le chef et M. Juppé, trop froid et trop technocrate n'a pas convaincu notamment parmi les reliquats de militants populaires. Néanmoins, ils auront payé l'un et l'autre, à la place de leur mentor, ses fautes avérées. C'est fort pratique. À chaque fois qu'un scandale éclatait ou qu'une politique était calamiteuse, M. Chirac s'en sortait à peine éclaboussé tandis que la presse et l'opinion se déchainaient contre les prête-noms qui ne pouvaient dissimuler leurs mains couvertes de cambouis. Rappelons que c'est cet homme qui a représenté la France pendant douze ans et qui est en tête des sondages de popularité actuellement.

 

Quant à la démocratie, elle apparaît bien imparfaite quand on découvre que la question prioritaire de constitutionnalité va être tranchée par le Conseil Constitutionnel. Jusque là, rien que de très démocratique. Sauf que le propre Chirac siège de droit et de fait à la cour suprême, qu'il a nommé nombre de ses membres dont le Président actuel, M. Jean-Louis Debré. On sait, par ailleurs que le propre frère de celui-ci est mis en cause dans le procès pour avoir bénéficié d'un emploi présumé fictif. N'oublie pas qui t'a fait roi !

 

A priori, on n'imaginait pas cela quand le Conseil Constitutionnel a été créé. Jusqu'à présent – à part les nationalisations de 1982 qu'il a corrigées afin de rapporter beaucoup aux anciens actionnaires – la cour constitutionnelle avait à peu près bien rempli son rôle. Tout de même, en nommant M. Debré président du Conseil Constitutionnel, M. Chirac savait ce qu'il faisait. Il savait que son immunité tomberait à la fin de son mandat et que le frère de l'autre était mouillé. M. Giscard d'Estaing a longtemps snobé la cour suprême. Il n'y siège que depuis qu'il a renoncé à sa carrière présidentielle. M. Chirac, lui, siège depuis sa retraite. Quand on songe que, jusqu'alors, il n'exerçait que très peu ses nombreux mandats, on ne s'étonne plus de son intérêt pour la Constitution.

 

Le sens de la démocratie de M. Chirac est assez particulier. Reprenons la Mairie de Paris qui devait lui servir de marche-pied pour l'Elysée, ambition unique et supérieure. En 1977, pour la première fois, la ville-département de Paris se dote d'un maire élu. Ce sera M. Chirac. Aussitôt, il nomme des « commissions d'arrondissement » chargées d'exécuter sur place l'action du Conseil Municipal et de répercuter les souhaits des administrés au plus près. Ces commissions étaient composées des membres de la liste d'arrondissement qui soutenait la candidature de M. Chirac. Jusque là, rien à redire : c'est ce qu'on appelle la démocratie de proximité. Sauf que, dans les arrondissements où la liste « Chirac » a été battue, ce sont précisément les membres battus qui siégeaient. En d'autres termes, les électeurs ont voté majoritairement pour les uns mais ont vu les autres siéger.

 

De temps en temps, la presse relatait quelques curiosités de ce genre, notamment après le changement de statut qui a imposé dès les élections de 1983, un maire d'arrondissement en lieu et place des « commissions d'arrondissement ». Au passage, c'est suite à l'élection d'un certain Le Pen comme Conseiller du 20ième arrondissement (et pas Conseiller Municipal) que François-Henri de Virieux l'a invité dans son émission. La suite funeste, nous la connaissons jusqu'en avril 2002. Ces curiosités, c'était, par exemple, un bureau mis à la disposition d'un proche de M. Chirac dans une mairie d'arrondissement détenue par la gauche. Cette personnalité en devenir avait accès, on ne sait comment, au courrier destiné au maire d'arrondissement auquel il s'empressait de répondre qu'avec l'appui du Maire de Paris, il faisait son possible pour satisfaire la doléance. Le même représentait le Maire de Paris lors de cérémonies, banquets et autres réjouissances dans l'arrondissement. Le résultat a été le 20/20 réalisé par les listes Chirac aux élections municipales de 1989. Notons que c'est par ce biais qu'un certain Alain Juppé a été propulsé.

 

Finalement, un procès Chirac gênerait beaucoup de monde. D'abord, la Mairie de Paris, actuellement détenue par un socialiste, se satisfait d'un arrangement financier. Comme dit un autre adage : les loups ne se mangent pas entre eux. Cette pratique des petits arrangements pourra encore servir. On ne sait jamais. Ensuite, sous des apparences démocratiques avec contrôle de tous les organes de la République par une assemblée ou un conseil de sages, on retrouve des personnalités sures qui contrôleront surtout que leur intérêt est préservé. Dans les films de gangsters, on dit « des hommes à soi ». Pas de danger que les grands noms en prennent pour leur grade. Enfin, la « volatilité » de l'électorat – pour ne pas dire autre chose – est mise en relief et l'on n'aime pas être mis face à ses propres contradictions et ses propres faiblesses.

 

Justement, concernant la démocratie et la vie politique, l'opinion publique se montre relativement large. C'est comme ça. C'est pas notre monde. On n'y peut rien. Quand même, imperceptiblement, on éprouve un début de dégoût et, la prochaine fois, on s'abstiendra d'aller voter quand on voit à quoi ça sert.

 

En réalité, ce qui sort le plus meurtri de ce procès ou de ce non-procès Chirac, c'est la Justice. Même sans avoir fait d'études, on comprend bien que le prévenu s'en sortira d'une manière ou d'une autre tandis que le justiciable ordinaire sera bel et bien puni. On ne comprend pas tout du jeu des avocats mais on sent bien qu'ils sortiront d'autres ficelles pour que M. Chirac ne comparaisse même pas. Quand on entend ses avocats, la main sur le cœur, regretter que, les propres recours qu'ils ont déposés vont « empêcher leur client » de se défendre, pas besoin d'être bien éveillé pour comprendre qu'ils mentent de façon éhontée. C'est tout juste s'ils ne nous disent pas qu'il avait enfilé son pardessus et mis ses chaussures et qu'il a fallu décommander le taxi à la dernière minute.

 

 

Or, au moment où le procès Chirac est reporté, pour ne pas dire annulé, on apprend que le procès en appel de son lieutenant et fidèle de toujours, M. Tibéri, va se tenir. Lui, a déjà été condamné à la place de son chef, il a pris sur lui tous les reproches normalement destinés à celui qu'il servait loyalement. Ça lui a coûté sa carrière. Pourtant, on ne le plaindra pas trop surtout s'il est relaxé en appel. Maintenant qu'il est évident pour tout le monde qu'il a pris pour l'autre, c'est plus qu'une probabilité. On apprend aussi que, dans le même Palais de Justice se tient un autre procès, celui qui met en cause une association qui a relogé, dans l'urgence, des personnes sans-abri, dans un immeuble vétuste qui a pris feu. Dix-sept personnes dont quatorze enfants ont péri en 2005 dans cet incendie. Ce procès illustre un autre visage de la Justice. Trois demi journées initialement prévues. Une salle trop petite pour accueillir le public et la presse et une sono défectueuse. Quand on dit que la Justice manque de moyens. On a alors dû investir la salle du Palais prévue pour le procès Chirac ajourné. On y revient. Finalement, six ans après les faits, le procès est renvoyé sine die. Là encore, point besoin d'être bien instruit pour comprendre que ce n'est pas une Justice à deux vitesses que nous avons mais un véritable dérailleur à plusieurs vitesses. Et les victimes dans tout ça ?

 

Relisons cette magnifique fable du grand Jean de la Fontaine :

 

Les Animaux malades de la peste

 

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Âne vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

 

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