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la lanterne de diogène
22 avril 2006

crise à France-Soir

Un mot sur France-Soir

Le crise que vit le plus célèbre quotidien français paraît pour le moins extrêmement complexe car elle suscite une série de questions qui vont au-delà d’un simple rejet d’une équipe dirigeante.

Elle provient du choix du tribunal de commerce de confier le titre à un duo composé de Jean-Pierre Brunois et Olivier Rey.

A été écarté le repreneur qui avait les faveurs des salariés, en raison de l’origine douteuse de son financement. Le Russe Arcadi Gaydamak s’engageait, notamment, à maintenir les effectifs.

On lira l’historique du titre sur http://fr.wikipedia.org/wiki/France_Soir

Comme toujours cette encyclopédie en ligne est remarquable.

On s’étonnera, peut-être, de voir, ici, abordé ce sujet. D’abord, les questions de presse et de communication m’ont toujours passionné. Ce blog n’est qu’un succédané de ce que j’ai toujours rêvé de faire.

Surtout, France-Soir est plus qu’un symbole. Pendant longtemps, ce titre apparaissait presque comme un nom commun ainsi que Frigidaire, Klaxon, Gloria, Larousse etc. Il suffit de voir les films des années d’après-guerre ou de revoir des sketches des années 1960 à la TV. Ça n’en fait, certes pas, un journal prestigieux, loin de là, mais plutôt un élément du patrimoine et de l’environnement. Je me souviens que, petit, dans le quartier de la Goutte d’Or où j’ai vu le jour, passait un bonhomme courbé, avec un long manteau gris et un sac en toile troué, tous les après-midi, et qui marmonnait plus qu’il ne criait : « France-Soir dernière ! ». C’est que, particularité du droit français, les quotidiens du soir peuvent être vendus à la criée. Or, comme son nom l’indique, France-Soir paraissait l’après-midi, comme La Croix et Le Monde, le seul a persister dans cette voie.

Je ne me souviens pas avoir connu France-Soir comme un journal de qualité. Il a été longtemps agréable à lire, apportant les informations les plus courantes et accordant une place importante au sport, au tiercé, aux programmes TV. Egalement, il proposait une page complète de bandes dessinées, souvent de qualité. J’avoue que je regrette cette tradition. Aujourd’hui, il faut acheter l’International Herald Tribune pour trouver des « comics » dont les célèbres « Peanuts » de Shultz. Quelques signatures figuraient de-ci, de-là, Robert Chazal notamment.

Au début, des années 1970, le quotidien de la rue de Réaumur lançait le samedi et le lundi « France-Soir 4 », un cahier central de quatre pages pour le sport. Et puis, vint la marche inexorable vers le déclin. Paul Winckler a repris le titre, mais ce n’était pas son boulot. Patron d’Edimonde, il savait parfaitement éditer et promouvoir la bande dessinée. Edimonde publiait  « le Journal de Mickey » et avait repris « Tintin » alors au plus bas. Un accord signé avec KFS lui permettait de diffuser en France des noms célèbres comme Mandrake, Guy l’Eclair, Illico, Blondie. Il défendait aussi des séries devenues depuis des classiques. Alors, il a revendu partie puis totalité de ses parts à Robert Hersant. Ce dernier avait pour ambition d’établir un monopole sur la presse écrite afin de défendre ce qu’on n’appelait pas encore le néo-libéralisme.

Il y est parvenu, en partie, malgré la résistance des héritiers du Conseil National de la Résistance à l’origine d’ordonnances  destinées à garantir la pluralité de la presse. En leur temps, la presse Hersant et les députés salariés du groupe avaient qualifié de « scélérates » les dites ordonnances. Las, après l’arrivée de la Gauche au pouvoir dans les années 1980, tout était bon pour l’affaiblir. La presse Hersant (imaginer un monopole ou une situation dominante sur une large bande allant de l’Oise au Vaucluse ainsi que le Nord et la Normandie et les Antilles) montait au créneau. Le Conseil Constitutionnel (majoritairement giscardien) était allé au-delà des espérances les plus folles du « papivore » puisqu’il a « constitutionnalisé » le groupe Hersant, pour reprendre l’expression du Canard Enchaîné, le mettant à l’abri de toute poursuite, lui accordant les coudées franches pour poursuivre son expansion. Comme la « Grenouille qui voulait être plus grosse que le Bœuf », il a fini par éclater, mais entre-temps, que de dégâts. Outre la disparition totale ou de fait de titres importants, le lectorat a diminué en raison de la baisse de la qualité et surtout de l’information télévisée.

Pendant ce temps, France-Soir proposait déjà un soi-disant quotidien populaire. En clair, en plus des rubriques citées plus haut, l’accent avait été mis sur les faits divers sordides (dans le genre de Détective), et la vie privée des vedettes (dans le genre de France-dimanche). Surtout, on a pris l’habitude de voir une photo de fille dévêtue, dans la grande tradition des tabloïds d’outre-manche où c’est carrément une institution. Nombre de vedettes se sont fait connaître en remportant le concours annuel. Parce que c’est « interactif » ! les lecteurs votent une fois par an pour leur modèle favori. France-Soir a voulu se lancer là-dedans mais sans grand succès en raison du fort lectorat féminin. Ensuite, courageusement, après cession du titre par Hersant (ça rapportait plus assez), la nouvelle équipe s’est lancée dans la critique de l’extrême droite et du racisme qui plaisaient à une partie du lectorat. Le résultat ne s’est pas fait attendre et le nombre de lecteurs a encore baissé malgré une hausse de la qualité. Comme quoi, les deux ne sont pas forcément liés.

Ces dernières années, la formule a changé plusieurs fois en fonctions des différents directeurs. La vérité force à indiquer que c’est le billet de Philippe Bouvard, d’un autre siècle, qui attire beaucoup de lecteurs mais ça ne suffit pas.

Le quotidien qu’ambitionne de (re) devenir France-Soir existe déjà : c’est Le Parisien /Aujourd’hui. Venu lui aussi des bas fonds après la longue crise qui a suivi la mort d’Emilien Amaury, passé par une période ouvertement raciste, les nouveaux héritiers ont entrepris de remonter la pente, progressivement, et de proposer ce qu’il est convenu d’appeler « un journal populaire et de qualité ».

La formule séduit et les repreneurs officiels de France-Soir ne se privent pas de la chanter sur tous les tons. Entendu sur France-Inter : « Nous allons faire un journal populaire et de qualité. Nous allons mettre l’accent sur les faits-divers, le turf, le sport, l’actualité des people. Les rubriques politique et culture seront supprimées. Nous voulons faire un tabloïd à la française ». Rappelons que « tabloïd » est un format, celui de l’Yonne Républicaine par exemple. En Grande-Bretagne, il caractérise les quotidiens populaires car cela permet de le lire dans le métro aux heures d’affluence. « The Sun » (le soleil) est le plus connu car le plus lu : plus d’un million de lecteurs chaque jour. C’est ce qu’on appelle un torchon : informations fausses, calomnies, xénophobies, faits-divers sordides, fille dévêtues (en fait le seul intérêt).

L’an dernier, cette presse avait publié le numéro de téléphone personnel d’un arbitre international, accusé par elle d’avoir défavorisé un club britannique. Les lecteurs ont harcelé puis menacé de mort cet arbitre à son domicile. M.Anders Frisk, excellent arbitre international a démissionné, craignant pour sa famille. En 2004, c’était M.Urs Meier qui avait subi les menaces des torchons d’outre-Manche. Olivier Rey, spécialiste de football ne peut pas ignorer ces faits. C’est donc en pleine connaissance de cause qu’il ambitionne de faire ce type de journal avec JP Brunoy. Maintenant que l’on commence à savoir ce qu’est le Sun, ils s’en défendent mais cela a été dit la semaine dernière.

Qui est Olivier Rey ? il a fait ses débuts au service des sports d’Antenne 2 dans les premières années 1980. Attaché au football, j’ai le souvenir qu’il ne faisait que des commentaires négatifs. Un but était marqué : c’était une faute de la défense. Une passe commentée était une passe ratée. Les gardiens manquaient tous leurs arrêts. Rien sur la beauté du geste sportif, rien sur la tactique. Ses reportages portaient sur la vie des clubs en difficulté. En cela il était sur la ligne de son premier patron Robert Chapatte.

On ne dira jamais assez le mal que cette rédaction a fait au sport populaire en montant en épingle les problèmes des clubs, en attisant les rivalités entre les dirigeants ( Bez-Tapie), en faisant preuve d’un chauvinisme ridicule (cependant en-dessous de ce qui existe dans tous les pays). Tous les journalistes qui sont passés par là ont été contaminés, même le vieux Roger Couderc qui, sur la fin, parlait des « Anglais qui ont eu la chance de marquer un essai ». J’en passe. Les journalistes honnêtes ont été progressivement écartés de l’antenne.  Alors, le jeune Rey a débuté dans cette atmosphère et s’y est plu. Souvenons-nous de sa couverture de la coupe du monde de 1982. Passé dans divers organes de presse, il a dirigé « But » l’hebdo du football mais il ne s’est pas bonifié au contraire de ses confrères qui, éloignés de Chapatte ont retrouvé leur personnalité et leur professionnalisme. Qu’on lise ses déclaration sur le blog des salariés de France-Soir : http://www.francesoirenlutte.com/signe-brunois-et-rey/

Maintenant, au-delà de l’anecdote, cette crise pose le problème de la presse quotidienne en France. Curieusement, elle se divise en deux groupes : la PQN et la PQR.

Késako ? Presse Quotidienne Nationale (les journaux parisiens ) et Presse Quotidienne Régionale.

La première ambitionne de proposer des articles de qualités, d’une portée universelle,  l’objectivité, une part importante accordée à la politique et à l’actualité internationale ainsi que quelques articles sur la médecine, le sport, la TV, la culture. L’objectivité paraît surprenante mais, lorsque l’on a proposé une fédération de la presse d’opinion, seuls La Croix et L’Humanité ont répondu présents, les autres prétendant proposer la vérité. Force est de constater que leurs lecteurs en sont persuadés ! Pourtant, malgré des qualités indéniables, ces quotidiens sont peu lus. Encore une fois pensons aux ventes quotidiennes du Sun ; et The Times, The Guardian, The Observer ne sont pas loin derrière, sans compter d’autres torchons qui veulent détrôner le Sun et rivalisent de saleté. Pour ma part, j’ai vu disparaître Combat, Le Parisien Libéré (grand format),  Paris-Jour, J’informe, Le Quotidien de Paris (deux fois), Libération (première façon et sans parler du premier Libération issu de la Résistance), Le Matin de Paris, le quotidien de Michel Jobert Paris ce Soir, la République, Info-Matin, sans parler de Charlie-matin (deux numéros seulement). L’Aurore n’existe plus que pour proposer une version allégée (sans les suppléments) du Figaro.

La presse régionale est pire. Le plus fort tirage national est détenu par Ouest-France, spécialisé en une multitude d’éditions –presque une par canton- afin que l’on n’ignore rien des chiens écrasés dans sa rue. Les autres, sur une seule ou deux éditions sont à cette image : le sport, les ragots, les accidents de la route, les promotions dans la gendarmerie, les bébés de la semaine, les marronniers. Ce terme désigne un type de rubrique qui revient régulièrement : arbres de Noël, galettes des rois, concours de pétanque, club de belote, courses de lapins, vides-greniers, fêtes de villages avec une photo floue, 14 juillet, etc.  Les responsables sont persuadés que c’est ce que demande le public. Je leur demande de nous montrer les dizaines de lettre qu’ils reçoivent toutes les semaines pour réclamer ces rubriques… bref, la PQR est en-dessous de tout. Les problèmes que vivent les gens dans leurs villages ou leurs quartiers ne sont jamais abordés sauf quand il y a des travaux ou un accident. On a droit à une belle photo montrant le panneau indiquant les travaux.

Cette division est encore une particularité française. Chez nos voisins comparables, Italie, Espagne, il en est autrement. Dans presque chaque ville existent un ou deux quotidiens et plus dans les très grandes villes. Florence (400 000 h) a son journal, Pampelune, plus modeste (190 000h), en a un également, sans parler de ceux des voisins immédiats. On les trouve dans les kiosques aux côtés de ceux des très grandes villes qui disposent de par leur diffusion locale de plus de moyens et qui sont plus près de l’actualité politique. Le parlement et le gouvernements siègent dans les capitales. Néanmoins, la presse régionale propose, à l’égal d’un Figaro ou d’un Libération, de pages entières consacrées à la politique, à l’étranger, aux sciences, à la culture avec l’accent mis sur ce qui se passe dans la ville d’édition. Il n’existe pas une hiérarchie fondée sur la ville, comme en France, mais selon la qualité et l’intérêt. C’est comme si Le Progrès ressemblait au Figaro à la différence qu’au lieu de parler des grèves à la RATP on y parlait de la TCL , tout en trouvant les pages économie, les grands reportages, la présentation des derniers films, un entretien avec une personnalité de premier plan. On en est loin. La Belgique, trop petite pour avoir une presse régionale, est un peu à part. pour un pays de la taille d’une région française, on peut trouver dans les kiosques nombre de quotidiens et beaucoup sont de très bonne qualité. Imaginons une telle pluralité dans la région Rhône-Alpes.

Autre particularité française : si la presse quotidienne est moribonde, on trouve pléthore d’hebdomadaires sans compter les autres périodiques.

La presse hebdomadaire en France propose la qualité et la diversité qu’on ne trouve pas tous les jours. Visiblement, l’information quotidienne ne relève plus de la lecture mais de l’écoute. On achètera de quoi lire pour approfondir, trouver des détails et des commentaires que l’audiovisuel n’offre pas. Le phénomène s’est accru avec la presse gratuite. Lue pour s’occuper dans les transports elle amène, paradoxalement, des lecteurs aux autres journaux. Les hebdos prennent le recul que l’immédiat ne permet pas, ce que les lecteurs apprécient. Bien mieux, les titres se multiplient et l’on n’enregistre que très peu de disparitions à l’exception notoire de L’Evénement du jeudi et, des années avant, de Maintenant. Néanmoins, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Les succès de ces dernières années concernent la presse à scandales rebaptisée « people » ou « trash », avec cette belle distanciation que permet l’emploi de mot à consonance anglaise et qui donnent l’impression qu’il s’agit d’une simple catégorie, à la mode comme tout ce qui fait croire que cela vient des Etats-Unis.

Quoi qu’il en soit, les titres se multiplient et trois autres sont annoncés pour la rentrée. On traque la paire de fesses d’une célébrité, on fouille les poubelles des vedettes. Le baiser à un(e) collègue marié(e) ne suffit plus. Dernier né, un titre qui propose des images spectaculaires de gens qui montrent leurs derrières en des lieux insolites, de poissons géants, de records absurdes, mains qui effleurent des sexes, vedettes saoules en train de vomir, vedettes (encore) faisant leurs courses, hommes vilains photographiés au milieu de dizaines de filles nues etc. Pourquoi donc payer -même mal- une starlette pour se dénuder quand la ménagère du coin le fera gratuitement et en rigolant et son mari bedonnant aussi ?  Quand la TV montre des jeunes qui pètent ensemble avec des sous-titres au cas où l’on aurait mal entendu, on se dit que le pire est à venir et viendra. Quand les caméras de TV d’actualité recherchent systématiquement des visages en larmes, on craint le pire. En écoutant l’excellente émission d’Ivan Levaï, le samedi sur F-Inter, j’ai entendu que le pire vient des Pays-Bas pour aller en Italie en passant par l’Allemagne, puis en Espagne et en Grande-Bretagne. La France reste finalement moins touchée. Qu’est-ce que ce serait sinon ? Dernière ordure en date (aux P-B) : un concours de sperme ! J e suggère modestement d’organiser tout de suite un concours de matières fécales, on gagnera du temps et il sera difficile de descendre plus bas.

Il n’y pas de fatalité. C’est un environnement favorable qui assure le succès de telles émissions et de tels torchons. La longévité doit beaucoup au faible coût de fabrication de ces produits ainsi qu’un faible prix. Il convient de nuancer en soulignant que de nombreux lecteurs sont volatiles en ce sens qu’ils achètent occasionnellement, « pour se marrer », ou pour un copain. Quand on propose essentiellement ça au public, il n’est pas surprenant qu’il finisse par y venir, surtout quand c’est pas cher ou qu’on n’a même pas à prendre la télécommande*.

Là encore, on approche de l’univers d’Orwell puisque le totalitarisme de 1984 proposait une littérature pour les prolétaires afin de les maintenir dans l’ignorance et anéantir leurs velléités de protestations.

Le meilleur service à rendre à la presse et à ses semblables est de refuser ces titres et ces émissions. Je ne doute pas que c’est ce que nous faisons tous. Il faut faire plus car il en va de notre propre survie et notre propre environnement. Par exemple en refusant de prendre part à des conversations autour de certains programmes TV, en protestant auprès de son coiffeur qui étale des torchons dans son salon. Ce n’est pas parce qu’on va se faire soigner ou couper les cheveux qu’on doit s’abêtir…

Alors, dans ce contexte, la tentation est grande de faire de France-Soir un torchon quotidien. Les archives regorgent de photos sensationnelles et les téléphones portables permettent d’actualiser. Cela garantit des coûts réduits pour une clientèle peu exigeante. On ne peut que déplorer la disparition d’un titre, surtout un quotidien en raison de la force symbolique qu’elle revêt. Si l’on peut se permettre une suggestion pour remonter France-Soir, ce serait de reprendre la formule d’Info-matin, disparu non parce que les lecteurs ne l’achetaient pas mais par décision du patron (André Rousselet) en conflit avec sa rédaction. Un peu tard, peut-être, puisque la formule a été reprise par les quotidiens gratuits.

Il importe de soutenir les salariés de France-Soir. Charles Baudinat, le dernier rédacteur en chef de l’ère Lazareff et la petite-fille de celui-ci expriment leurs inquiétudes quant au projet des duettistes. Un réaction paraît salutaire pour enrayer la dégringolade de la qualité de la presse.

* TF1est presque toujours la chaîne qui apparaît quand on allume le poste

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