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la lanterne de diogène
31 mai 2007

Nicolas Sarkozy un président pour les Français d'aujourd'hui

Un simple coup d’œil sur la composition de l’électorat Sarkozy nous donne une foultitude de renseignements telle la dent de Cuvier.

Ce qui marque le plus, c’est le raz de marée du candidat libéraliste chez les retraités. D’abord, remarquons que ça confirme l’analyse proposée plus haut

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/02/27/4134862.html .

A droite, on ne cherche pas un programme ni des idées, mais on suit un homme qui paraît le plus apte à défendre les fameux quatre grands principes qui fondent tous les autres (monter son affaire, transmettre son patrimoine, pratiquer sa religion, se déplacer). Précisément, l’annonce de la suppression des droits de successions a particulièrement séduit des personnes en fin de parcours et qui sont légitimement préoccupés par ce point. La sécurité occupe également une place prépondérante dans la mesure où elle est vécue comme la protection du patrimoine.

On peut percevoir une première tendance puisque le candidat s’est présenté comme le héraut de la rupture alors même qu’il est aux affaires depuis au moins cinq ans. De même, la plupart des ministres l’étaient déjà auparavant. Cela fait beaucoup pour quelqu’un qui prétend incarner la nouveauté, la rupture et autres balivernes. Ce n’est pas la seule contradiction, mais encore une fois, cela n’a aucune importance pour son électorat. Sur ce point précis, cela permet même de paraître moderne tout en restant attaché à ce qui revêt le plus d’importance. Il s’est présenté comme le candidat des jeunes alors qu’il a été plébiscité par les anciens. Sur cet autre point, il convient de nuancer un peu les résultat : quiconque fréquente quelque peu des adolescents observe qu’ils sont à fond (à donf ) pour Sarkozy.

Arrêtons nous un instant sur la jeunesse. Ce qui navre n’est pas tant le soutien à un candidat plutôt qu’à un autre. Le regret que l’on peut exprimer concerne l’absence totale de générosité du discours et du projet de M.Sarkozy. Le fait que les jeunes plébiscitent quelqu’un qui appelle sans ambages à exclure les plus démunis, les plus faibles, doit nous interpeller. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle société avons-nous construit ? Quelle image des rapports humains avons-nous proposée ? La violence du monde actuel engendre des chefs au service des plus violents et des masses qui suivent les plus violents car elles redoutent d’être avalées par les autres. Quelle société vont-ils construire ?

Les retraités ne sont pas les seuls à avoir plébiscité le représentant de la droite puisque les plus jeunes électeurs également. On peut observer que ce sont précisément celles qui sont les plus éloignées du travail : les uns parce qu’ils ne sont pas encore dans les entreprises ou les administrations –sauf courtes missions et stages –et les autres parce qu’ils n’y sont plus et ont été souvent sur la touche les dernières années. Ces tranches ont été sensibles au discours tendant à faire « travailler plus pour gagner plus ». Contrairement aux idées reçues, les jeunes n’ont pas peur de travailler pourvu qu’ils puissent gagner assez de pognon pour satisfaire leurs besoins (on ignore largement que nombre d’entre eux travaillent alors qu’ils ont moins de 16 ans). Ils ne savent visiblement pas que l’on ne choisit pas son temps de travail mais qu’on obéit aux directives de ses supérieurs. D’autre part, toute la partie protection sociale importe peu aux jeunes qui sont en bonne santé, qui ne pensent pas à la retraite et qui n’ont pas encore d’enfants à charge et encore moins susceptibles d’attraper des maladies infantiles ou devant se faire vacciner.

Les plus âgés ont toujours eu tendance (quelque que soit l’époque) à penser que les nouvelles générations sont fainéantes en songeant aux machines qui allègent et facilitent les tâches et qu’ils n’ont pas connues à leurs débuts. Alors, la baisse de la durée du travail leur apparaît comme un privilège indu pour des gens qui n’ont pas assez trimé au boulot pour la mériter. Visiblement, l’équipe Sarkozy a parfaitement écouté la population et a su flatter les rancœurs. Elle a incité les jeunes à s’indigner du poids des retraites et des malades et a monté les anciens contre le laxisme favorable aux jeunes. Du grand art : ça a marché ! M.Sarkozy incarne tous les « contre » : contre les 35h, contre les impôts, contre l’indulgence envers les jeunes, contre le poids des retraites sur les jeunes, contre l’immigration, contre les pauvres, contre les Chinois et la Turquie, contre l’extrême droite, contre la gauche. Surtout, il a su donner l’impression d’être particulièrement contre ceux qu’on accuse d’être à l’origine de ses difficultés. Chacun trouve ce contre quoi il est.

Cependant, il est un autre détail qui semble avoir échappé aux analystes. Les tranches d’ages qui  ont le plus voté pour le candidat libéraliste sont curieusement aussi celles qui regardent le plus la télévision : les plus jeunes qui sortent d’une adolescence rythmée par les émissions et qui ont passé plus de temps devant le petit écran qu’à faire leurs devoirs et à réviser, et les personnes âgées dont c’est l’occupation principale. Les uns ont été nourris par Doc Gynéco, Steevie et Faudel et les autres par Mireille Mathieu, Enrico Macias et Johnny Halliday. Ils ont tous voté comme pour la Star Académie. Pendant que, pathétiquement, la gauche s’abîme les yeux dans les bouquins et dans les salles de cinéma ou pire les théâtres, la droite regarde la télévision et achète des DVD. 

La culture et les grands élans humanitaires n’existent que par leur passage à la télévision. Des humoristes comme Laurent Ruquier pouvaient s’étonner lors du lancement d’ARTE que les informations sur cette chaîne évoquent « des guerres dans des pays dont personne n’a jamais entendu parler ». Comme le canal franco-allemand a une faible audience, on continue donc à les ignorer cependant que l’arrivée de M.Kouchner aux Affaires Etrangères entérine l’humanitaire médiatisé. L’hebdomadaire Marianne fait remarquer que le nouveau président de la république n’a jamais caché son désintérêt pour ce que l’on considérait il y a encore peu comme la culture. Rien ne vaut un passage à la télévision et rien ne vaut d’être entouré par des vedettes qui passent à la télévision. Le triomphe de M.Sarkozy marque de façon nette la domination sans partage de la télévision dans notre quotidien. Si l’on a pu dire que la TV est le nouvel opium du peuple, en tout état de cause, elle accompagne chacun des actes de la vie contemporaine. En ce sens, elle a remplacé la religion et surtout la spiritualité qui guidaient les comportements. De plus, au contraire des religions qui imposent des contraintes et des interdits, la télévision laisse entrevoir qu’il ne saurait y en avoir et qu’on peut aller toujours plus loin.

D’un autre côté, tout le monde s’accorde à reconnaître l’omniprésence du candidat depuis cinq ans sur toutes les télévisions. Non seulement comme acteur de l’actualité, comme invité, mais aussi par la séduction qu’il a exercée sur les professionnels du petit écran. Ses amitiés ou le soutien de la presse écrite n’est pas significatif dans la mesure où ces organes ne touchent que des convaincus. En revanche, un mass media comme la TV s’adresse au plus grand nombre, et particulièrement à ceux qui recherchent la distraction et pas « la prise de tête », qui vivent dans l’immédiat et n’ont cure des projets. Ils veulent des décisions qui s’appliquent tout de suite et qui leur profitent immédiatement et exclusivement. Quelques commentaires instillés entre une publicité et un programme dit de « télé-réalité » seront plus efficaces qu’un débat contradictoire sur un thème politique. Les dernières statistiques montrent que le temps passé par un Français devant son petit écran est supérieur à 3 heures quotidiennes. Encore ne s’agit-il que d’une moyenne. Le rythme de la télévision est devenu le rythme de vie naturel. C’est le temps du clip. Or, l’image de M.Sarkozy telle qu’elle se trouve véhiculée par la télévision ressemble à une succession de clips. La télévision ne sert pas seulement à rendre compte des moindres faits et gestes du candidat puis du Président de la République mais elle a été largement mise à contribution pour préparer le terrain favorable à son élection. Les commentaires des électeurs entendus le plus souvent reviennent à dire qu’on avait besoin de lui depuis longtemps et qu’il aurait fallu qu’il arrive au pouvoir avant. On a même entendu qu’il aurait dû venir il y a cinquante ans ; ce qui est particulièrement péjoratif pour tous ceux qui ont été à l’Elysée avant. Là n’est pas la question. A travers ces témoignages, on comprend toute la stratégie mise au point par les « déclinistes » depuis ces dernières années. Il convenait de convaincre la population que la France est en déclin, que rien ne va, afin de créer le besoin de l’homme providentiel, du sauveur de la France.

En fait, M.Sarkozy n’a pas fait autre chose que répondre aux angoisses véhiculées par les ouvrages des déclinistes. L’idée majeure de ceux-ci est que les Français sont paresseux, qu’ils ne travaillent pas assez et qu’ils attendent que l’Etat leur verse des revenus. Les 35 heures sont les plus visées mais pas seulement : le recul de l’âge de départ à la retraite. Ainsi, on a cherché –et l’on est parvenu largement –à convaincre que la France décline, que les Français sont personnellement responsables du déclin. Dès lors, il est devient facile de leur faire accepter n’importe quel sacrifice dans l’intérêt suprême du pays. Petit à petit, on rogne toutes les avancées sociales rendues possibles notamment par le progrès technique qui allège la peine de la tâche. Cela présente l’avantage majeur de se détourner des vrais problèmes de la société et de la remettre en cause. Car enfin, il suffit d’imaginer que l’on supprime les aides nombreuses et diverses aux indigents, les associations caritatives qui prennent en charge les plus démunis pour se rendre compte que la société ne tient pas sans ces « services après-vente » toujours plus sollicités.

Qu’on le veuille ou pas, la télévision occupe un espace central dans la vie des citoyens de par le rythme qu’elle impose et de par son omniprésence. Beaucoup a déjà été dit sur ce média. On insistera juste sur la formidable machine à niveler qu’elle constitue, mettant sur le même plan le plus sinistre crétin interrogé pour avoir été témoin malgré lui d’un fait divers et le Prix Nobel de physique. Cela fait maintenant plusieurs décennies que la télévision se trouve dans tous les foyers, à n’importe quelle heure et quasiment dans toutes les chambres. On trouve, à la fois la tendance de la société actuelle à l’individualisme mais aussi l’ubiquité et au narcissisme. Il suffit d’occuper l’écran, d’avoir des relais sûrs (journalistes, présentateurs, vedettes) pour emporter les suffrages des électeurs. Le travail est long, lent –cinq années –mais s’avère payant.

Cette observation se trouve confirmée non seulement en termes de tranches d’âges mais aussi en termes d’instruction et de localisation : ce sont les moins diplômés qui se sont portés sur le candidat libéraliste et surtout la France rurale, celle qui a le moins accès à la culture de par son éloignement et qui est forcée de regarder la TV pour s’ouvrir quelque peu au monde.

M.Sarkozy est le produit de la télévision telle qu’elle existe depuis vingt ans ; en voici au moins deux raisons. D’abord, sa victoire est directement liée à l’expansion des chaînes de télévision privées et à la multiplication des écrans dans un foyer. Comme les autorités compétentes pour l’attribution des canaux de TV ont systématiquement favorisé les groupes privés liés aux multinationales ou au groupes de presse régionales, on a des chaînes qui roulent naturellement pour le néoconservatisme. Dans un appartement, il n’est pas rare de trouver un téléviseur dans la salle de séjour (comme toujours), dans la cuisine (depuis longtemps), mais  aussi dans les chambres des enfants sans compter les ordinateurs et la connexion à l’Internet. Comme les manuels scolaires d’une matière sont adaptés au niveau de l’élève, les chaînes généralistes et thématiques et les programmes regardés correspondent à la personnalité de celui qui les regarde. Ainsi, le dogme de l’Ecole de Chicago est-il adapté à chaque niveau et montre les aspects enjolivés dans les situations que chacun aime regarder. La réussite à tout prix se décline à tous les niveaux.

M.Sarkozy est un programme de télévision à lui tout seul et ça plait. On peut le voir successivement mais aussi simultanément dans des rôles divers mais toujours gagnant tel Chuck Norriss. Tantôt proche, tantôt délicieusement inaccessible. Tantôt, on le voit courir, tantôt il voyage en avion ou en yacht, tantôt il va dans une usine pour parler avec les salariés, tantôt il préside le Conseil des ministres comme un conseil d’administration, tantot il nomme ses collaborateurs. Il est Dallas et la croisière s’amuse ;Robotcop et Champs-Elysées. Dans une société qui, plus que jamais demande du spectacle, on a eu un candidat qui faisait le spectacle de l’actualité : tantôt par des déclarations choc, tantôt par la violence qu’ils déclenchaient, tantôt par les visite sur le terrain. Les décors variaient en permanence : les barres des cités, les beaux quartiers d’où il vient, la Corse, la campagne. On avait un spectacle complet avec des lumières, du direct, des décors variés, du boulevard (Cécilia et son amant), un renouvellement régulier, une mise en scène impeccable et des commentaires abondants. De toute évidence, le spectacle continue mais la salle a changé : plus vaste, tant pour la scène que pour le parterre.

Son arrivée correspond aussi au désintérêt observé depuis des années par les lycéens pour ce que l’on appelait autrefois les humanités et surtout le français au profit des matières chiffrées ou paraissant avoir une utilité immédiate. M.Sarkozy ne cherche pas à nier son orthographe médiocre et sa maîtrise approximative de la langue française. Aussi, il laisse des spécialistes comme M.Gaino s’occuper de ce détail. Il incarne parfaitement l’élite française actuelle, composée de personnes bardées de diplômes, maîtrisant des termes professionnels ou élitistes afin de se démarquer des autres mais ne possédant aucune culture générale et s’exprimant dans une langue plus qu’approximative dont les fautes d’orthographes ne constituent qu’un avatar secondaire. Le philosophe Alain Finkielkraut observait, il y a déjà une quinzaine d’années, que nombre de polytechniciens ne peuvent résoudre certains problèmes de mathématiques faute de maîtriser le conditionnel et la grammaire en général. Il en résulte, dans tous les pans de la société, un recul de la culture générale, du plaisir d’apprendre au profit de connaissances utiles professionnellement. L’utile plutôt que le beau pour répondre à Théophile Gautier. Pourtant, ce qu’il convient de nommer la culture générale caractérise une nation. Qui parle encore de nation à l’heure de la mondialisation libéraliste ?

C’est cette France qui fait corps avec la télévision, ignorant la solidarité au quotidien (mais qui plébiscite les opérations de solidarité télévisées genre téléthon) qui s’est le plus reporté sur le candidat libéraliste. C’est la victoire de l’impulsion sur la raison, de l’immédiat sur l’avenir. La durée se doit d’adopter le rythme des spots télévisuels, des clips, des séries et des émissions de 52 minutes pour les plus longues. Elle répond aux attentes de la société moderne toute entière tournée vers elle-même, narcissique, individualiste, demandant du spectacle, vivant au rythme de ses idoles du jour. Le mandat présidentiel raccourci à cinq ans s’inscrit dans cette logique d’éphémère et du jetable.

M.Sarkozy Président est le produit de la société française d’aujourd’hui. Maintenant, il en devient aussi le producteur.

Le corpus est constitué de l’enquête IPSOS/Dell du 6 mai 2007 pour France 2, Europe 1, 20 minutes et intitulée « 2ième tour des présidentielles : comprendre le vote des Français ».

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