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la lanterne de diogène
17 février 2008

Racisme ordinaire Indifférence ordinaire

 

 

On apprends que samedi, lors d’une rencontre ordinaire du championnat de France, le capitaine de l’équipe adverse a été insulté pendant toute la première mi-temps par un spectateur qui proférait des injures racistes. Le joueur victime l’a signalé à plusieurs reprises à l’arbitre. En vain. Pour l’anecdote, le joueur est monté dans la tribune à la fin de la mi-temps pour rencontrer le supporteur ou plutôt l’insulteur, ce qui lui a valu d’être sanctionné, tout à fait normalement, d’un carton jaune. Bien sûr, son jeu n’a plus été le même en seconde mi-temps de crainte qu’une faute ne le fasse expulser du terrain.

 

 

 

« Normalement » est bien le mot. Ce qui est proprement stupéfiant dans cette histoire bien ordinaire, c’est qu’à aucun moment les autres spectateurs ne sont intervenus pour faire taire l’insulteur raciste. A aucun moment, le speaker du stade qui accueillait cette équipe n’est intervenu. A aucun moment, les stadiers ne sont intervenus. Pourtant, les appels du joueur marocain à l’adresse de l’arbitre, ponctué –on s’en doute –de gestes explicites, aurait dû faire réagir les gens, ne serait-ce que, parce que pendant ce temps, la rencontre était perturbée et qu’ils avaient payé pour voir du football et non un concours de grossièretés et d’arrêts de jeu. Je me souviens, étant petit, que toute une tribune s’était élevée contre un spectateur qui avait un sifflet comme celui de l’arbitre, ce qui perturbait le jeu.

 

 

 

Maintenant, personne ne bouge. Tout le monde a peur. On en arrive à avoir peur d’une seule personne alors qu’il y a foule autour. Au début des années 1980, une fille a été violée sur le trottoir du boulevard Magenta à Paris à 3 heures de l’après-midi sans que personne ne réagisse. Tous les jours, des individus perturbent les transports en commun en fumant, hurlant, marchant sur les pieds, bousculant sans raison, écoutant de la musique à fond. Personne ne bouge. Tout le monde a peur. Dans les immeubles collectifs, des individus, les mêmes à n’en pas douter, plus d’autres, empoisonnent la vie de dizaines de voisins en faisant du bruit notamment et surtout la nuit. Là non plus, personne ne bouge. Tout le monde a peur. Il y a des années de cela, une équipe avait tourné un petit reportage dans les transports parisiens. Des comédiens stimulaient une agression. Il s’agissait d’insultes racistes, de vieille bousculée, de fille agressée. Dans plusieurs cas, on pouvait voir qu’un voyageur essayait d’intervenir et regardait autour de lui pour évaluer s’il pourrait compter sur le soutien des autres. Parfois, ce voyageurs allait jusqu’à demander à d’autres de l’appuyer dans son intervention. Faute de soutien, le courageux voyageur devait abandonner et laisser l’agression continuer. Dans ce cas, il s’agissait d’une fausse ; mais pour une stimulation, combien d’agressions réelles, tous les jours ? Personne n’intervient jamais alors qu’il s’agit le plus souvent d’un individu voire une petite poignée au milieu d’une foule et que la victime ressemble à chaque membre de la foule. La victime pourrait être n’importe qui. On se dit juste : heureusement que ce n’est pas moi cette fois-ci.

 

 

 

Le culte de la tolérance donne une raison supplémentaire de ne pas intervenir quand notre semblable se fait agresser. On imagine facilement qu’il se trouvera plus de gens pour défendre l’agresseur que celui qui aura cherché à aider la victime. On nom de la tolérance, de la liberté, on prétendra qu’on a bien le droit d’écouter de la musique à fond ou de proférer des injures racistes et qu’il ne faut pas en faire une histoire. D’ailleurs, pour la police elle-même, celui qui intervient pour mettre un terme à l’agression est considéré comme « créant un incident ». Il faut laisser faire !

 

 

 

 A côté de cet environnement, on trouve la peur, la peur ordinaire, la peur de se trouver seul face à un excité. On se dit qu’entre l’arbre et l’écorce il ne faut pas mettre le doigt. Peut-on rentrer chez soi tranquillement après avoir été le témoin passif d’une agression ?

 

 

 

Pour en revenir au stade, cette agression raciste verbale intervient dans un contexte de violences en progression depuis des années dans le milieu sportif. Tous les dimanches, des rencontres d’amateurs finissent en bagarre quand un joueur est sanctionné, surtout s’il l’est à raison. Dans des petits stades de province, certaines rencontres sont encadrées de policiers en tenue d’intervention, avec chiens dressés. On doit placer les supporteurs des deux équipes de football dans des tribunes différentes pour éviter les incidents. La grande majorité des spectateurs tolère que fleurissent des banderoles portant des propos racistes. Comment les services de sécurité des stades peuvent-ils accepter de telles banderoles, de tels slogans, des vociférations racistes ? A l’heure où des caméras sont placées partout, comment peut-on laisser pénétrer des individus connus pour perturber l’ambiance des rencontres ? Le chef du service de sécurité du stade où a eu lieu l’incident d’hier soir répond « Nous sommes responsables du comportement des gens, a-t-il dit, mais pas de leurs propos. On ne peut pas bâillonner tous les spectateurs  ». Personne pour relever qu’on ne lui demande pas de bâillonner tous les spectateurs mais un seul en l’occurrence. Quant aux banderoles, un simple coup d’œil permet de voir ce qui y est inscrit et d’interdire qu’elle soit exhibée dans les tribunes. « Interdit d’interdire » conduit au développement de la violence ordinaire qui empoisonne tous les instants de la vie en société. Violence ordinaire, racisme ordinaire, agression ordinaire envers les femmes et les vieux. Personne de bouge d’ordinaire. L’ordinaire est l’oppresseur et son bras armé sont ces agresseurs banals qu’on laisse faire alors que dans la plupart des cas une simple intervention approuvée par les autres suffirait à dégonfler l’incident et à décourager une récidive.

 

 

 

L’indifférence s’étend à tous les secteurs, à tous les actes de la vie et la pourrit. Un peu plus haut, un texte calqué sur celui, célèbre, du pasteur Martin Niemöller dénonçait l’indifférence quand le système de protection social est attaqué, rogné progressivement, vidé de sa substance. On ne dit rien tant que ça ne touche pas soi-même. Eventuellement, on se dit que c’est bien fait pour l’autre comme le font tant de salariés du privé quand leurs camarades du public trinquent. A aucun moment ils ne pensent que leur tour viendra et que les autres ne sont que les premiers touchés. Leur tour viendra, inexorablement et personne ne bougera pour eux non plus.

 

 

 

Voici le fameux texte du pasteur Martin Niemöller :

 

« Quand ils sont venus chercher les communistes

 

Je n’ai rien dit

 

Je ne suis pas communiste.

 

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes

 

Je n’ai rien dit

 

Je ne suis pas syndicaliste.

 

Quand ils sont venus chercher les juifs

 

Je n’ai rien dit

 

Je ne suis pas juif.

 

Quand ils sont venus chercher les catholiques

 

Je n’ai rien dit

 

Je ne suis pas catholique.

 

Quand ils sont venus chercher les francs-maçons

 

Je n’ai rien dit

 

Je ne suis pas franc-maçon.

 

Quand ils sont venus me chercher

 

Il ne restait plus personne pour protester ».

 

 

 

Oui, décidément oui, l’indifférence ordinaire, normale, pourrit la vie.

 

 

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