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la lanterne de diogène
8 septembre 2008

L'homme des casernes

Il est toujours délicat de ramer à contre-courant lorsqu’il y a eu morts d’hommes. L’humaine nature est ainsi faite que la peine l’emporte sur toute autre considération fût-elle de mettre en garde contre de nouvelles morts dans des circonstances analogues.

 

Pourtant, parlant de défense, d’armée, de guerre, on devrait s’y attendre et avoir intégré que la mort fait partie de cet univers. A force de vivre en paix –et c’est plus qu’un bien –on en oublie qu’au-delà du champ sémantique (les mots en rapport avec), le vocabulaire recouvre une réalité violente et meurtrière. Ces années de paix en Europe nous ont fait oublier le sens de ces mots reléguant les guerres aux contrées plus ou moins lointaines. L’arrogance proverbiale des Français permet de penser que la guerre –puisqu’il faut la nommer –appartient aux peuples plus ou moins barbares qui, décidément, n’auront jamais la maturité ni l’intelligence de faire la paix. Ces derniers mois ont été à ce titre très significatifs.

 

D’abord, le drame de Carcassonne a surpris. Ainsi, on amenait les enfants se distraire un dimanche à la caserne du coin et ils trouvaient la mort parce que des adultes ne jouaient pas avec des armes factices. Encore aujourd’hui, il se trouve des parents irresponsables puisqu’ils recherchent la responsabilité de ce qui a pu arriver à leurs enfants chez les autres alors que ce sont eux seuls qui ont pris le risque insensé d’amener leur progéniture voir des armes en action. Dans une civilisation du loisir, il existe assez de distractions pour pouvoir esquiver la mise en scène d’une opération militaire. On peut bien fustiger les amateurs de corrida : ceux qui considèrent l’armée comme un centre de loisirs n’ont rien à envier aux amateurs des sanglants jeux du cirque répandus par les Romains de l’Antiquité. Une arme est faite pour tuer et pas pour amuser les enfants. Pour eux il existe de belles imitations et des jeux électroniques dont certains sont d’excellente conception.

 

Ensuite, les commerçants des villes de garnisons ont manifesté leur colère en apprenant que la réduction des effectifs allait amener des regroupements afin de réduire les dépenses de fonctionnement. Au passage, les commerçants comptent parmi les principaux récalcitrants au paiement de l’impôt mais visiblement ils ne font pas le rapprochement avec l’entretien de troupes nombreuses et bien équipées. Encore une fois, la paix a fait oublier que l’armée sert uniquement à la défense de la nation : ce n’est pas une entité destinée à fournir des revenus à une catégorie ni à assurer l’animation nocturne des villes moyennes. Pour reprendre les termes du ministre, l’armée n’a pas une fonction d’aménagement du territoire.

Le front de l’est devenu un souvenir appartenant aux manuels d’Histoire, il semblait pourtant logique de réduire la présence de troupes dans les régions orientales de la France. Faut-il déclarer la guerre à la Russie –par exemple pour défendre les Tchétchènes ou les Géorgiens ou bien pour aider la Pologne à retrouver ses territoires passés sous administration soviétique –afin de justifier le maintien d’effectifs dans les garnisons de l’est et de maintenir l’activité commerciale des villes ?

 

Visiblement, le rapport entre la présence de troupes et la finalité de leur entrainement n’effleure plus une population habituée à vivre en paix et c’est un bien, faut-il le rappeler ? Si par malheur, un tel engagement devait être pris –et ce n’est pas exclu, nous le verront –il s’en trouverait encore pour verser des larmes de crocodile sur les morts qui ne reviendront plus dépenser leurs soldes dans les boutiques des villes. On dirait que l’on a oublié que les guerres tuent et que les militaires sont les premiers visés.

 

Ainsi, depuis déjà de nombreuses années, on a pu observer que les fameuses COP (conseillères d’orientation psychologues) ne rechignent pas le moins du monde à conseiller aux collégiens et collégiennes d’intégrer une école militaire après la troisième. Parfois les chômeurs reçoivent ce genre de conseil. Tout se passe comme si, au fond, être militaire aujourd’hui est un travail comme un autre, n’était le port obligatoire de l’uniforme. Prendre le contre-pied de Mai

68 a

aussi consisté à diffuser cette interprétation. Faut-il rappeler que l’uniforme n’est qu’un moyen de reconnaissance, que l’armée a pour finalité unique de défendre la population civile et que c’est la raison pour laquelle ses effectifs sont armés et s’entrainent au maniement des armes ? Voici quelques évidences qu’une certaine légèreté a occultées.

 

L’étonnement face à la guerre se trouve encouragé par la terminologie utilisée. On parle d’op-ex (pour opération extérieure). L’abréviation induit une distance supplémentaire. Le ministre de la défense refuse d’employer le terme de guerre puisqu’il n’y a pas eu « déclaration » et que la France n’est pas en guerre contre l’Etat afghan. Les militaires sur le terrain, eux, sont bien en guerre ou alors pourquoi portent-ils des tenues de combats et pourquoi sont-ils armés ? Il n’y a pas si longtemps, le bombardement d’agglomérations s’appelait « dégâts collatéraux ». Ainsi, peu à peu, s’impose l’idée qu’il n’y a plus de guerre, partant plus de victimes, encore moins de morts. Dans ces conditions, on comprend l’émotion et l’étonnement des familles de soldats tout surpris que leurs proches se fassent tuer en « op-ex » alors qu’ils se montraient impatients de partir.

 

http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2008/09/05/nous-partons-en-opex/

 

 

C’est dans ce contexte qu’on a appris que dix soldats français ont été pris en embuscade dans les montagnes afghanes et ont péri dans l’opération. A plus d’un titre, personne ne peut rester insensible. Pourtant, leurs proches, dont on comprend ô combien la douleur, n’ont à aucun moment mesuré que ces soldats risquaient de se faire tuer et que c’était bien la raison de leur présence dans un pays qui a servi de base d’entrainement à la plus grande organisation terroriste formée de mercenaires de nombreux pays y compris en occident. Les troupes qui interviennent dans une région en guerre savent ce qu’elles risquent et reçoivent une formation en conséquence. C’est bien parce qu’en face d’elles se trouvent des forces hostiles et également bien entrainées que l’on doit faire preuve d’efficacité. Prendre le contre-pied de Mai 68 ne doit pas empêcher de dire aux jeunes attirés par l’action que le risque de se faire tuer demeure inhérent à la carrière militaire. Ne pas le faire constitue un mensonge, un crime.

 

Ces derniers mois, l’armée a appris qu’elle devrait se remettre en question. A l’heure où nombre de services publics utilisés quotidiennement par l’ensemble de la population vont disparaître ou être mis en concurrence, il parait pour le moins équitable que l’armée en fasse autant. Il semble que cela a été mieux préparé que pour le reste où seul le dogme libéraliste a été pris en compte. On ne peut que se satisfaire d’apprendre que des chars « Leclerc » vont être vendus. Ce type de matériel convenait pour des batailles classiques dans les plaines d’Europe centrale. Ainsi que souligné précédemment, http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/02/21/4074280.html

  ce danger s’estompe et c’est un bien.

 

La réorganisation du renseignement va dans le bon sens. On peut raisonnablement espérer que l’efficacité de ces services permettra d’éviter des guerres et des attaques terroristes en Europe occidentale et ailleurs.

 

En revanche, on peut émettre des réserves sur la réintégration de l’armée française dans l’OTAN qui marque, qu’on le dise ou non, la fin de l’indépendance nationale et pas seulement en terme militaire.

 

A l’heure où l’on parle de développement durable, il convient de travailler à la paix durable. Jusqu’à présent, et malgré ses inconvénients, la démocratie a été le seul rempart contre la guerre et contre le terrorisme. A la fin des années 1970, qui aurait parié une lire sur les chances de survie de l’Etat italien sapé par le terrorisme et gangréné par le crime organisé, tandis que des voix séparatistes commençaient de se faire entendre ? A la même époque tous seraient convenus que l’Iran du Chah avec sa police omniprésente et son armée mieux équipée que celles de bien des pays développés était un exemple pour tous. On sait ce qui arriva. La démocratie italienne survit au gré de choix qu’on peut désapprouver ou non tandis que l’Iran a sombré et commence seulement à se relever grâce à l’action du précédent président Khatami ; un démocrate, comme par hasard. Seule l’extension de la démocratie peut étendre le périmètre des régions du monde qui connaissent la paix durable.

 

Enfin, il convient de rappeler que ce ne sont pas les généraux qui décident de la guerre mais les civils dans les pays démocratiques. C’est le vote des Français qui décide de n’importe quelle opération militaire dans la mesure où le président de la république est élu directement. Il ne faut jamais l’oublier. Chaque citoyen est responsable de la moindre balle qui sort d’une arme, qu’elle aille dans une cible ou dans le corps d’un humain.

 

Laissons la conclusion à Georges Brassens :

Que les seuls généraux qu'on doit suivre aux talons
Ce sont les généraux des p'tits soldats de plomb

 

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