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la lanterne de diogène
5 mars 2010

Garde à vue : demain, c'est mon tour

Deux vendredis de suite je suis bouleversé en écoutant l’émission de Zoé Varier sur France-Inter.

http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/nousautres/

 

Après avoir attiré notre attention sur ces Français devant justifier leur nationalité, un reportage dénonce, après d’autres, les gardes à vue. Un rapport paru récemment fait état de 900 000 GAV pour l’année 2008. Même le très sarkoziste ministre de l’Intérieur, M. Hortefeux s’en est inquiété.

« Un officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » (art.

63 C

. proc. pén.).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Garde_%C3%A0_vue_en_droit_fran%C3%A7ais

 

La garde à vue a été mise en place pour soustraire un suspect dont on a de bonnes raisons de penser qu’il pourrait soit s’enfuir, soit –plus probablement –prendre des contacts ou dissimuler des pièces avant son arrestation définitive. Il s’agit de neutraliser un suspect dangereux. Pourtant, au fil des ans,

la GAV

s’est banalisée. Faute de pouvoir mettre la main sur des grands délinquants ou des criminels, on met au violon les quidams, sans doute pour faire peur aux autres, ceux que rien n’effraie, justement.

 

Il y a deux ans, on soulevait déjà la question et un avocat disait en substance sur le plateau d’une émission de radio : pour un délinquant,

la GAV

est un mauvais moment à passer. Il sait qu’il doit tenir jusqu’à la fin et qu’après, son avocat s’arrangera avec la justice. Tandis que pour un particulier ordinaire, c’est une situation angoissante, déstabilisante. Il se voit retirer sa montre, sa ceinture, ses lacets. On fait pression sur lui. Dans ces conditions, il avouera n’importe quoi en pensant que ça lui permettra de sortir. Malgré ces risques réels et avérés, on s’obstine à généraliser

la   GAV.

L

’important est de trouver un coupable, d’avoir une affaire « élucidée ». D’ailleurs, le nombre d’affaires « élucidées » est en constante augmentation ces dernières années. On comprend pourquoi quand traverser au feu rouge qui va passer au vert devient une « affaire » ainsi que nous le verrons.

 

Or, il est tout à fait insupportable de voir « l’innocent mis au rang des assassins » comme le dit le poème de Paul Fort. Tout comme ces Français devant prouver qu’ils sont français, on trouve des citoyens ordinaires, face à l’incompréhension des administrations. Dans les deux cas, nous trouvons des fonctionnaires qui déploient un zèle injustifié et injuste. Dans les deux cas, ces fonctionnaires s’en prennent aux plus faibles, aux plus démunis faute d’être capables de s’en prendre aux véritables malhonnêtes qui, eux, connaissent les ficelles pour échapper aux poursuites, narguent les autres et empoisonnent le monde. Cela fait penser à ces prédateurs qui repèrent les herbivores les plus faibles avant de les dévorer dans des souffrances atroces.

circulez_p8_9_q20

En entendant ce reportage et les raisons qui ont conduit les personnes interrogées en GAV, on ne peut s’empêcher de penser : ça pourrait être moi. Car enfin, le reportage donne la parole à un pépé qui a traversé alors que le bonhomme s’est mis au rouge, une petite nana enrhumée qui a craché par terre, un mec qui a montré son ordinateur en panne à un copain à la terrasse d’un café et un syndicaliste à la fin d’une manifestation. Chaque fois, l’arrestation s’est envenimée parce que le citoyen ne comprenait pas pourquoi et demandait au policier des explications. Jamais il n’y a eu violence ni même insulte. Dans tous les cas, les policiers ont ceinturé et menotté dans le dos ces personnes, certaines ont été plaquées au sol à la limite de l’étouffement. On sait qu’il y a eu des cas d’étouffement. Dans tous les cas, on a relevé leurs empreintes, on les a pris en photo, on a prélevé leur ADN, on les a mis à l’ombre dans une cellule sordide sans pouvoir aller aux toilettes, sans pouvoir boire.

 

En discutant de cette émission avec une relation, j’ai appris qu’il a été arrêté récemment pour avoir

0,5 g

d’alcool dans le sang. Rien à dire. Conduit au poste, on lui a pris ses empreintes, on l’a photographié sous trois angles avec et sans lunettes. On lui a demandé s’il possède des armes. En effet, il est chasseur. En d’autres termes, s’il y a un fait divers dans sa petite ville, les gendarmes se rendront en priorité chez lui au risque de perdre un temps précieux dans l’enquête et de s’égarer. Peu importe, cela fera un rapport montrant que l’enquête s’est déroulée selon la procédure légale. Cette formule de « procédure légale » est avancée par tous les fonctionnaires qui ont dépassé les limites et ont tourmenté sciemment un administré au mépris des ses bons droits et les syndicats de policiers et de fonctionnaires s’abritent derrière le règlement pour justifier et excuser l’injustifiable.

 

circulez_p12_q20Comme il faut mettre les pieds dans le plat, ajoutons que les syndicats de fonctionnaires et surtout les syndicats de policiers s’offusquent régulièrement quand on reproche à l’un des leurs d’en faire trop vis-à-vis de citoyens paisibles. Au cours de l’émission Le Téléphone sonne du 1er février, Alain Bédouet est sorti de sa réserve habituelle pour signaler qu’il lui est arrivé de demander au policier en train de ceinturer un mec sur la voie publique si la violence était justifiée. Le commissaire de police invité sur le plateau l’a justifiée et s’est offusqué qu’un citoyen intervienne quand des policiers agissent sur la voie publique de façon extrêmement démonstrative. Un auditeur s’était retrouvé en GAV dans des circonstances identiques.

http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/letelephonesonne/index.php?id=87957

 

Dans le reportage diffusé par Zoé Varier, il y a une séquence qui mérite qu’on s’y arrête. Le syndicaliste a été arrêté comme les autres à la différence qu’il n’a pas été ceinturé mais seulement menotté. Au poste, il a été emmené dans une pièce où il a dû se déshabiller complètement. Déjà, ça trouble. Le policier lui a demandé de s’accroupir et de tousser pendant qu’il lui mettait le doigt dans le cul. Evidemment, l’autre a protesté puis a fini par céder. Arrêtons-nous un instant sur ce viol que constitue l’intrusion d’un étranger non désiré dans son corps. Cependant, le syndicaliste a gardé son sang-froid et a trouvé les moyens de demander une explication au policier. Il lui a demandé s’il se rendait compte de ce qu’il venait de faire. Le policier a répondu qu’il s’agissait de la procédure. Le syndicaliste lui a rappelé les conditions de l’arrestation. En aucun cas, il ne pouvait y avoir suspicion de dissimulation de quoi que ce soit dans le cadre d’une manifestation suivie d’une arrestation. Pourtant, obéissant à une procédure d’exception, le policier a procédé non seulement à la fouille au corps préalable mais en plus à l’insertion de son doigt dans le cul de l’autre. Le policier a plaidé le fait qu’il devait obéir au règlement et à ses supérieurs. Le syndicaliste a fait alors remarquer qu’il n’y avait pas de supérieur dans la pièce et que, compte-tenu des circonstances, personne ne l’obligeait à appliquer le règlement jusque là. Pourtant, il l’a fait. Par plaisir ? Par vice ? Par bêtise ? Par conditionnement ? Pour une raison différente ? Les autres n’en ont pas parlé. Peut-être par pudeur, peut-être parce qu’on ne leur a pas mis le doigt dans le cul. Quoi qu’il en soit, à l’angoisse inhérente à la garde à vue, s’ajoute le viol légal et l’humiliation.

 

circulez_p16_q20Résumons-nous. Dans tous les cas, et sous la contrainte de la « politique du chiffre », nous avons des policiers qui interviennent pour un fait tout au plus déplaisant (un feu rouge qui va passer au vert, un crachat par terre, des jeunes appuyés contre une voiture, une nana qui essaie de séparer des camarades qui se battent etc.) ou d’une suspicion de délit (vol d’un ordinateur). Le policier de base le requalifie spontanément en « affaire » et en « infraction » ; et l’infraction justifie

la GAV.

La

demande d’explication du quidam devient conflictuelle et justifie l’arrestation qui débouche sur une garde à vue et, finalement, une affaire « élucidée ».

 

Pendant ce temps-là, les agressions contre les personnes ne cessent d’augmenter, les viols en réunion aussi et, dans certains quartiers, ceux qui ont du travail ne sont pas sûrs de retrouver leur bagnole en état le matin.

 

A ce stade, ça me rappelle un dessin de l’Assiette au beurre qui montrait un fusiller marin rendre compte à son officier que les indigènes faisaient savoir qu’ils se rendaient sans combattre. Alors, l’officier se dit qu’il n’aura pas d’avancement et ordonne qu’on fusille une vingtaine d’hommes et qu’on télégraphie « violents combats ».

 

Bien que les gardiens de la paix soient presque tous bacheliers à présent, les pires habitudes demeurent. Comme quoi, l’administration broient tous ceux qui la servent et ceux qu’elle est censée servir.

 

Les dessins sont extraits de http://www.assietteaubeurre.org/circulez/circul_f1.htm

 

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S
Le problème est essentiellement l'emploi de la fouille de sécurité (à nu) de manière injustifiée, les investigations corporelles internes (toucher rectal/vaginal) étant plus rares et leur réalisation par un policier ou gendarme de toute façon interdite par la loi (il s'agirait d'un viol)<br /> <br /> Pour information, la circulaire du 11 mars 2003, relative à la garantie de la dignité des personnes placées en garde à vue (p:36-39 de ce rapport : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/Garde_vue_long.pdf), qui exclut les investigations corporelles internes qui ne sont pas du ressort des agents, précise entre autres que la fouille à nu systématique est interdite. La mesure à appliquer par défaut est la palpation des vêtements, la fouille n'étant possible que si des éléments permettent de suspecter la personne d'être dangereuse pour elle-même ou autrui.<br /> Depuis 2008, chaque fouille et son motif (passé pénal, détention de stupéfiants, violences...) doivent être notés dans le registre de garde à vue.<br /> <br /> Concernant le retrait des objets dangereux, des réponses récentes des autorités mentionnent que les lunettes et le soutien-gorge doivent être rendus à la demande de la personne pour les auditions.<br /> <br /> Les investigations corporelles internes ne peuvent être effectuées que par un médecin requis à cet effet (code de procédure pénale).<br /> Aucune loi ni instruction n'autorise un agent à le faire ; si ce cas se produit, c'est un viol.
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