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la lanterne de diogène
21 avril 2010

Questions autour d'un volcan

La nature se rappelle à nous. En quelques semaines, les Français qui se croient facilement le peuple le plus intelligent de

la Terre

doivent se rendre à l’évidence. Ils habitent un environnement qu’on ne peut pas toujours contrôler. D’abord, les côtes poitevines ont été inondées et, maintenant, un volcan d’une petite île du pôle nord empêche les avions de voler.

Et si c’était le moment de se poser des questions essentielles ?

 

La nature maîtrisée

 

Dans un pays marqué par le scientisme du 19ième siècle et le positivisme, il est presque impossible de comprendre que l’humain est un élément parmi d’autres dans la nature et pas le maître suprême. Presque toutes les villes possèdent une rue dédiée à Marcellin Berthelot qui déclarait en 1887 : « L’univers est désormais sans mystère ».

 

La foi aveugle dans un progrès sans fin et sans limite ouvre la porte à toutes les audaces et toutes les imprudences. Les progrès réels font qu’on se croit protégé de tout : de graves maladies ont été éradiquées et on peut marcher sur la lune. Pour le commun des mortels, cela fait partie d’un tout. Donc, on n’imagine plus que l’eau puisse outrepasser les digues.

 

Or, partout où l’on a endigué l’eau (torrents, cours d’eau, mer), elle finit par rompre ses digues ou passer outre un jour. C’est rare mais tout aussi rare que les inondations exceptionnelles. Partout, l’eau finit par retrouver son lit. Les bras morts, les méandres morts finissent par être inondés un jour et demeurent en temps ordinaire, des zones boueuses. Les seules exceptions se trouvent quand l’eau est détournée et puisée à outrance. La mer d’Aral est réduite à un lac.

 

L’agriculture sans terre et sans animaux

 

Pouvoir apporter des explications scientifiques à presque tout renforce cet aveuglement. Déjà, on se targue d’avoir détourné les fleuves, changé le climat, fait manger des produits à base de viande aux vaches, nourri leurs veaux de lait en poudre, les avoir conçus sans taureau, transformé un minerais en matériau, modifié les tomates pour qu’elles ne pourrissent pas et rentrent mieux dans les cageots. Les poules ont perdu l’instinct de couver car, depuis des dizaines d’années, on a pris l’habitude de subtiliser leurs œufs et de les mettre en couveuses artificielles qu’il faut fabriquer et chauffer.

 

Pour lutter contre la perte de terres agricoles, on n’a rien trouvé de mieux que de rationnaliser l’espace dédié au pâturage. Sous la pression des sociétés laitières, on s’achemine vers une production limitée à une grande région pour limiter les frais de ramassage du lait. Plutôt que de laisser paître les vaches dans de grands prés, on va favoriser l’alimentation fourragère. Ainsi, les grands céréaliers trouveront un débouché supplémentaire et subventionné et les propriétaires pourront faire construire des zones d’activités sur leurs vastes pâturages qui n’auront pas été mis en culture céréalière. Les vaches seront, au mieux en stabulation libre sur des sols bétonnés, sous des hangars et mangeront du maïs et, surtout, des « compléments alimentaires » pour compenser ce que l’herbe ne leur apportera plus. Rappelons que ce sont ces « compléments » qui sont à l’origine de la crise de la vache folle. C’est déjà oublié et puis, ce n’était pas si grave. Oui, il y avait la maladie de Creutzfeld Jacob mais comme personne n’a été touché dans son entourage, ce n’était vraiment pas si grave.

 

La nature, on s’en passe

 

Pouvoir s’éclairer sans le soleil, se chauffer sans le soleil. Pouvoir décupler les cultures sans terre (la plupart des terres agricoles sont épuisées depuis longtemps), au moyen d’intrants chimiques. Pouvoir nourrir les ruminants sans herbages. Pouvoir manger des fraises et du raisin toute l’année. Pouvoir se gaver deux ou trois fois par an et travailler le surlendemain grâce aux progrès de la médecine. Pouvoir échapper à l’attraction terrestre, décoller du sol et voler. Offrir à sa bien aimée des fleurs fraichement cueillies au Kenya via Amsterdam. Pouvoir acheter un ordinateur au prix d’un poste de radio grâce au travail quasi gratuit des Chinois. Pouvoir gagner plus qu’un employé de bureau en achetant des produits financiers par un simple jeu d’écriture.

 

Tout ça, c’est notre quotidien, notre nouvel environnement, hors sol, hors des réalités, des contraintes. Le vent, la pluie, la vie –tout simplement –semblent n’avoir aucune prise sur tout ce qui nous entoure. Comment accepter qu’une simple petite fumée puisse clouer au sol des engins plus lourds que l’air ? On ne comprend pas que l’eau puisse encore déborder dans nos pays civilisés. C’est bon pour les populations primitives qui dans un excès inverse divinisent la nature.

 

Finalement, maintenant, on n’en est plus très loin. Certains disent que « la nature se venge ». Des journalistes et des voyageurs coincés ont affirmé : « le volcan nous prend en otages ». Tel que… Face aux excès de la nature, on lui attribue une personnalité universelle, douée d’une intelligence et d’une volonté contrariante. En fait, il s’agit simplement de considérer que l’humain n’est pas le maître de la nature et qu’il doit composer avec elle. Cela devrait rendre humble mais il y a peu de chance que cela soit. Passé le choc, il s’en trouve déjà pour penser qu’on en fait trop et que les avions peuvent voler. Quand tout le monde sera parvenu à destination, on aura tout oublié. C’est quand même pas la nature qui va faire la loi !

 

L’Etat et les Français à l’étranger

 

En plus, dans cette histoire de volcan, on ne peut même pas s’en prendre à quelqu’un. On essaie de se rabattre sur les voyagistes et surtout sur l’Etat. Ah, l’Etat ! tant que ça va bien, on ne veut pas l’avoir dans les pattes. Depuis plus de vingt ans, on fait tout pour l’amoindrir mais quand ça va mal, on s’étonne de son absence. Quant aux voyagistes, les circonstances mettent en évidence ceux qui sont honnêtes et les autres qui ne répondent plus.

 

On découvre aussi que les services consulaires de

la France

à l’étranger sont en dessous de tout quand on est en difficulté. On nous amuse régulièrement avec l’Alliance française et les Centres culturels. Quand on se trouve à l’étranger, on se rend compte que ces représentations servent davantage à procurer une vie culturelle à leurs salariés plus ou moins cooptés et à une élite expatriée qu’à diffuser la culture française. Quant aux consulats, ils vous répondent à travers les grilles (car ils n’ouvrent pas) qu’ils ne peuvent rien et qu’il faudrait que vous voyiez si vous ne pouvez pas etc. Ce qui, en langage non diplomatique, veut dire : démerdez-vous !

 

La capacité d’oubli

 

Trois éléments sur quatre (la terre, le feu et l’air) se déchaînent contre les humains, décidément bien faibles. La terre s’ouvre sur un cratère en feu dont les fumées peuvent endommager les réacteurs des avions. Tiens oui, les avions. Pourtant, tout le monde ne se déplace pas en avion. A part, les vacanciers qui se paient un voyage exceptionnel à force d’économies, qui sont ceux qui voyagent régulièrement en avion ? Ils ont l’air de trouver ça aussi normal que les salariés forcés de prendre le bus pour aller bosser à l’autre bout de la ville.

Pourtant, ce n’est pas mal que les plus modestes se trouvent coincés par les conséquences d’un ciel interdit parce qu’ils sont les plus nombreux et qu’ils forment l’opinion publique. Malheureusement, il y a peu de chances qu’ils se fassent une réflexion sur leur place dans l’univers. Ils vont plutôt pester contre les pouvoirs publics qui n’ont rien prévu, qui les laissent en rade dans un aéroport lointain. Ils vont plutôt consacrer leur énergie et leur intelligence pour tâcher d’obtenir une compensation auprès des voyagistes (ce qui est normal).

chili_005

On ne parle déjà plus d’Haïti. C’est loin et puis, il ne se passe plus rien. La terre a tremblé mais on pensait que ça ne pouvait arriver qu’aux malheureux vivant sous leurs « tristes tropiques » loin du progrès. Le séisme combiné à un raz de marée qui ont fait des centaines de morts au Chili, on n’en a jamais vraiment parlé : trop loin. Pourtant, un demi-million d’habitations détruites, ce n’est pas rien. Et ce n’étaient pas des résidences secondaires comme en Vendée.

chili_019

Là, les maisons submergées sont rendues inhabitables alors que leurs propriétaires avaient fait ce choix d’habiter le plus près possible de la mer comme s’il s’agissait seulement d’habiter un paysage de carte postale permanent et immuable. Personne n’a pensé que la mer pouvait sortir de la carte postale et mouiller les côtes. Au contraire, on a tout fait pour pouvoir construire le plus près en faisant pression sur les élus qui, eux, se réjouissaient d’avoir de nouveaux électeurs et de nouveaux impôts synonymes d’activité économique et d’équipements sociaux. Le lundi qui a suivi le raz de marée, un tribunal donnait raison à un propriétaire qui protestait contre un mur de protection qui lui masquait la vue sur la mer. Aujourd’hui, comme prévu, les propriétaires, effondrés il y a peu, crient que, finalement, ils n’ont pas été si touchés que ça : « à peine 50 centimètres ». « Il suffit de consolider les digues ! » : toujours cette illusion qu’on peut maîtriser la nature. Non, on ne se mettra pas à l’abri, il faut que la nature se plie !

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/03/01/17087192.html

 

Le bon sens ? C’est pas ici !

 

L’économiste Bernard Maris fait remarquer que les riverains des aéroports qui peuvent dormir tout leur soûl depuis quelques jours font gagner de l’argent à leurs employeurs. Mieux reposés, ils travaillent mieux.

http://sites.radiofrance.fr/franceinter/chro/lautreeconomie/

 

Et même si l’on n’est pas d’accord, qui peut contester le bienfait d’un repos réparateur pour tous ? Pourquoi les Français consomment ils autant des psychotropes ?

Restons dans l’économie. Des pans entiers se trouvent déjà en grande difficulté et réclament des aides de l’Etat (honni le reste du temps). Dans le même temps, des secteurs voient leur activité progresser et leurs bénéfices aussi. Si l’on prend à la lettre le raisonnement libéraliste qu’on veut imposer partout et à tout le monde, l’excès des uns doit compenser la récession des autres. Là encore, il y a peu de chance que ça se passe ainsi. Quand on fera « jouer la solidarité », on prendra encore dans la poche des imposables qui n’ont –peut-être –jamais pris l’avion de leur vie. Comme les Poitevins de l’intérieur vont être mis à contribution pour compenser les résidences secondaires du bord de mer.

 

On apprend que des denrées alimentaires sont bloquées à l’autre bout du monde. De quoi s’agit-il ? De raisin d’Afrique du Sud, de fraises de je-ne-sais-où, des asperges du Pérou. A-t-on besoin de ça ? Ne peut-on consommer des fruits et des légumes de saison cultivés près de chez soi ? A-t-on besoin de faire venir des haricots de Chine ?

 

Est-ce que ce volcan ne pointe pas du doigt nos dysfonctionnements, nos caprices d’enfants gâtés, notre marche sur la tête ? Cette foi irraisonnée dans le progrès a conduit au « principe de précaution » et à ses excès. Croire que tout est possible a rendu irresponsable.

 

On en trouve, des choses, dans les cendres de ce volcan…

 

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