Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
15 décembre 2011

France-Inter à Lille : à l'épreuve de la démocratie directe

Inter continue son tour de France des grandes villes dans le but avoué de connaître le reste du pays avant les élections du printemps 2012. Une ville par mois donc pour que nos élites parisiennes apprennent un peu à connaître les gueux de la province qu'on est prié d'appeler, désormais « les régions ».

 

A Lille, on a eu la chance d'avoir une personnalité de tout premier plan, Mme Aubry, qui, il y a peu, ambitionnait de se présenter à la Présidence de la République. Du pain béni pour une rédaction car on pourra lui poser des questions d'intérêt général, pour ne pas dire d'intérêt parisien, terrain sur lequel les journalistes parisiens sont plus à l'aise. On va donc lui demander ce qu'elle pense de l'actualité. On va l'interroger sur l'activité de sections locales qui, par chance, font parler d'elles en mal, ces temps-ci. On va la titiller sur les tensions entre les secrétaires nationaux du PS. On va faire semblant de l'agacer sur une histoire de mœurs qui trouve son origine dans un hôtel de luxe de Lille. Autant de questions qu'on aurait pu poser n'importe où ailleurs et qu'on pose ailleurs tous les jours et à longueur de temps. On essaiera quand même une petite question sur la vie à Lille mais rapidement. Et puis, le grain de sable fait grincer l'engrenage pourtant bien huilé.

 

Une dame interpelle, sans micro, les débatteurs. Elle pose des questions de citoyen ordinaire. Elle évoque l'impossibilité qu'il y a à saisir la justice quand on est victime d'incivisme, de délits. Elle sous-entend que la police ne l'a même pas écouté. Elle fait comprendre qu'elle vit une situation difficile : sans doute le chômage qui amplifie toutes les autres difficultés et notamment la santé. L'animateur du débat ne cache pas sa gêne : d'un côté, ça la ficherait mal de lancer des vigiles pour la faire taire, d'un autre, ses questions ne l'intéressent pas. Mme Aubry répond tout de même. Tout à fait dans son rôle d'élue nationale de l'opposition, elle souligne le manque de moyens de la police et de la justice. On décide rapidement et en dissimulant son agacement de tendre le micro à d'autres personnes dans la salle : une question sur le monde associatif. Et puis, arrive le moment de la fin de la session d'information. Mme Aubry glisse au collaborateur qui se trouve à côté d'elle : « tu la connais celle-là ? ». Elle était si impatiente de satisfaire sa curiosité que les techniciens n'ont pas eu le temps de couper son micro.

 

D'abord, quiconque a l'habitude des débats publics avec les personnalités politiques est habitué à voir l'invité principal se pencher sur l'épaule d'un collaborateur pour savoir s'il connait la personne qui pose une question embarrassante. En effet, un contradicteur se présentera et déclinera son appartenance au camp adverse ou concurrent. Un quidam, même s'il énonce son nom et sa profession introduira une gêne et pas seulement à la tribune. Les supporteurs patentés, éparpillés au gré de leur arrivée, n'apprécieront pas les questions précises sur un point concret alors qu'ils se réjouiront à l'idée d'une passe d'armes dont leur favori sortira forcément vainqueur.

 

Ensuite, cette interpellation montre bien le fossé qui s'est creusé entre nos élites médiatisées et la population. Les élites médiatisées sont formées par le personnel politique et les journalistes. Ils forment, socialement, ce que certains appellent « la France d'en-haut ». Ceux qu'on connait n'ont pas trop de problèmes matériels contrairement à ceux qu'ils ambitionnent de représenter ou à qui ils s'adressent. Après avoir étudié, donc fréquenté leurs semblables, ils ont trouvé une bonne situation et n'ont pas la moindre idée du quotidien des gens ordinaires. Autre particularité française, c'est l'intimité qui existe entre les journalistes et le personnel politique. Ils se sont côtoyés sur les bancs des mêmes grande écoles, se sont plu ou non et prolongent leur relations de potaches une fois parvenus. Ils parlent des mêmes choses, s'intéressent aux mêmes questions, analysent de la même façon, apportent le même type de réponse, ont le même mode de vie et pratiquent les mêmes loisirs, voire plus. Les échanges sont fréquents entre eux.

 

On a l'impression qu'ils poursuivent dans les médias (journaux, audiovisuels, en ligne) leurs conversations de cafétéria de faculté comme lorsqu'ils commentaient un aspect de la conférence de tel professeur ou telle page du livre qu'ils doivent avoir assimilé pour le prochain partiel. Et si Untel se présente contre vous ? Et si Unautre est mis en examen ? Et si vous preniez telle décision ? Selon la réponse, un autre journaliste se fendra d'une analyse le lendemain tandis qu'un politicien quelconque réagira peu après. Et voilà un feuilleton qui va occuper les espaces médiatiques pendant des semaines. Ils s'alimentent mutuellement. Ils dépendent les uns des autres. Ils vivent en vase clos et nous imposent de les regarder vivre à travers les parois du vase.

 

Pendant ce temps, les citoyens qui sont tantôt auditeurs, tantôt contribuables, tantôt électeurs, tantôt fatigués, vivent une vie qui ne se trouve dans aucun manuel universitaire, dans un aucun programme de candidat, dans aucun support médiatique. Pour ne reprendre que les questions posées par la Lilloise en colère, chacun a eu un jour affaire avec un poste de police ou un bureau de gendarmerie. On lui a volé quelque chose et même si l'on n'aime pas fréquenter les pandores, pour l'assurance, il faut porter plainte. Seulement, le pandore n'a pas envie de taper un formulaire. Il va tout de suite dire que « pour porter plainte il faudrait que » et s'en suit une liste de conditions qui vont vous décourager et vous rentrez chez vous en vous disant que non seulement on vous a volé ou endommagé un bien quelconque, que vous avez mis du temps à payer mais qu'en plus il faudra repayer et que les représentants de la loi s'en fichent. Tout le monde sait qu'il est inutile de téléphoner en pleine nuit pour se plaindre de voisins bruyants et de bruit dans la rue : « il faut voir avec votre propriétaire pour isoler votre appartement » etc. tout du même tonneau.

 

Depuis dix ans, M. Sarkozy fait de la sécurité son fond de commerce. Il s'est fait élire là-dessus parce que, précisément, il a évoqué publiquement la gêne quotidienne vécue par nombre de citoyens ordinaires. Ils avaient l'impression que, enfin, on s'occupait de leur quotidien. Seulement, une fois élu à la présidence, il n'a rien fait. Au contraire, persuadé que sa seule présence à la tête de l'État et ses coups de gueules suffisent pour faire baisser la délinquance, il a diminué les effectifs des forces de sécurité et n'a pas augmenté le nombre de magistrats. Le résultat, c'est que tous les actes d'incivisme, les délits, les atteintes à la personnes demeurent souvent impunis et surtout étouffés par une machine administrative qui n'en a cure. Dormez bien, braves gens, tout va bien ! Si vraiment, la réponse à ces dérives sociales qui relèvent de la délinquance se trouve dans la répression, il faut s'en donner les moyens. Il faut que la police se déplace à chaque fois qu'on l'appelle pour du bruit dans le voisinage, pour un vélo volé, pour une boite aux lettres cassée, pour une dame agressée. Ne serait-ce que pour prévenir et faire la leçon. C'est d'ailleurs le rôle de la police de proximité supprimée par M. Sarkozy. Ensuite, il faut que la justice ait les moyens de traiter ces affaires.

 

Au lieu de ça, on pousse les gens à faire justice eux-mêmes quand ils le peuvent. Sinon, ils ont recours, aux tranquillisants et autres somnifères pour dormir malgré le bruit de voisinage. Comme en plus, on se moque d'eux parce que leur problème n'intéresse personne comparé à la dette de la France, ils décideront soit de ne pas voter, soit de voter pour les démagogues de l'extrême-droite. Beau résultat.

 

Les problèmes quotidiens des citoyens ordinaires ne sont pris en compte par personne. Les médias diffusent des reportages, de temps en temps, dans des cadres bien stricts, sur des problèmes concrets. Pourtant, jamais le personnel politique n'est interrogé sur ces cas concrets. Après chaque personne trouvée morte dans la rue, jamais on ne demande son avis au ministre concerné, ni au Premier d'entre eux, ni à l'opposition.

http://www.youtube.com/watch?v=IEV4De13EF4&feature=share

 

Au contraire, les médias continueront à faire leur une sur cette France qui vit au-dessus de ses moyens et qu'il serait temps qu'elle se serre la ceinture pour ne pas laisser de dette aux générations à venir. En attendant, dans notre beau pays, on meurt dans la rue comme en Inde, les classes moyennes régressent et rejoignent les plus vulnérables ou comme la Lilloise en colère renoncent à se soigner. Cette dame évoquait aussi la difficulté de faire valoir ses droits auprès des administrations.

 

Pendant ce temps, nos élites médiatisées regardent par les trous des serrures des chambres d'hôtel, débattent de la dette – contractée par qui, au fait ? et auprès de qui ? –, se demandent s'il faut changer la constitution, s'il vaut mieux le multiculturalisme ou le renforcement de l'identité nationale, si Machin ou Truc monte dans les sondages, si Mimy Mathy est toujours la personnalité préférée des Français. Pourtant, l'accès à la justice, c'est important. C'est même une des caractéristiques fondamentales d'une démocratie. L'accès aux soins, c'est important. La santé, c'est ce qu'on ressent en permanence, plus encore que l'alimentation ou le sommeil qui en sont les causes principales. À cela, une grand émission d'information, une émission spéciale organisée dans la perspective des élections du printemps prochain,n'apporte aucune réponse. Pire, elle ignore volontairement ces problèmes. À cela, une personnalité politique de premier plan apporte une réponse attendue et générale qui ne prend pas en compte la réalité concrète. Dans ce domaine, on voit qu'une femme politique ne tient pas un langage différent d'un homologue masculin. À quoi bon militer pour que davantage de femmes nous représentent ?

 

L'animateur du débat a voulu discréditer l'intervention de cette dame en prétendant qu'elle évoquait son cas particulier et qu'il fallait ne traiter que des problèmes d'intérêt général. Pourtant, beaucoup d'auditeurs se seront reconnus dans les propos de cette Lilloise. Ils vivent la même situation, ont eu affaire à la police suite à une agression, un vol, du bruit. Ils voient leurs problèmes de santé aggravés par la persistance des agressions, du bruit et autre nuisance quotidienne. Ils voient leur budget santé réduit. Voilà des thèmes de campagne. Seulement, ils ne sont pas spectaculaires, pas médiatiques. Alors, on laisse le populo se dépatouiller avec ses problèmes qui ne sont pas « des problèmes généraux ». La démocratie directe ne fonctionne pas. La démocratie a fait place à une agitation politico-médiatique qui fait diversion.

 

 

Quelques problèmes « particuliers » :

http://www.leparisien.fr/societe/mal-logement-8-millions-de-francais-n-ont-pas-les-moyens-de-se-chauffer-09-12-2011-1760466.php

 

http://www.lesmotsontunsens.com/29-des-francais-renoncent-a-se-soigner-faute-d-argent-11260

 

http://www.marianne2.fr/SlovarMarianne/France-du-XXIeme-siecle-1-francais-sur-2-renonce-a-se-soigner-_a384.html

 

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 703
Newsletter
Publicité