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la lanterne de diogène
7 mars 2008

L’affaire Misha Defonseca

 

C’est troublant, c’est le moins qu’on puisse dire. Une femme raconte dans un livre comment elle a traversé l’Europe pour échapper aux persécutions dont les Juifs étaient victimes de la part des nazis. Elle aurait survécu en partageant la vie d’une meute de loups. L’histoire a ému beaucoup de monde. En fait, on apprend que tout est faux. L’éditeur est gêné mais ne jette pas la pierre à l’écrivaine. D’ailleurs, qui aurait le cœur de le faire ? On peut s’interroger sur ce qui pousse des personnes à s’inventer une vie et à finir par y croire au point de convaincre les autres.

La vie que nous menons la plupart d’entre nous, est-elle à ce point insignifiante que l’on cherche à y échapper par tous les moyens ? Le procédé n’est pas nouveau. L’artiste est le premier à exprimer sa révolte. Il interprète ce qu’il voit. Il traduit ce qu’il ressent. Dans tous les cas, ce n’est pas la réalité même si, quelques fois, elle n’est pas loin. Tous, nous connaissons des personnes qui ont recours à ce subterfuge pour se donner une raison d’exister. En général, on prétend avoir fait ce que, justement, on n’a pas pu faire, qu’on aurait bien aimé pouvoir faire. Les enfants racontent souvent des histoires comme ça. Françoise Dolto conseillait d’y accorder une oreille distraite, de ne pas chercher à contredire, à souligner les aberrations, de laisser dire. Le dictionnaire Robert précise que la fabulation est normale chez le petit enfant mais pathologique chez l’adulte.

En fait, le problème se pose quand la tendance se confirme ou naît à l’age adulte. S’agit-il d’un manque de maturité ? S’agit-il d’un trouble plus profond ? Jusqu’où peut aller cette pathologie ? Autant de questions auxquelles on ne peut probablement pas apporter de réponse définitive.

Une pièce de boulevard (de Courteline peut-être) met en scène un individu âgé qui triche sur sa date de naissance afin de pouvoir prétendre avoir rencontré Napoléon. Il rit le bougre car, plus il avance en âge, plus sa rencontre se fait détaillée. Peu avant sa mort, Serge Reggiani racontait avoir fréquenté Picasso et même assisté à une rencontre avec Dali. Au cours de leur échange, le peintre catalan, étiqueté à l’extrême droite aurait demandé en voyant le tableau « Guernica » : « C’est vous qui avez fait ça ? ». Le peintre proche des communistes aurait alors répondu : « Non, c’est vous ! ». Pas mal, sauf que l’anecdote a été racontée maintes fois. Il semblerait que l’échange ait eu lieu entre l’artiste et des officiers allemands peu au fait de l’histoire et de l’art. Là encore, pourquoi des militaires en goguette auraient-ils visité l’atelier du peintre très controversé à l’époque ?

Chacun s’invente un témoignage d’un événement extraordinaire. Ainsi, on a pu remarquer que le nombre de gens qui a assisté aux adieux de Brel à l’Olympia dépasse largement la capacité de la petite salle des Grands Boulevards. Un célèbre chanteur à succès n’en finit pas de s’inventer des vies. A ses débuts, il prétendait être né dans la zone du 14ième arrondissement de Paris (zone qui était déjà remplacée par le périphérique à l’époque). Puis, interrogé sur Mai 68, il avait vu partir la première manifestation puisqu’il habitait place Monge où son père vendait du vin et écrivait des romans policiers sous un pseudonyme (pas bête parce que comme ça, on ne peut pas vérifier). Trop jeune à l’époque, il n’a pas manifesté mais transporté des tracts. A chaque décennie qui suit les événements, on l’interroge car il passe pour être proche des jeunes et des révoltés. Chaque fois, on a une nouvelle version. Ainsi, il a prétendu avoir donné son premier concert dans le grand amphi de

la Sorbonne

pendant l’occupation de l’université. Dans le même temps, Robert Sabatier qui l’admire beaucoup confie qu’il fréquente son père qui est son médecin personnel. Dernièrement, ce chanteur avouait sa reconnaissance pour ce père récemment décédé et qui, illustre professeur, recevait à sa table les plus grands intellectuels et artistes de Paris. C’est comme ça qu’il a baigné très tôt dans une atmosphère élevée. Nul doute que pour le quarantième anniversaire des événements de Mai 68, on aura droit à une nième version de son engagement précoce.

D'autres fabulations

On peut dire que nombre d’affaires, d’énigmes historiques ont pour origine la mythomanie de certaines personnes. Outre l’escroquerie notoire ainsi que l’intérêt des puissants (complots, mystifications etc.), on connaît bien ce genre de pathologie. Après l’exécution de Jeanne d’Arc, nombre de jeunes femmes ont prétendu être la sainte substituée pour échapper au bûcher. Outre le personnage de boulevard déjà évoqué, pas mal de personnes affirment avoir connu une personnalité. Certaines ont joué, enfant, avec une vedette ou ont un lien de parenté, voire ont couché avec une personnalité connue pour sa beauté. Dans ce dernier cas, elles vont même jusqu’à affirmer que sans leurs vêtements ces notabilités ne sont pas si jolies. C’est d’ailleurs une caractéristique du vrai mythomane : ne jamais enjoliver la réalité mais au contraire fournir force détails indiquant que leur aventure pour extraordinaire qu’elle ait été ne leur a pas été que bénéfique.

Ce qui est frappant, dans l’exemple de ce chanteur ou de l’écrivaine, ce sont les détails vraisemblables, les éléments habilement distillés et qui empêchent toute vérification. On aura un père qui a connu une petite célébrité sous un pseudonyme, des paysage ravagés, donc difficilement identifiables, des lieux qui ont été reconstruits, des compagnons morts ou animaux, une dispute ou une disparition qui a séparé durablement les protagonistes. Cela ajoute au pathos par la même occasion.

Les loups ont sauvé la vie de Misha mais il a fallu vivre accroupie comme eux, ramper dans la neige et la boue, emporter avec soi l’odeur infâme de ces carnassiers. On révélera aussi que telle personnalité est en réalité petite ou paraît plus âgée qu’à

la TV. Quelqu

’un qui se vanterait d’avoir connu une vedette et partagé des moments hors du commun se heurterait à l’incrédulité.

Un travail harassant

Le sujet qui décide de « se la raconter » prend son temps avant de se lancer. Le vrai mythomane doit préparer son histoire, sa seconde vie, sa vie rêvée. C’est un travail à temps complet : construire tout un arrière-plan, choisir ses personnages à la manière d’un dramaturge. Il faut bien calculer ses dates, être capable de répondre à n’importe quelle question. Il faut anticiper sur la curiosité et préparer une réponse qui évitera de trop approfondir ou qui en appellera une autre embarrassante. En général, on feindra d’aborder un aspect sensible ou intime. Comme le bobard est souvent douloureux, on comprendra aisément. Le mythomane aguerri saura comment s’y prendre pour la prochaine fois et aura le temps, si besoin, de se fabriquer un autre épisode à condition qu’il s’insère parfaitement dans l’économie de sa fabulation. Ainsi, les fameux détails sur la rencontre avec Napoléon découlent logiquement de toute cette préparation. Il n’y a plus qu’à. Plus qu’à laisser venir les curieux et leur servir ce qu’ils veulent entendre. Car, en fait, il se trouve toujours un public qui a intérêt à y croire et qui tient tête face aux incrédules. Est-ce parce qu’on regrette de n’y avoir pas pensé soi-même ou parce que ça interpelle quelque chose en soi ?

Pour revenir au cas qui nous préoccupe, on remarquera juste que l’auteur s’est inventé une histoire intégrée dans la grande Histoire, en l’occurrence la persécution des Juifs par les nazis. Déjà, on cible le public : des personnes sensibles, portées par la solidarité, tolérantes et ouvertes. Le personnage elle-même, fait preuve d’empathie vis-à-vis de ce petit peuple toujours victime. Elle veut montrer son regret de n’avoir, sans doute, rien fait pour les Juifs. Le pouvait-elle, d’ailleurs ? On retrouve cette tendance à s’inventer un rôle de sauveur ou de grand évadé. Celle ou celui qui prend tous les risques pour sauver sa peau ou celle d’un autre. On peut écrire l’histoire de Zorro, de Superman, de Rambo, mais le nec plus ultra consiste bien à être le protagoniste.

Ensuite, on remarque un certain conformisme, sans doute pour ne pas trop déstabiliser l’auditoire. Le choix de l’animal est, somme toute, assez banal. Le loup occupe une place majeure dans l’imaginaire européen. Autrefois bête redoutée, leur nombre ayant diminué, le sauvage canidé est aujourd’hui considéré avec curiosité et sympathie. C’est une espèce protégée presque partout. Sans doute, cette sympathie retrouvée prend-elle la suite de nos récits fondateurs dont le mythe de Rémus et Romulus. Sans doute aussi, nous reste-t-il un vague souvenir génétique du temps où les premiers hominidés se sont alliés aux petits carnassiers. Le loup a été le premier animal domestiqué puis devenu au cours du temps le chien fidèle que nous caressons. Misha n’a pas choisi de situer son périple imaginaire avec les lynx, par exemple, ni avec les ours. Elle n’a pas non plus porté son dévolu sur des cervidés, eux aussi animaux sauvages et sylvestres. Le danger que suggère la vie avec les loups apporte une dimension supplémentaire au récit mythomaniaque. Par rapport au lynx, l’animal présente l’avantage d’être un peu connu quant à son mode de vie. Par rapport à l’ours, on n’a jamais eu vent de vie sociale chez les ursidés. Par rapport à un herbivore classique, outre l’absence de danger qui va pimenter la fabulation, on se serait heurté au problème du régime alimentaire car herbivore ne signifie pas végétarien.

Reste qu’on ne peut qu’éprouver de la compassion pour cette personne et beaucoup de patience quand se trouve dans l’entourage un tel mythomane.

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Commentaires
P
Bonjour Colère,<br /> <br /> Je tiens seulement à vous signaler que j'ai créé un site internet, depuis plus de cinq ans, qui porte le même titre que celui de votre blogue. Étrange coïncidence, je signe mes courriels avec une citation d'Albert Camus, depuis plus de dix ans.<br /> <br /> Si vous êtes curieux, voici l'adresse de mon site internet : http://aladin.clg.qc.ca/~ferlandg/.<br /> <br /> Et voici l'adresse de mon blogue : http://plotin.monblogue.branchez-vous.com/.<br /> <br /> Bonne fin de journée.<br /> GF
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