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la lanterne de diogène
1 septembre 2008

Un jour, à Vézelay

"Un touriste est souvent un voyeur. Le voyageur, le vrai ne l'est pas. Il accomplit un acte profondément spirituel" Guy GILBERT



Je me suis senti un peu voyager et c’est le miracle du lieu que de le découvrir toujours nouveau. Pourtant, il y a des années que je m’y rends. Quelques fois, ce n’est qu’une étape tandis que d’autres, c’est la finalité. Cette fois-ci, le prétexte était le 15ième marché bio qui se tenait tout le jour. Après m’être mêlé à la foule et aux activités, j’ai rejoint la basilique en fin d’après-midi, la Madeleine comme disent certains. Toujours, j’y parviens par la presque unique rue du village morvandiau. Les pierres séculaires des maisons forment comme une escorte immuable pour le promeneur et le pèlerin.450px_Vezelay_Basilique_Nef Et puis, c’est l’ouverture et la révélation de la façade qui surgit, immense, après le dédale des maisons. La tour unique ne parait pas déséquilibrer l’édifice mais au contraire s’élever et nous emporter. Au passage, merci Viollet-le-Duc. L’approche se fait facilement après la montée. Quelques marches séparent encore de l’intérieur.

 

Dans le narthex, je m’approche du tympan. D’habitude des théories de touristes prennent des photos tandis que d’autres écoutent les explications d’un guide. Pour une fois, il n’y a presque personne et je peux admirer à mon aise l’harmonie de l’ensemble et chercher des signes du zodiaque : le mien, en bas et quelques autres dont l’originalité me saisit. Ensuite, invariablement, je rentre par la petite porte de gauche. L’immensité du volume m’enveloppe aussitôt et je me dirige vers le milieu afin d’admirer les voutes en berceau de pierres claires et sombres alternées selon la mode mauresque. Il y en a huit. Je sais que rien n’a été disposé au hasard, que l’emplacement de chaque fenêtre a été pensé, que la lumière ne pénètre pas n’importe comment ni n’importe où. Tout cela me revient du moment que je regarde. Souvent gêné par le monde, je mets fin à mon observation pour me préoccuper des modestes latéraux. Les chapiteaux sculptés racontent chacun une histoire. Curieusement, j’en découvre à chaque fois mais j’en cherche en vain d’autres que je connais pourtant. D’abord je remarque ce petit David qui décapite vezelay102Goliath. Pour la première fois, je remarque Moïse qui menace de ses tables de la Loi le veau d’or d’où s’extrait un diable chevelu. On apprend aux enfants que la représentation démoniaque avait pour but d’inspirer la crainte. L’humour du moyen-âge semble l’emporter et le ridicule de sa physionomie était sûrement plus efficace. Sur une si bonne lancée, je me dirige vers la chaire qui cache un peu une scène où un saint se trouve agressé par deux démons. L’un lui tire la barbe tandis que l’autre le menace d’un bâton. Ceux qui pensent encore que l’époque médiévale était obscure et malheureuse devraient lire les fabliaux et regarder les scènes cocasses qui décorent les églises.

 

Passé cette levée de rideau, il me faut aborder les choses sérieuses. Dans la première petite chapelle latérale, s’élève une statue de Bernard, terrible, paraissant haranguer les fidèles depuis toujours. Lorsqu’il prêcha la croisade, sa voix s’entendait à plusieurs kilomètres à la ronde. Aujourd’hui, la croix qui a été placée à côté est celle d’un groupe de prisonniers allemands qui, en hâte, ont rassemblé deux poteaux et les ont croisés pour se joindre aux pèlerins qui manifestaient, à leur façon, pour la paix quelques mois après la fin de l’horrible seconde guerre mondiale. Plus que les quatorze autres, cette quinzième, rajoutée au dernier moment recèle une forte valeur symbolique. Après cet ébranlement, je retrouve un peu de sérénité face à la statue de François d’Assise, le petit pauvre parmi les pauvres. Plus encore que son engagement spirituel, il a, de mon point de vue, impulsé une vision de l’homme en harmonie avec la nature. Dans une Europe essentiellement rurale, les animaux ne valaient que pour ce qu’ils rapportaient ou pour la nourriture qu’ils fournissaient. Lui, regardait aussi les inutiles et leur parlait comme à ses amis. Le miracle de Gubbio où le saint a apaisé un loup qui terrorisait les villageois vaut surtout par ce qu’il signifie de concret : il suffit de partager un peu de ce que l’on a avec l’autre pour que celui-ci apaise sa colère et devienne un ami. Dans sa prière aux créatures, que je relis à chaque passage en ce lieu, il loue les éléments sans lesquelles la vie ne serait pas possible « notre sœur l'eau, qui est très utile, humble, précieuse et chaste ». Je repense aussi à mes voyages à Assise, à la très belle campagne ombrienne, à la sérénité qui se dégage de ces lieux. Plus au sud de la Bourgogne, à Chapaize, une église ressemble à l’une de la ville de François et la campagne autour est aussi magnifique. Je suis toujours content de voir une représentation de François. J’en ai vu plusieurs, un peu partout dans le monde. Une fois, à San Francisco, j’ai découvert une statue dans un parc très éloigné du centre. Surpris, je me suis écrié : oh, il est là !

 

Encore tout étourdi par cette visite, je tourne les talons pour m’enfoncer dans la crypte. C’est, normalement, le but du pèlerinage. Il a fallu que je lise que Marie-Magdeleine était la patronne des prisonniers pour que je consente à rajouter cette station à mon périple. Avoir un ami derrière les barreaux a fait tomber les obstacles. Je me dis que lire la petite prière apposée à côté du reliquaire ne peut pas faire de mal. Le silence règne dans ce réduit obscur, à peine troublé par le bruit des talons des visiteurs qui déambulent au dessus. Devant le recoin, où est exposé le coffret copié sur l’arche d’alliance, un jeune couple trône sur les mauvaises marches de pierre. Lui est assis en tailleur tandis qu’elle joint les mains. Leurs yeux fermés ne laissent aucun doute sur la profondeur de la prière qui les habite en ce moment. En général, je me sens mal à l’aise en ces lieux lorsque j’y croise du monde. Je me sens indigne ou ridicule de m’attarder et de lire la prière des prisonniers en pensant à l’ami enfermé. La présence de ces deux-là ne me gêne pas. Dans un sens, je les envie. Je m’extrais des profondeurs pour retrouver le jour à travers les vitraux de verre blanc. Un dernier regard vers François et je poursuis mon demi-tour. Juste derrière le chœur, je contemple à nouveau la nef mais dans l’autre sens. Elle parait encore plus profonde. Je m’attarde sur un chandelier à sept branches tout semblable à celui qui brûlait jour et nuit à Notre-Dame de Paris quand les sept moines de Tibhirine étaient prisonniers. Je pense à eux et au vide qu’ils ont laissé dans le cœur des Algériens. Passage rapide devant la statue de Madeleine en pleurs et descente vers le seul vestige de l’antique cloître : la salle du chapitre d’où je commence à écrire ces lignes. Je suis seul sous les voutes magnifiques qui s’entrecroisent. Je pense à celles et ceux que j’aime et veux partager mes impressions et mes sentiments de ce jour.

vezelay83

Après m’être attardé un long moment, je sors de la salle. J’ai appris au cours de mes balades en montagne que le plaisir de l’ascension prend toujours fin. Il faut redescendre quoi qu’il en coûte ; et il en coûte ! C’est dommage, mais il faut toujours s’en aller. L’autre côté de la nef est aussi riche en chapiteaux sinon plus. C’est là que se trouve le fameux moulin mystique mais aussi cet homme qui tient un rucher ainsi que d’autres scènes inspirée de la vie à la campagne. vezelay87J’aime retrouver Daniel dans sa mandorle au milieu de lionnes sympathiques et d’un superbe lion. Cet épisode biblique a inspiré au moins un negro spiritual et aussi une séquence du magnifique dessin animé de Grimault et Prévert, Le roi et l’oiseau. Je cherche encore quelques diables échevelés pour quitter l’édifice sur un sourire. Je m’éclipse par la porte latérale sans repasser par le narthex et la cohue prévisible.

vezelay92

Dehors, le ciel est gris et bas et la lumière jaune de l’orage transforme l’atmosphère. Tantôt, le vent s’était levé, lourd de menaces. Depuis la terrasse, je domine les monts du Morvan sous la pluie. On ne voit plus Bazoche, demeure du grand Vauban : les arbres ont poussé. Bientôt, on ne verra plus non plus les maisons de Pierre-Perthuis. Coup d’œil rapide à l’élégante église de Saint-Père sous Vézelay et retour vers la bagnole. La pluie a eu la bonne idée de tomber après mon installation. Je pose mes dernières acquisitions : deux livres de poche. J’écoute avec délice les gouttes qui tombent bruyamment sur le toit de la voiture. Bien des impressions me reviennent. Je me dis : si la pluie du matin réjouit le pèlerin, qu’en est-il de la pluie de soir ? je ne crois pas utile de répondre.

 

Descente de la colline, remontée vers le nord. En longeant les prés morvandiaux, la pluie d’orage développe les odeurs de terre, des bêtes qui paissent, des mares. Parfois, j’entends le roulement du tonnerre. Je dois faire abstraction de toutes ces sensations. Je suis au volant et en route vers mes pénates, attentif mais encore estourbi. Une fois sur la grand route, il n’est plus temps de s’abandonner. Je me demandais comment terminer et le hasard m’impose une fin rimbaldienne. En passant près des grottes de Saint-Moré, mon compteur kilométrique marquait 146 600 km !

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