Mélenchon et le quatrième pouvoir
On apprend, incidemment, que M. Mélenchon s’en est pris à un journaliste
http://video.excite.fr/video/8649/Melenchon-insulte-un-journaliste
Voici comment on le présente :
« La vidéo fait un carton. Jean-Luc Mélenchon, représentant du Parti de gauche/Front de gauche, s’en prend à un étudiant journaliste de sciences Po, entre les deux tours des régionales. Le sujet portait sur le taux d’abstention avant de bifurquer sur la réouverture des maisons closes en une du Parisien. Le député européen aurait abordé tout seul le sujet avant d’insulter le journaliste: 'Avec moi vous parlez de choses sérieuses (...) vos sujets de merde vous allez les faire avec des gens qui veulent répondre à la merde'.
Mélenchon: Les journalistes sont de "petites cervelle. »
« Le 19 mars 2010, entre les deux tours de l'élection
régionale, Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche / Front de Gauche) participe à
une distribution de tracts devant une cantine interprofessionnelle dans le
XIIème arrondissement de Paris.
Un étudiant de l'école de journalisme de Sciences Po l'interroge sur
l'abstention, sur les perspectives pour le deuxième tour...et lorsque Jean-Luc
Mélenchon évoque un titre du journal "Le Parisien" sur la
prostitution, l'étudiant tente de savoir ce que pense M. Mélenchon de la
question.
Malheureusement, il n'était visiblement pas dans de bonnes dispositions. Ou
peut-être s'est-il dit qu'il n'avait en face de lui qu'un simple "étudiant
en journalisme" ? Se serait-il comporté de la même manière avec un
"vrai" journaliste ? »
Les commentaires des internautes ne sont pas mieux. Les pires insultes volent. On en appelle à lui péter la gueule. Bon, c’est le jus habituel des forums sur l’Internet : pas la peine de chercher des arguments là-dedans. Ici, quelqu’un m’a souhaité d’avoir le cancer pour n’avoir pas trouvé un lien supprimé. N’empêche, ça montre la démesure généralisée.
Voyons le fond du problème
Les journalistes jouissent d’un pouvoir absolu dans la mesure où tout passe par eux. Un fait n’existe que s’il est répercuté par la presse. Une personnalité est faite et défaite par les journalistes. Nous le verrons. Ils ne choisissent de dire que ce qui les arrange pour attirer les lecteurs ou téléspectateurs et les inciter à rester captifs. Dans un débat, détenteurs de la distribution de la parole, ils auront toujours le dernier mot.
En ce moment-même, c’est l’affaire des « rumeurs » qui les occupent. Le couple présidentiel battrait de l’aile. Personne n’en sait rien. Sur l’Internet, on ne trouve pas même une allusion alors qu’il y a –parait-il –un buzz. Tout au plus deux noms sont associés dans des histoires insignifiantes. Pas de problème : on va donner de la signifiance. On n’a plus rien à se mettre sous la dent ? Pas de problème, on va gloser autour des démentis. Des gens meurent dans les rues comme en Inde, des dizaines de milliers de chômeurs en fin de droit vont bientôt les rejoindre ? « Oh, on en a parlé ! » s’entend-on répondre quand on le fait remarquer. Oui, mais dans quelle proportion ? Qu’importe : il n’y en a que pour les frasques supposées à l’Elysée.
Le public sent confusément qu’il existe une collusion entre les journalistes et le monde politique dans la mesure où ils se sont côtoyés sur les bancs de Science-po. Le public sent bien, aussi, qu’on « ne nous dit pas tout ». Or, à partir de là, toutes les dérives sont possibles. C’est la porte ouverte à toutes les rumeurs. Aujourd’hui, tout et n’importe quoi peut se retrouver sur l’Internet, manipulé, amplifié, déformé. Le prestige de l’information écrite, même sur un écran d’ordinateur, rend crédible une rumeur qu’on aurait pu facilement qualifier de ragot autrefois tant qu’elle restait orale.
Ces dérives ne sont pas nouvelles. Dans la première moitié
du siècle dernier –notamment entre les deux guerres –il existait en France une
presse de caniveau qui avait une forte audience. Mais, les autres préféraient
aussi titrer sur les relations de Marie Curie avec Paul Langevin que sur son
second Prix Nobel ; pourtant exceptionnel et participant du prestige de la France. Les
« Je ne sais, de tout temps, quelle injuste puissance
Laisse le crime en paix et poursuit l’innocence. »
Précisément, les écarts de langage de M. Mélenchon ont permis de rappeler que « Mitterrand avait traité les journalistes de chiens ». Encore une phrase sortie de son contexte et qui, de toute façon, ne désignait que ceux qui s’étaient acharnés à bafouer l’honneur d’un homme intègre. C’est assez rare en politique pour être défendu mais peu importe. Balkany et Pasqua sont invités au « Fou du roi » quand M. Mélenchon ne le sera jamais.
En pleine campagne électorale, dont on sait qu’elle ne passionnait pas (cf. l’abstention), un élève journaliste prétend interroger un homme politique sur l’organisation de la prostitution. Notons au passage la technique consistant à rebondir sur un exemple sorti de son contexte pour éviter le sujet de fond. Notons que l’apprenti journaliste a tout de suite répliqué quand son interlocuteur a osé critiquer le choix éditorial d’un confrère. M. Mélenchon dénonce le grand titre particulièrement racoleur d’un quotidien qui occulte les problèmes des gens. Cela devient immédiatement le sujet principal. Pourtant, qu’aurait-on dit si le sénateur s’était prononcé sur les maisons closes ? Quelle qu’ait été sa réponse, elle aurait été reprise en début de journal télévisé et aurait étouffé toute l’actualité. Le côté scabreux du sujet garantissait le succès du reportage. En revanche, personne n’aurait rapporté ses propositions concernant les services publics, par exemple.
D’ailleurs, la vidéo n’en parle pas et préfère se focaliser sur l’échange autour de la prostitution. Bien qu’il ait refusé de répondre, l’apprenti journaliste revient à la charge provoquant les écarts de langage. Bien sûr, M. Mélenchon n’aurait pas dû dire « votre sale corporation ». Sur le fond, peut-on lui reprocher de vouloir recadrer le débat politique au moment où tant de problèmes graves se posent ?
Dans la présentation sur l’Internet, on peut lire : « Se serait-il comporté de la même manière avec un "vrai" journaliste ? »
On a envie de répondre : aurait-on interrogé un homme politique de tout premier plan sur ce sujet ? Les journalistes malmènent volontiers une personnalité secondaire ou émergente qui menace la bipolarisation de la vie politique. Le manichéisme est intellectuellement très commode tandis qu’une voix divergente obligerait à des analyses autrement plus fines et forcerait à s’intéresser au fond. Tant qu’un Bayrou ou un Mélenchon font figure de dissidents, ils sont portés au pinacle car ils alimentent des querelles régulières qui tiennent lieu de feuilleton politique. Ils assurent le spectacle. Dès qu’ils quittent leur giron, les journalistes n’ont de cesse de ridiculiser leurs initiatives et de minimiser leur impact sur le public. Sur les plateaux, on leur donne un strapontin qu’ils doivent partager à deux ou quatre et les journalistes se paient leur tête. Qu’on se rappelle le débat avant les européennes.
Le soir même des régionales, on ne s’intéressait pas aux raisons de l’abstention mais on ouvrait un nouveau feuilleton pour tenir en haleine le bas peuple télévisuel : Sarko pourra-t-il être réélu en 2012 ? Dès le lendemain, un sondage était publié. Pendant ce temps, les chômeurs en fin de droit peuvent bien voir la misère arriver, les sans-abris peuvent bien crever dans la rue, les ressources naturelles peuvent bien s’épuiser, il n’y en aura que pour la « petite phrase » maladroite, pour le lapsus, la relation extraconjugale supposée.
Un tel abaissement du
débat politique conduit inéluctablement au détournement du peuple de la chose
politique et, finalement, à l’abstention.
Des exemples concrets montrent que cette dérive journalistique est quotidienne
Votre serviteur s’est accroché en direct avec Pierre Weil quand il assurait l’intérim de la matinale d’Inter. J’avais fait remarquer que la chronique politique de Françoise Degois (pompeusement appelée « politique plus » !) n’était pas de nature à réconcilier les Français avec la politique dans la mesure où elle était consacrée à la plage fréquentée par un jeune cadre socialiste toulonnais, aux déboires d’un ancien Premier ministre avec son fax et aux problèmes immobiliers de l’extrême droite. « Mais, monsieur, ce sont des faits ! » telle a été sa réponse. Impossible de critiquer un choix éditorial. Impossible de contester une hiérarchie de l’information qui privilégie, le superficiel, l’anecdote, les faits divers et les nouvelles des vedettes. Impossible de faire seulement remarquer que les journalistes mettent en avant des nouvelles dont tout le monde se fiche.
La PQR
Autrefois, Jean-Marc Guillou, ancien joueur de football
international, a écrit, après sa carrière, un livre pour dénoncer certaines
pratiques de la Fédération
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/10/24/11089758.html
Il a suffi qu’un journaliste lise vaguement la quatrième de couverture d’un livre d’Hélène Carrère d’Encausse pour que tout le monde soit convaincu qu’elle avait prévu la chute du communisme quand son propos envisageait l’éclatement de l’Urss suite à une poussée musulmane dans les république d’Asie centrale… Grâce à cette supercherie grossière, l’intéressée se trouve à l’Académie française.
Nous avons déjà dénoncé ces dérives :
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/29/16710948.html
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/12/16/16172759.html
Prétendre que c’est accorder beaucoup de pouvoir aux journalistes n’est pas exagéré. Le meilleur exemple est le traitement d’une grève. Les journalistes mettent toujours en avant la gêne pour le public mais jamais l’intransigeance de ceux qui refusent la moindre concession et préfèrent perdre de l’argent plutôt que de céder aux revendications des plus défavorisés : les salariés. Ils présenteront toujours les revendications comme des caprices. Or, c’est tellement ancré, c’est devenu tellement admis qu’on ne s’en aperçoit même plus : dans un grève, les méchants sont les salariés (de quoi se plaignent-ils puisqu’ils ont du boulot ?) qui menacent les patrons et les victimes sont les gens. Est-ce de l’information ? Est-elle objective ? N’est-elle pas un parti pris ?
Le résultat, nous le voyons tous les jours. D’abord, la suspicion s’installe partout et détourne le public des organes d’information professionnels au profit des rumeurs. Aujourd’hui, la rumeur se propage sur l’Internet. Même les sites d’information en ligne finissent par renouer avec les pratiques qu’ils dénonçaient au début. Faut-il s’en étonner dans la mesure où ils sont dirigés par des journalistes issus des médias traditionnels ?
A force d’appauvrir le niveau de réflexion des gens, ils finissent par se complaire dans la vulgarité. Quand George Orwell prédisait dans son célèbre 1984 une société de surveillance vidéo, de vocabulaire réduit, d’expression limitée à la binarité, de presse publiant de la pornographie et des horoscopes, nous y sommes ! Il suffit pour s’en convaincre de voir la page d’accueil de son fournisseur d’accès à l’Internet. Or, quand les mots ne peuvent exprimer les sentiments et la pensée, c’est le corps qui parle : les viols et la violence.
Quant à notre point de départ, la politique, elle est réduite à la démagogie et la fuite en avant. Les élus ne cherchent plus qu’à être réélus : du Président de la république jusqu’au moindre Conseiller général. On promet et on commence à réaliser qui un réacteur nucléaire, qui un porte-avions, qui un bout d’autoroute dans sa circonscription, qui des caméras de surveillance, qui une zone d’activités, qui un aéroport, qui des bacs à fleurs. Faute d’une analyse critique, les gens qui voient leur pouvoir d’achat se réduire toujours plus, les entreprises fermer autour d’eux, se sentent –à raison –exclus. Ceux qui ont les pouvoirs débattent et débattent de sujets qui n’intéressent pas leur quotidien concret. On ne parle d’eux que parce qu’ils sont le prétexte de vagues échanges politiques. Les plus forts essaient de lutter, les autres achètent la presse à scandale –dite, désormais « people » –et regardent les télévisions commerciales. Ils alimentent ainsi leur propre aliénation et celle des autres. Ils donnent raison aux journalistes qui préfèrent parler des maisons closes que des sans-abris, qui préfèrent se demander si M. Sarkozy sera réélu plutôt que d’enquêter sur l’appauvrissement des classes moyennes. Comme chantait Guy Béart : « Tournez, tournez rotatives ! »