Carmen à Lille, Centre Pompidou à Metz : culture de pouvoir et culture contre le pouvoir autour d'un apéro.
Ainsi, un Centre Beaubourg s’installe à Metz en prélude à la Nuit
Ce Centre Pompidou, lié à celui de Paris marque une étape dans la fourniture culturelle en province. L’indigence des musées provinciaux est assez consternante et résulte du centralisme typiquement français qui a construit la nation autour de sa capitale au fil des siècles. Même s’il existe des collections de grande qualité en province, comment y aller et, si l’on y va, comment ne pas se ruiner dans une chambre d’hôtel tout juste acceptable mais hors de prix ? L’installation d’un Centre National d’Art et Culture à Metz a été rendue possible par le Tgv. Encore un investissement de l’Etat qu’on somme de faire des économies sur tout.
A part la tutelle juridique, quel rapport avec le Centre Beaubourg de Paris à son ouverture ? Pas grand-chose. On attend le Mouna Aguigui pour haranguer la foule des visiteurs devant le bâtiment avec des accents de Diogène. On attend les saltimbanques, les John Guez qui faisait jouer les passants dans son théâtre de rue. On attend les Néné le Fakir et Guy Laliberté (actuel directeur du Cirque du Soleil) pour impressionner les badauds en brisant des chaînes et en crachant du feu sur des planches à clous ou du verre pilé. On attend les Gilbert qui faisait l’automate vivant. On attend les nombreux mimes, fantaisistes et musiciens pour faire vivre la culture populaire.
http://www.dailymotion.com/video/xb0m59_john-guez-a-beaubourg-dans-les-mise_webcam
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/04/01/1626961.html
Aujourd’hui, on nous somme d’admirer la prouesse architecturale, le plafond de verre du forum d’entrée. On est prié de ne pas faire de bruit et de s’essuyer les pieds avant d’admirer les derniers barbouilleurs à la mode. Il y a peu de chances pour qu’il y ait autour de ce centre culturel lorrain autre chose que des marchands de souvenirs, des sandwicheries et kebab et quelques cafés bobos.
La gauche avait gagné par la culture. En contestant la culture officielle et la culture bourgeoise, les artistes avaient gravé dans les esprits qu’une autre société était possible. Comme tout le monde était d’accord sur l’hideur du Centre Beaubourg, on pouvait se consacrer à son contenu, célébrer les nouvelles tendances de l’art à l’intérieur et contester la société à l’extérieur. Tout simplement, les saltimbanques offraient une alternative au divertissement télévisuel officiel.
Malgré les apparences, c’est la culture qui installe
durablement un pouvoir. Après avoir fait la Révolution
En mettant la culture à la portée de tous, la révolution bolchévique a fait accepter bien des sacrifices à un peuple bridé et surveillé.
Dans les années d’après-guerre, la gauche est parvenue au pouvoir en étant soutenue par les plus grands artistes internationaux, les plus grands écrivains et les plus grands savants. François Mitterrand a été élu au moment où triomphait le café-théâtre qui faisait rire des travers de la société de consommation.
Ceux qui s’inscrivaient dans ce mouvement nourrissaient des
arrière-pensées vaguement révolutionnaires qui se sont largement exprimées en
Mai 68. Pas de danger de voir les jeunes générations seulement penser à une
quelconque révolte sinon pour déplorer de n’avoir pas tous accès à la société
de consommation. Les jeunes générations qui se passionnent pour les
compétitions de chanteurs débutants ne veulent surtout pas d’une société où ils
ne pourraient pas se distinguer en portant les dernières chaussures de sport à
la mode et en arborant le dernier cri des téléphones mobiles. Pourtant, les
générations qui ont porté la gauche au pouvoir en 1981 et en 1997 n’ont pu
empêcher sa disparition en 2002. Ce n’était qu’un début. L’élection de M.
Sarkozy correspond à la disparition de la culture au profit de la frime, du
clinquant. Le Président actuel ne kiffe que sur ceux qui gagnent beaucoup
d’argent : Bigart, Bruni, Bolloré, Halliday. L’inculture est la meilleure protection de la société libéraliste
inégalitaire.
Tout comme les riches marchands offraient de la pacotille aux tribus africaines côtières pour leur fournir des esclaves revendus à prix d’or en Amérique (le fameux commerce triangulaire), le pouvoir marchand actuel offre l’illusion aux jeunes de pouvoir se montrer à la télévision ou, à défaut, de se faire remarquer autour de chez eux en exhibant les signes que l’argent roi leur a permis d’acquérir. En échange d’un peu de bien-avoir –par opposition au bien-être –on espère qu’ils seront assez serviles pour ne pas chercher à renverser la société.
Pour le moment, ça marche. Pourtant, ici et là, des indices montrent qu’une certaine contestation couve. Elle est encore très éparpillée, très sporadique et manque d’une quelconque coordination pour converger vers un but. C’est ce qui la rend presque imperceptible. Si l’on excepte les rares tentatives de luttes sociales qui cherchent davantage la défense d’une protection mutuelle acquise, autrefois, de haute lutte, on peut trouver quelques contestations. D’abord, une forme organisée qui essaie de s’affranchir de toute démarche marchande. Ce sont tous les services rendus en échanges d’un autre : les fameux SEL pour Services d’Echanges Locaux
http://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_d%27%C3%A9change_local
Pour d’autres, ce sont les AMAP (Associations pour le Maintien d’un Agriculture de Proximité) nées au Japon afin de maintenir les traditions culinaires ancestrales. Ça n’a l’air de rien mais ça séduit de plus en plus de monde et plus seulement des personnes conscientes ou des bobos.
Ce qui nous parait intéressant car échappant à tout mouvement formalisé et ne poursuivant aucun but, ce sont toutes ces actions inorganisées qui se développent un peu partout. Le dernier avatar, ce sont, bien entendu, les apéro géants. Comment en vouloir aux jeunes d’utiliser les outils qu’on leur a mis en mains et de s’en servir à leur guise ?
Voilà une société qui encourage l’utilisation de l’informatique dans tous les domaines. Cette informatique capte l’attention de dizaines de millions de jeunes plusieurs heures chaque jour. Ils jouent, s’informent, communiquent, travaillent avec. Cette même informatique permet d’alléger le travail de millions d’employés qui, par ailleurs, se retrouvent au chômage parce qu’on n’a pas compris qu’il s’agit d’un changement fondamental. Il ne manquerait plus que ces jeunes s’en servent comme on leur demande et n’aient pas idée de se l’approprier dans leur intérêt ! On a créé Face-Book qui permet de tout savoir sur tout le monde instantanément. Face-Book est couplé avec des espions qui s’intéressent à nos goûts pour cibler les publicités. Et l’on voudrait que les utilisateurs se laissent faire et ne s’en servent que pour mieux renseigner les annonceurs qui veulent leur piquer leur pognon ?
Spontanément, les djeun’s s’en servent à leur guise et se donnent rendez-vous. Pourquoi faire ? Pour picoler, s’adonner à la beuverie, fumer plus que de raison.
Dans un pays qui fait la promotion du vin, où l’on plante et replante partout des vignes,
où un récent président de la République
On s’offusque qu’il n’y ait pas d’organisateur, donc pas d’autorisation demandée. Faut-il s’en étonner quand, partout, on prône la dérégulation des marchés. Partout, on nous dit qu’il faut supprimer les règles commerciales et que tout ira mieux, que ça créera des emplois. Dans le même temps, les citoyens sont de plus en plus encadrés, réglementés. Un exemple parmi tant d’autres ? L’incinération des défunts laissait toute latitude aux proches du défunt qui choisissaient d’éparpiller les cendres des êtres aimés dans un endroit symbolique, généralement là où ils avaient aimé être. Au pire, on honorait une urne. Maintenant, c’est réglementé : il faut éparpiller les cendres dans un « jardin du souvenir », pelouse aménagée dans un cimetière.
Pour jouer dans les rues –comme les saltimbanques de Beaubourg autrefois –il faut des autorisations qui sont, généralement, refusées. Justement, les jeunes ne veulent pas demander d’autorisation ; et à qui d’abord ? Ils n’ont pas le droit ? Ils prennent le gauche ! Ils veulent se retrouver tous ensemble. Pour quoi faire ? Ah, c’est sûr que, puisqu’on a tout fait pour qu’ils n’aient pas de culture, ils ne vont pas se rassembler pour refaire le monde. Alors, ils se bourrent la gueule. Il faut savoir ce qu’on veut ! On dit : oui mais, regardez, il y a eu un mort ! Et après ? Combien de morts sur les routes dans les nuits de samedi à dimanche à cause de trop fortes consommations d’alcool en boites de nuit ? Seulement là, ça rapporte ! Les boites de nuit paient des impôts, embauchent des vigiles ! Où sont les forces de l’ordre pendant les nuits de samedi à dimanche ? surement pas sur les routes. Pitié, pas d’hypocrisie !
Reste que ces mouvements de défiance vis-à-vis de la société marquent surtout un profond malaise. Comme quoi, le bien-avoir n’a toujours pas procuré le bien-être. Pour le moment, chacun est mal à l’aise dans son coin. Tout au plus, on boit, on fume, on écoute de la techno à plusieurs. Que le pouvoir libéraliste s’estime heureux qu’on se bourre la gueule plutôt que de faire la révolution. Faire un apéro géant devant ce nouveau Centre Pompidou de Metz serait un pied de nez magnifique.
Pour en savoir plus
sur les saltimbanques de Beaubourg :
http://www.saltimbanque.de/f/Recherche%20sur%20les%20Saltimbanques..htm
http://jeanpierrejeannin.spaces.live.com/blog/cns!C4B692248CEBDE4D!6386.entry
à noter que je dis
« Beaubourg » comme tous ceux qui fréquentaient ce lieu depuis le
jour de son ouverture au public en 1977 (les escaliers mécaniques sont tombés
en panne le premier jour). Ce sont les provinciaux et les étrangers qui,
ignorant l’histoire du lieu, ont contribué à imposer « Pompidou »
pour désigner le Centre Beaubourg et sa Bibliothèque Publique d’Information qui
donne accès à la culture à tant de personnes encore aujourd’hui.