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la lanterne de diogène
18 juin 2010

Le temps de l'Eurovision

On parle beaucoup du foot-business, de ce football professionnel qui brasse des millions quand, tout autour, on tire le diable par la queue. On a quasiment tout dit : les salaires indécents des vedettes (les autres gagnent moyennement leur courte vie de sportifs de haut niveau), les montants des transferts, les budgets faramineux des clubs. Depuis quelques années, on évoque aussi les droits payés par les chaînes de radio, de télévision et des journaux pour diffuser les événements sportifs.

 

Sans remonter au poste à galène, j’ai quelques souvenirs de matches vus dans les bistrots, puis à la maison. Lorsque c’étaient des parties internationales, jouées sur le sol européen, il y avait un temps entre le moment où les animateurs sur le plateau s’éclipsaient et le début de la retransmission avec les reporteurs sur place. Pendant ce court laps de temps, on voyait le logo d’une chaine de télévision entouré de faisceaux au son d’une musique qui devenait familière et nous mettait tous en joie, avant même que ça commence. On était dans l’ambiance. On se demandait régulièrement de qui était cette musique d’orchestre philarmonique. C’était le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier mais, pour tous, c’était l’indicatif de l’Eurovision.

 

1954_Sigle_Eurovision_RTFPartout en Europe, on entendait la même musique, on se sentait semblables, on était tous européens. Il n’y avait que six pays membres du Marché Commun comme on appelait familièrement

la CEE. En

revanche, il y avait beaucoup plus de membres de l’Eurovision. Les chaines de télévision publiques et privées s’étaient entendues pour fournir aux téléspectateurs européens les images qui les intéressaient sans obliger des équipes de télévision à faire le déplacement. Sur place, la société de télévision assurait. C’était impressionnant, quand on voyageait, d’entendre le même indicatif et de se dire que, dans son pays, les amis restés regardaient et entendaient au même moment la musique de Charpentier. Pourtant, il y avait une exception. Quand les rencontres se passaient en Urss ou dans un des pays inféodés, on avait droit aux images d’Intervision, sans l’indicatif habituel. Ça permettait de mesurer, bien plus que tous les discours, qu’il existait une autre Europe, là-bas, pas vraiment comme ici. Pourtant, sur le terrain et dans les gradins, les femmes et les hommes étaient comme partout. Ce constant semblait encore plus douloureux.

 

Et puis, au fil des ans,

la CEE

a compté neuf puis dix puis douze pays membres. A partir de quinze, on a n’a plus vu l’indicatif de l’Eurovision. L’Union Européenne avait pris le relais et tout est devenu payant. Les chaînes de télévision se sont multipliées ; toutes privées. La nouvelle Union Européenne a favorisé la concurrence. Celui qui paie le plus a droit, non seulement d’obtenir la retransmission des événements sportifs et autres mais en plus le droit de priver tous les autres d’en voir les images. Le droit à l’information est sacrifié sur l’autel de « la concurrence libre et non-faussée ». D’ailleurs, désormais, sur un stade, c’est un prestataire privé, lié à l’utilisateur du stade, à la fédération sportive coorganisatrice qui place les caméras et qui vend aux plus offrants les images tournées. Ceux qui ne paient pas peuvent aller se faire cuire un œuf. Ce n’est pas tout. Même pour voir les images il faut payer. Ainsi, pour regarder un match dans un bistrot, avec les copains, il faut que le bistrotier paie sinon il peut se trouver à l’amende. Ce n’est pas fini. Sur les images tout est acheté. Les marques qui font de la publicité du côté vu par les caméras doivent payer plus cher. Chaque appareil utilisé affiche sa marque en gros (comme l’ardoise électronique brandie par l’arbitre avant les prolongations). Sur chaque image répétée,

la FIFA

appose son sigle : le Mondial lui appartient. C’est n’est pas

la Coupe

du monde du football mais

la Coupe

du monde de

la FIFA.

On

ne peut pas interroger un joueur en dehors d’un fond d’écran sur lequel figure les marques qui parrainent l’événement.  

 

L’Europe du Traité de Lisbonne, c’est l’Europe où tout se paie. C’est l’Europe où les médias doivent payer pour informer. C’est l’Europe où il faut payer pour regarder la télévision dans un bistrot en mangeant une salade ou une pizza, où il faut payer pour inviter ses voisins à regarder un match à la maison. Le message est clair : à l’heure de la mondialisation libéraliste, il n’est plus question de rendre service, plus question d’informer gratuitement, plus question de proposer d’aller voir ensemble un match au café du village ou du quartier quand on ne peut pas se payer le déplacement à l’autre bout du monde. La libre entreprise, oui mais à condition que les petites entreprises –comme les débits de boisson –paient les plus grosses.

 

Aujourd’hui, l’Eurovision évoque un concours de chansons commerciales ridicule.

http://www.marianne2.fr/L-eurovision-ou-le-retour-de-l-union-sovietique_a87674.html

 

On ne peut s’empêcher de déplorer le gâchis en voyant que l’immense espoir a été étouffé. Les peuples, qui pouvaient encore voir, ici ou là, les dernières traces des guerres mais qui en avaient marre, se réjouissaient de partager ensemble. Au lieu de ça, on leur a dit : on ne partage pas, il faut payer !

L’Eurovision, c’était l’amitié entre tous les peuples européens autour d’un nouveau média qui était la télévision. L’Eurovision, c’était l’Europe que voulaient ses peuples, c’était une identité européenne. L’Eurovision, c’était l’Europe unie avant l’heure : tous les Européens qui regardaient la même chose en même temps.

1954_Panneau_Eurovision

Pour le plaisir :

http://www.youtube.com/watch?v=swIrLkyhnbE&feature=related

 

en fait, ça ne durait qu’une trentaine de secondes. Cette vidéo permet de voir les logos des anciennes chaînes européennes.

http://www.youtube.com/watch?v=peMpZvTvBIc&feature=related

 

http://www.youtube.com/watch?v=i5LFB2p27S0&feature=related

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