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la lanterne de diogène
14 septembre 2010

Drôles de fêtes

Cela a sans doute échappé à beaucoup mais nous sommes en période de fêtes. En effet, les juifs viennent de célébrer leur nouvelle année et s’apprêtent pour le Grand Pardon, principale fête israélite. Coïncidence, le ramadan, étape importante, pour un musulman vient de se terminer par la fête de l’Aïd el-Fitr. Les juifs, peu nombreux, ont l’habitude de la discrétion. Tout juste si, au travail, à l’école, on remarque qu’il manque quelqu’un. Les musulmans sont de plus en plus nombreux et d’affichent leurs pratiques ne serait-ce qu’en ramenant à la maison force gâteaux dégoulinant de miel. Donc, on parle un peu du mois jeûne relatif mais, finalement, pas tant que ça. Chaque fois, il s’en trouve pour estimer qu’on en fait trop pour une communauté estimée à cinq millions de fidèles en France. Ce à quoi des musulmans répondent qu’ils doivent supporter qu’on parle de Noël deux mois à l’avance. Ils n’ont pas tort mais il convient de remarquer que ces deux mois ne sont pas consacrés à une pratique religieuse mais sont détournés dans un but purement commercial régulièrement dénoncé par les autorités chrétiennes qui ont bien du mal à recadrer leurs propres fidèles emportés par le mouvement.

 

Cette année pourrait être une occasion de se retrouver tous ensemble puisque les uns et les autres ont, dans leurs coutumes la possibilité de faire venir à leurs tables des invités étrangers à leurs pratiques. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois puisque souvent les pâques juive et chrétiennes (pluriel en raison des différences de calendrier selon les Eglises) coïncident et, selon les années, une fête musulmane tombe à cette période. Finalement, on se rendrait compte qu’il existe des points communs entre tous.

 

Cette année, on en parle un peu plus parce que la fin du carême musulman a précède le 11 septembre, date anniversaire de l’attentat aérien contre les tours jumelles de New York. Un pasteur local a décidé de brûler des Corans pour protester contre la construction d’une mosquée à proximité du lieu de la catastrophe. Ce qui est proprement incroyable, c’est que le monde entier ait été au courant de cette initiative aussi bête que criminelle. Le respect de l’autre impose de ne pas approuver les actes qui peuvent le choquer même quand on y est indifférent. C’est cela vivre ensemble. On peut aussi remarquer que des excités de tout poil brûlent régulièrement des drapeaux nationaux chaque fois que quelque chose les défrise. Au passage, il est intéressant de noter que l’émotion est plus forte chaque fois qu’on s’en prend aux instruments de conviction religieuse.

 

Comment en est-on arrivé là ? Comment a-t-on pu en arriver là ?

D’abord, il convient de rappeler que, contrairement à la plupart des autres religions organisées, le protestantisme fonctionne sans tutelle. Tout au plus, une Eglise va-t-elle se doter d’un porte-parole. En revanche, les fidèles seront attentifs aux travaux des théologiens. On établit une relation directe avec Dieu, sans intermédiaire. Il est intéressant de noter des répliques, en apparence anodines pour nous, dans les films étatsuniens pour s’en convaincre. Il n’est pas rare d’entendre : tu es responsable ! Ça signifie que tu auras des comptes à rendre à Dieu. Chacun est autonome et chaque église est autonome. Tout au plus, quelques règles simples sont établies et le comportement et les pratiques en découlent. La Constitution ultra simple des Etats-Unis, avec ses amendements, est emblématique de ce principe. C’est difficile à comprendre quand on a été éduqué dans le respect d’une hierarchie.

 

Dans ces conditions, une des nombreuses branches de la Réforme, encore ramifiée depuis son installation en Amérique, peut édicter ses propres règles. Parmi toute la myriade d’Eglises protestantes du nouveau continent, il s’en trouve dont les pratiques nous surprennent ou nous font sourire. Cela va d’une tenue vestimentaire peu pratique et totalement inadaptée au monde actuel jusqu’à des pratiques non-violentes et de partage. Cela va de ceux qui interdisent le port de bretelles jusqu’aux quakers de « La Case de l’Oncle Tom ». En fait, chaque lieu de culte est plus ou moins autonome et se choisit son pasteur. L’un d’eux a eu l’idée démentielle de pratiquer un autodafé de Corans. Fallait-il en parler et convoquer les caméras de télévision du monde entier ? Faut-il faire de la publicité autour de toutes les lubies ? Faut-il évoquer tous les blasphémateurs, nombreux à s’exprimer contre telle ou telle autre religion dans ce pays de grande tolérance ? Certainement pas et ça ne tolère aucune exception et il n’y a aucun débat envisageable. Dans cette affaire, on a fait preuve, au mieux d’une incroyable légèreté et les mois qui suivent nous diront si l’on peut s’arrêter là.

Imaginons que personne n’en ait parlé. Dans le cas improbable d’un passage à l’acte, au plus des voisins bienveillants auraient prévenu les pompiers et tout ce serait terminé par un entrefilet dans la presse locale.

 

En d’autres termes, la responsabilité des journalistes est, une fois de plus entière et totalement engagée. Le communiqué de presse aurait dû finir dans un tiroir comme la grande majorité d’entre eux. Tout au plus, les journaux satiriques auraient pu publier un entrefilet comme chaque fois qu’un illuminé se donne des allures de matamore. Dans ce cas, on a, au contraire, monté en épingle cette initiative. Ceux qui l’ont fait savaient qu’ils allaient provoquer la colère de tous les musulmans. Ils savaient aussi que, dans le contexte de tension internationale que nous connaissons, cette colère serait exacerbée, amplifiée. Ils savaient que des dirigeants politiques et religieux allaient s’emparer de la chose et trouver là un moyen de rassembler davantage et de radicaliser un peu plus leur discours.

Ils savaient tout cela et, sciemment, ont choisi propager l’information qui, avec les moyens actuels fait le tour de la planète en quelques minutes. Combien de braves gens se sont-ils trouvés exaspérés et ont-ils pensé que, cette fois, une goutte d’eau a fait déborder le vase de leur tolérance ? Ce faisant, on a libéré des forces qu’on ne pourra plus jamais arrêter ni même canaliser. Le droit à l’information n’est pas le droit à propager n’importe quoi. Tous, autant que nous sommes, savons des choses qu’il vaut mieux garder pour soi dans l’intérêt de tous. Doit-on, au nom de la transparence, d’une apparence d’objectivité, tout dire à tout le monde sans penser que tout le monde n’est pas en état de recevoir n’importe quelle nouvelle ?

 

La dissimulation d’informations est condamnable quand elle profite au dissimulateur, pas quand elle profite à autrui.

 

À moins que ce ne soit beaucoup plus prosaïque que cela et qu’on ait simplement cherché à faire parler de soi avant les autres en vue de remporter quelque marché sur le dos d’un dément et des victimes potentielles de sa folie incendiaire.

Sans le moindre complexe, sans la moindre remise en question, les journalistes qualifient maintenant de « ridicule » le pasteur et suggèrent qu’il s’est dégonflé. Peut-on se moquer d’un dément ? Ne doit-on pas, au contraire, blâmer ceux qui lui ont assuré une renommée mondiale. De plus, cette histoire a été montée de telle façon qu’on a l’impression qu’une majorité d’Etatsuniens approuve cette initiative.

 

Dans tous le cas, cette affaire est caractéristique d’un monde qui recherche les sensations à tout prix, fût-ce celui du meurtre. Le monde globalisé est une réalité à laquelle, précisément, aucune grande religion n’est parvenue. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que ça nous a rapporté beaucoup de bienfaits. On assiste, au contraire, à une uniformisation mondiale. Uniformisation des vêtements, des musiques, uniformisation de la nourriture, uniformisation des appareils que nous utilisons. Maintenant, on assiste à une uniformisation des pensées et surtout des sensations, plus spontanées que les pensées. On voit comment une initiative individuelle, réprouvée par tous, peut déclencher un séisme tout autour du monde. Et là, nous avons aussi notre part de responsabilité. Au quotidien, nous devons refuser ce type d’information, refuser de trouver dans les salles d’attente des coiffeurs toute cette presse de caniveau qui encourage la publication de nouvelles de plus en plus glauques et qui, à l’autre extrémité, encourage la divulgation d’informations qui vont provoquer des réponses violentes, elles-mêmes assurant une chaine de réactions qui fera vendre du papier et de l’espace publicitaire. Nous devons refuser d’entrer dans ce système.

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