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la lanterne de diogène
23 novembre 2011

Encore Jussieu et au-delà

D’abord, je me dois de réparer une injustice et de recommander le blog

 

http://leblogquatre.canalblog.com/

 

plein d’humour et qui aborde, mine de rien, des sujets importants. C’est du grand art que de glisser des propos d’un grand intérêt dans un sujet en apparence superficiel.

 

Ensuite, je réponds sur Jussieu.

 

Je me doutais qu’il n’était pas aussi facile de dynamiter les bâtiments ou d’envoyer les bouteurs (bulldozers en français) à cause de l’amiante, précisément. De là à les restaurer, les mettre aux normes et comprendre que ces travaux ne seront jamais fini, il y a un pas. Ensuite, on craint de comprendre qu’on ne pourra jamais évacuer cet abcès du centre de la capitale.

 

J’apprends avec effroi que l’ensemble a été classé. Avec effroi mais sans étonnement. Quand on pense à la lutte acharnée, solitaire parfois, à fonds perdus souvent, de petites associations voire d’individus pour faire classer une maison remarquable, une chapelle, un lavoir en pierre de taille. Quand on pense que ce combat s’étale sur des décennies, que les initiateurs sont morts (mais pas l’administration des Beaux-Arts), que d’autres reprennent le combat pour sauvegarder un élément du patrimoine de tous et qu’on voit d’autres horreurs classées avec célérité, on se dit que le monde tourne mal et l’on s’étonne moins d’anomalies encore plus graves. Ne parlons pas des décisions prises par M. Jack Lang qui a fait classer, systématiquement, tous les établissements où il a bu un coup. Avec lui, c’étaient les restaurants branchés du fait de sa seule présence qui ont bénéficié de ces protections.

 

Car enfin, quel est l’intérêt architectural de Jussieu ? Il y a quantité d’immeubles de ce genre dans Paris et ailleurs qui témoignent de cette funeste parenthèse architecturale. J’ai appris, par ailleurs, que le directeur de l’hôpital psychiatrique (ça doit plus s’appeler comme ça : on a dû trouver un euphémisme extraordinaire) de Sainte-Anne à Paris a voulu faire démolir les murs pour donner l’image d’une psychiatrie ouverte et éviter aux patients de se sentir enfermés dans cet ancien asile de fous (on disait déjà « aliénés »). On lui a répondu que les murs étaient classés. Toujours dans la psychiatrie, je connais un autre établissement, aujourd’hui fermé et réhabilité à usage d’habitation de luxe. J’avais posé la question de savoir si on allait démolir les murs pour permettre aux passants de voir les arbres exceptionnels du parc dont un séquoia et des cèdres centenaires. Même réponse. L’ensemble est entouré de hauts murs et l’on s’étonne qu’on ne se précipite pas pour aller y habiter malgré un certain avantage en termes de sécurité pour les particuliers. Il y est vrai que, dans cette ville, il n’y a pas trop de problèmes de sécurité. On marche sur la tête avec ces histoires de classement.

 

Pour ma part, j’ai eu la chance de n’avoir jamais à entrer dans les bâtiments de Jussieu à part la tour centrale réservée alors à l’administration. Tout est froid, là-dedans. Même en été, les hauts bâtiments font de l’ombre et, de toute façon, l’environnement est si triste qu’on s’y sent mal. On a l’impression que, justement, tout est fait pour qu’on habitue la jeunesse à la laideur et à la tristesse de la vie.

 

Concernant le propos de M. Chirac. Je ne me le rappelais plus mais il complète son comportement vis-à-vis des étudiants et qui caractérise la hantise de la droite, traumatisée après 1968. Jussieu représente une forteresse inexpugnable en cas de révolte ; pourtant très improbable. Il faudrait plusieurs escadrons pour déloger des insurgés là-dedans.

 

Je rappellerai juste que, malgré la rivalité –pour ne pas dire plus –entre MM. Chirac et Giscard d’Estaing, les deux compères s’étaient alliés dans le démantèlement du campus de Vincennes. A peine ordonnée sa fermeture par l’administration et son déménagement à Saint-Denis avec la bénédiction du PCF, que la Mairie de Paris a envoyé, dès le lendemain à l’aube, les engins pour démolir les bâtiments afin d’empêcher tout retour dans le cas où les cours ne pourraient pas se tenir dans les locaux insuffisants de Saint-Denis. Tout au long des années 1970, la droite a cherché à éloigner les étudiants de Paris et ça s’est concrétisé dans les années 1980, sous la gauche, pourtant.

Plus loin

 

D’une manière générale, quiconque a quelque peu voyagé sait que le prestige de la France à l’étranger demeure grand. On évoque les progrès instauré ici, il y a deux siècles et qui ont inspiré quantité de pays dont la plupart (pour ne pas dire la totalité) des ceux du continent américain, du nord au sud. Encore partout, la France bénéficie de cette image flatteuse et apparait comme un Eldorado qui attire quantité de personnes qui veulent y étudier ou y vivre.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/11/05/19521460.html

 

Tout le monde a entendu parler du Quartier Latin (et de la rue Saint-Denis aussi, hélas). Or, le Quartier Latin est devenu une coquille vide, un désert vendu aux marchands de chiffons. Il n’y a plus de librairie digne de ce nom, que des soldeurs dont un très bon (Boulinier), plus de café sympa mais une enfilade de restaurants grecs et de kebabs (parfois les deux à la fois). La place devant la Sorbonne est déserte même au Printemps. On ne se bécote plus autour des vieilles facultés. D’ailleurs, où aller pour se bécoter ? Quelques cinémas résistent mais attirent surtout une clientèle de bobos venus d’autres quartiers où les loyers sont plus accessibles. On aurait du mal à trouver un cinéma comme le Studio Saint-Séverin qui programmait « La Dernière tombe à Dimbasa » qui a bouleversé une génération de lycéens et d’étudiants et décidé de leur engagement contre l’apartheid en Afrique du Sud. Beaucoup ont appris à parler de l’Azanie plutôt qu’employer un terme issu de la colonisation anglaise. Plus loin, vers Saint-Germain-des-Prés, les restaurants sont plus chics et attirent les bobos et la classe un peu au-dessus qui espèrent apercevoir un écrivain à la mode en chemise ou non. Ces lieux, où la mixité sociale n’est pas de mise, ne renforce certes pas le prestige culturel et politique de la France. En revanche, ils reflètent bien ce qu’est devenu ce pays : des zones bien proprettes, où l’on consomme si l’on a de bons revenus. Y déambulent des personnes vêtues d’habits chers devant les cinémas programmant des films en VO, les boutiques de téléphone mobile, de fringues et les mendiants assis en tailleurs ou à genoux et tenant un écriteau à la main, On assiste à une sorte de gentrification culturelle et sociale. On chercherait en vain une poissonnerie ou pire encore une triperie. Les boulangeries vendent de tout (pain spéciaux, pains tradition, pain de campagne, pain au sésame, au son, au maïs, aux germes de blé, aux lardons, aux olives etc.) sauf des baguettes. Le public qui s’est précipité en masse dans le pavillon de la France à l’exposition universelle de Changaï, voulait rendre hommage à cette France, voulait voir ce qu’elle a encore à proposer pour faire rêver le monde entier. Las, la classe politique française d’aujourd’hui lorgne, au contraire, vers la Chine et son bagne à ciel ouvert. C’est ce modèle qui fait rêver notre classe dirigeante : un pays où le problème du logement est résolu grâce aux dortoirs où s’entassent les prolétaires qui se nourrissent d’un bol de riz ou d’un coup pied au cul s’ils font mine de râler. Les Chinois ne sont pas dupes. Ils acceptent (de moins en moins d’ailleurs) ces conditions en se disant que leur sacrifice n’est pas inutile et que, leurs conditions de vie s’améliorent tant bien que mal. Or, ici, on ne veut pas qu’elles s’améliorent. Au contraire, car si elles s’améliorent, les prix des produits chinois, qui sont de bien meilleure qualité aujourd’hui, vont augmenter et les profits des importateurs vont diminuer. Déjà, on lorgne vers plus bas que la Chine.

 

Pendant ce temps, les clients sortent des restaurants de Saint-Germain-des-Prés. En passant leurs manteaux, ils échangent un propos en apercevant le mendiant assis par terre : « il y en a de plus en plus ».  Justement, comme il y en a de trop, on passe son chemin et l’on arrête un taxi. Si l’on devait donner à tous, on n’en sortirait plus. Voilà ce qu’est devenue la générosité de la France et des Français. Cette générosité s’apprenait dans ce Quartier Latin où l’on ne parle plus latin mais le langage des textos, comme ailleurs. On n’étudie plus : on est formé. Le vent de la révolte ne passe plus dans les ruelles qui ont porté les pas des plus grands penseurs et écrivains, des plus grands poètes et autres artistes tout comme le Gulf Stream appelé à disparaitre sous l’effet du changement climatique.

 

 

Léo Ferré
SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS
http://www.ina.fr/divertissement/chansons/video/I04100834/leo-ferre-a-saint-germain-des-pres.fr.html



J'habite à Saint-Germain-des-Prés
Et chaque soir j'ai rendez-vous
Avec Verlaine.
Ce vieux Pierrot n'a pas changé
Et pour courir le guilledou
Près de la Seine
Souvent on est flanqué
D'Apollinaire
Qui s'en vient musarder
Chez nos misères.
C'est bête,
On voulait s'amuser,
Mais c'est raté :
On était trop fauchés.

Regardez-les tous ces voyous
Tous ces poètes de deux sous
Et leur teint blême
Regardez-les tous ces fauchés
Qui font semblant de ne jamais
Finir la semaine
Ils sont riches à crever,
D'ailleurs ils crèvent.
Tous ces rimeurs fauchés
Font bien des rêves.
Quand même,
Ils parlent le latin
Et n'ont plus faim
A Saint-Germain-des-Prés.

Vous qui passez rue de l'Abbaye,
Rue Saint-Benoît, rue Visconti,
Près de la Seine
Regardez le monsieur qui sourit
C'est Jean Racine ou Valéry

Peut-être Verlaine
Alors vous comprendrez
Gens de passage
Pourquoi ces grands fauchés
Font du tapage
C'est bête,
Il fallait y penser,
Saluons-les
A Saint-Germain-des-Prés.

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Commentaires
C
Tout à fait d'accord avec la fin du commentaire. D'un côté on agite le chiffon de l'éducation comme valeur universelle de la civilisation, et d'un autre côté on ne fait rien pour que le peuple, l'électeur je dirais même, soit en mesure d'améliorer sa capacité de jugement.
Répondre
A
Décidément, je ne pensais pas que cette histoire de Jussieu vaudrait un tel échange mais qui n’intéresse pas grand monde dans la blogosphère. C’est vrai, j’avais oublié les douves tout autour. Ça contribue aussi à renforcer l’aspect sinistre du lieu. <br /> <br /> Surtout, je voudrais rebondir sur une phrase que j’ai écrite : <br /> « On a l’impression que, justement, tout est fait pour qu’on habitue la jeunesse à la laideur et à la tristesse de la vie. »<br /> <br /> Dans l’émission « L’humeur vagabonde » de K. Evin sur Inter, j’ai entendu très récemment quelqu’un, Mathieu Lindon ou Michel Foucault dire que tout est fait pour que l’enseignement soit rébarbatif au lieu de présenter les connaissances comme un plaisir. Si c’était le cas, on se précipiterait pour acquérir du savoir. Il faudrait ouvrir grand les portes des facultés. L’intellectuel suggérait que, quelque part, on n’y a pas intérêt. Quel dommage. On voit le résultat de ce choix tous les jours et l’échec scolaire n’en est que la partie immergée de l’iceberg.
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C
Tout d'abord beaucoup merci pour le début de l'article. Recevoir un tel compliment de quelqu'un d'aussi intéressant à lire, ça fait très plaisir à mon ego.<br /> <br /> Sinon je voulais ajouter une précision quant au caractère de forteresse de Jussieu. C'est en effet le cas lors des mouvements estudiantins. J'ai le souvenir de la lutte contre le CPE qui a duré de longues semaines. Il suffisait aux meneurs du mouvements de contrôler deux petites entrées pour fermer totalement le campus, empêchant ainsi aux étudiants désireux de suivre les cours, mais aussi au personnel, de rentrer dans l'établissement. Un amas de chaises et de tables se trouvaient derrière la grille principale. De plus la configuration des lieux offre une sorte de douve sur toute la longueur d'un côté du batiment. Oui le campus de Jussieu est une sorte de chateau fort, très facilement prenable par les étudiants en cas de crise.<br /> <br /> Pourtant à croire que l'Histoire ne sert à rien, car 1968 était encore tout frais dans les esprits, le Quartier Latin était le coeur des évenements, et pourtant, il semble qu'on a tout fait pour que cet endroit puisse à nouveau servir de bastion de l'agitation.
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