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la lanterne de diogène
16 mars 2012

Instrumentalisation et démocratie

Depuis quelques semaines, les journalistes battent la campagne pour convaincre l'opinion que la loi qui oblige une stricte égalité du temps de parole entre les candidats à la Présidence est inique. On les comprend. Cela fait des mois qu'ils ont décidé qu'il n'y a que deux candidats importants et que les autres ne sont que des figurants dont la seule fonction est de faire pencher la balance vers l'un ou l'autre selon leurs consignes de vote pour le second tour.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/02/11/23493367.html

 

Pas un jour ne passe sans que l'un ou l'autre n'ironise sur les règles du CSA, trop contraignantes à leur goût. En effet, c'est la caractéristique essentielle d'une règle ou d'une loi : elle est contraignante ! Sinon, on peut penser qu'elle n'aurait pas lieu d'être et que tout le monde serait assez raisonnable pour s'en passer. L'humain est faillible, c'est pour cela qu'il a fallu légiférer tant on connait ses faiblesses.

 

Depuis le début de la semaine, soit moins de 40 jours avant l'élection, les journalistes font état d'une angoisse des deux candidats (car pour eux il n'y en a pas d'autres) à l'idée d'être traités à égalité avec les faire-valoir. Ils évoquent une course pour occuper les médias à tout prix avant qu'il ne soit trop tard, c'est à dire la semaine prochaine où l'on devra ronger son frein en supportant les autres « pitres ».

 

Déjà, nous avons observé – et ce n'est pas nouveau – que les médias, les journalistes, orientent sciemment l'opinion publique. Ceux qui argumentent, qui expliquent, ne les intéressent pas. Ceux qui balancent des formules simplistes, radicales, clivantes sont autrement plus rentables. Ceux qui tiennent des propos outranciers garantissent le suivi et organisent un véritable feuilleton propre à captiver le public et donc l'audience ou la vente. Pour eux, l'émergence, deux ans plus tard, d'un obscur candidat d'extrême-droite, qui n'avait même pas réuni 500 signatures d'élus en 1981 était du pain béni. On sait où cela nous a mené en 2002.

 

Y a-t-il eu une réflexion menée à ce moment-là ? Bien sûr et même plusieurs, sauf qu'elles n'ont eu aucun impact et surtout aucune conséquence. Ils rejouent, à chaque fois, le sketch de Timisoara où ils s'étaient repentis d'avoir accordé foi à une manipulation d'images et de nombre de morts. Sitôt qu'une occasion se présente, ils retombent dans le même travers. En politique, c'est plus difficile à faire admettre car aussitôt, les boucliers sont levés et, bien à l'abri, ils crient à la censure et aux atteintes à la liberté de la presse. Et puis, c'est le public qui veut ça, n'est-ce pas ? Il en redemande le public ! Et comme on ne lui donne rien d'autre, le public n'a que le choix entre le pire et le moins pire.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/12/29/23024247.html

 

Ces jours-ci, donc, les journalistes font pression sur le CSA pour qu'il modifie ses règles de temps de parole. Ils prennent le public à témoin. Ainsi, l'ineffable Pascale Clark recevant un acteur (Yvan Attal le 13 mars 2012) lui demande pour qui il va voter. Sans comprendre pourquoi elle lui pose la question, il répond, sincèrement, mord à l’hameçon. Aussitôt, elle hausse le ton, triomphe, jubile et l'avertit que, désormais, tout ce qu'il va dire sera décompté sur le temps de parole de M. Hollande. Incompréhension de l'invité et de la plupart des auditeurs, sans aucun doute. C'était là un grand moment d'instrumentalisation : l'invité venu vendre sa salade et se trouvant au centre d'un enjeu médiatico-politique et les auditeurs, naturellement, rétifs aux règlements encaissent. Les journalistes, eux, savent ce qu'ils veulent. Coûte que coûte, il faut que les règles soient modifiées à la dernière minute et qu'ils puissent ignorer les autres candidats pour se consacrer à ceux qu'ils ont désignés.

Déréguler ! Il n'y a plus que ça qui compte : déréguler !

La dérégulation sauvera l'humanité et d'abord la France.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/06/23688489.html

 

Pourtant, si les règles du CSA sont strictes et parfois absurdes (qu'on songe que lorsque l'animateur de radio Philippe Meyer anime son émission, c'est considéré comme du temps de parole favorable au MoDem parce qu'il a figuré sur une liste teintée de MoDem aux élections municipales), on voit mal comment les changer juste avant l'épreuve. Dans ce cas, pourquoi ne pas exiger un scrutin à la proportionnelle pour les prochaines législatives dans à peine deux mois ? Surtout qu'il n'arrive rien de fâcheux en cas de non respect. Dès la fin de l'été, les médias n'en pinçaient que pour la primaire du PS. On ne parlait que de ça. Ça a duré des mois. Y a-t-il eu un ré-équilibrage après ?

Bien sûr que non mais la corporation des journalistes veille au grain. Pas question de céder le moindre centimètre sur ce qu'ils appellent leur « liberté ». Ce sont eux qui décident des sujets d'actualité, des invités, des personnes politiques intéressantes. Il ne saurait être question de rendre compte objectivement, de s'en tenir aux faits ni, dans ce cas précis, de présenter les différents candidats pour que le public fasse de lui-même son choix.

 

Encore une fois, on ne peut le comprendre qu'en prenant en compte les liens tissés entre les journalistes et les personnes politiques depuis les années universitaires où ils se sont côtoyés sur les mêmes bancs avant que leurs chemins ne divergent ; si peu il est vrai. Même si tous les journalistes n'ont pas connu les personnes politiques du temps de leur jeunesse, à force de les suivre, d'être attachés à leurs carrières, il se crée forcément une habitude, une normalité voire une complicité. Ça apparaît quelques fois, lorsqu'on évoque les fameux « off » qui sont la preuve de cette intimité.

 

 

Il y a peu de chances pour que le CSA cède aux pressions des journalistes. On observera donc deux grands comportements. D'abord – et c'est un trait de caractère bien français – les journalistes essaieront par tous les moyens de contourner la règle. On peut penser qu'ils échangent déjà entre eux pour établir des stratégies et s'assurer de la solidarité indéfectible de la corporation en cas de réprimande. Ensuite, nous voyons ces mêmes journalistes s'acharner sur les candidats qui ne les intéressent pas. Ils les dézingueront en direct, profiteront de leur moindre aisance devant la presse, leur poseront des questions sans intérêt. Ça a déjà commencé. Ils seront d'autant plus à l'aise pour le faire qu'ils savent que ça n'aura aucune conséquence pour leur carrière. Nombre de ces autres candidats ne parviendra jamais au pouvoir et n'aura donc jamais l'occasion de se rappeler à leur bon souvenir.

 

Enfin, il faut revenir sur le rôle des nombreux humoristes dans le façonnement de l'opinion publique. En paraissant plus lucides lorsqu'ils dénoncent un fait ou un comportement isolé, ils paraissent plus fiables et acquièrent une légitimité dans la mesure où le public se rend bien compte que l'information est manipulée, sans pouvoir toujours déceler les occurrences. Ils exercent alors leur satire à l'encontre du pouvoir politique de préférence. C'est normal, c'est leur rôle et c'est le plus facile car en agissant, on s'expose forcément à la critique. C'est sain. Dès lors, cette dénonciation leur octroie une réputation d'objectivité et, lorsqu'ils s'en prennent à des personnalités émergentes ou moins médiatisées, le public pense qu'ils ont encore raison et les rejoignent pour s'acharner sur elles, comme sur une poule estropiée dans un poulailler.

 

Abreuvé à cette source médiatique, le public a pris l'habitude de ce breuvage . L'opinion publique ne peut que se vautrer dans ce conformisme auquel on n'échappe pas. Il revêt la forme de l'information médiatisée, de l'humour qui ne remet surtout pas en cause les médias afin de conserver le droit de cité, de la politique . Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas de l'absence totale d'imagination dans les propositions des deux candidats choisis par les journalistes. On ne s'étonnera pas non plus que ces propositions ne correspondent pas à l'évolution du monde et des défis technologiques et environnementaux à relever. On ne s'étonnera pas du marasme et de la récession pas plus que l'aggravation des différentes crises. Le plus fort, c'est qu'en démocratie, on a l'impression de pouvoir choisir alors que le jeu est pipé et qu'on doive subir la pression médiatique et ubiquitale.

 

Pour s'en convaincre, on regardera la manière dont Canal + traite M. Dupont-Aignan, comment on prévient le téléspectateur « qu'on va rire », comment on ne s’intéresse pas à son argumentation mais qu'on veut l'interroger sur la candidate d'extrême-droite. Comment, un peu avant, on a évoqué « sa petite enveloppe » contenant les 500 signatures. D'autres candidats apportant leurs 500 signatures portent-ils une enveloppe plus grande pour le même nombre ? Faut-il en déduire qu'il y a des signatures qui valent plus que d'autres ou que certains sont plus égaux que d'autres ?

http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid3353-c-la-matinale.html

 

Ensuite, on invite Mme Autain pour l'interroger d'emblée sur « le vote utile », c'est à dire pour l'un des deux candidats plébiscités par les médias. On voit comment les journalistes ont été agacés qu'elle refuse d'entrer dans ce jeu. Les journalistes caricaturent les intentions de M. Mélenchon ( « on va couper des têtes, c'est comme ça que ça se finit à la Bastille généralement » : inculture crasse car la guillotine ne se trouvait pas place de la Bastille, qui n'existait pas encore, mais place de Grève ; la Bastille étant une ancienne prison). Ils continuent en l'interrogeant aussi sur les autres candidats. Il n'y a que ça qui intéresse les journalistes : ce que pensent les uns des autres et surtout, rien ne doit entraver leur volonté de voir les deux candidats qu'ils ont désigné.

 

L'instrumentalisation du public continue et ne cessera pas de sitôt. Ainsi, vendredi 16 mars, dans sa chronique, Caroline Fourest transforme l'essai passé en force par Pascale Clark lundi d'avant.

http://www.franceinter.fr/archives-diffusions/139419/2012-03

 

Rappelons qu'en tant que personnalité extérieure, elle apparaît auréolée d'une réputation d'indépendance ce qui est assimilé à l'objectivité. Elle en use et en abuse et se permet de s 'ériger en juge des personnes et des événements.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/04/23672047.html

 

http://www.dailymotion.com/video/xpcbe9_jacques-cheminade_news

 

Après que M. Patrick Cohen a introduit le propos en indiquant qu'elle va évoquer des « candidats pittoresques », elle passe la chronique à débiner M. Cheminade. Après tout, c'est son droit, encore que la radio de service publique devrait avoir certaines obligations. Elle le présente comme le représentant en France d'un personnage politique étatsunien dont personne n'a entendu parler ici et qui tient là-bas des propos imbéciles. Seulement, son expression sème la confusion dans la mesure où, sciemment, elle laisse entendre que les imbécilités de l'autre sont les propos de celui-ci.

C'est déjà assez grave mais ce n'est pas encore le pire. Le summum vient lorsqu'elle ironise et s'en prend aux élus locaux qui, « si brillamment », ont accordé leur signature à la candidature de M. Cheminade. En d'autres termes, elle dénie l'autorité sortie des urnes du suffrage universel. Elle conteste la légitimité des élus. La démocratie ne vaut rien. Seul le choix des journalistes est pertinent. Elle incite enfin le public à exiger de connaître leurs motivations au nom, bien sûr, de « la transparence » et par conséquent, de leur demander des comptes. On pourrait lui demander la même rigueur lorsqu'elle évoque la situation en Syrie.

http://blog.mondediplo.net/2012-02-27-Caroline-Fourest-les-fours-crematoires-et-la

 

Nous avons là, l'affirmation de la prétention de la classe médiatique à dicter au public – qu'on appelle le peuple en politique – ce qui est bon pour lui, ce qui est sérieux. À l'heure où la démocratie est menacée partout dans le monde par les pouvoirs financiers et leurs instruments que sont les organisations transnationales comme l'OMC ou la Commission Européenne, il nous restait à apprendre que ceux qui sont chargés de nous informer, à force de côtoyer le pouvoir, s'arrogent désormais le pouvoir de décider de la crédibilité des candidats à la Présidence, et d'en appeler au peuple pour qu'il destitue ses propres élus qui n'auraient pas accepté les règles que eux, journalistes, ont édicté. Suggérons de supprimer le Parlement et de le remplacer par un Conseil des Journalistes qui orienteraient directement la politique gouvernementale.

 

Entre les candidats « pittoresques » et les deux désignés par les journalistes, il existe encore une catégorie, celle que les sondages situent au-dessus de 10% d'intentions de vote, à savoir MM. Bayrou et Mélenchon, à peine mieux lotis. On passera sur la candidate d'extrême-droite dont la fonction est d'assurer l'audience et de se donner bonne conscience pour par cher en dénonçant ses propos infâmes.

Alors qu'on apprend incidemment (par les revues de presse) que M. Mélenchon remplit les salles, qu'on doive retirer les chaises pour que tout le monde puisse entrer, il n'en est jamais question ou si peu. On a bien parlé du meeting de Besançon en janvier mais rien sur celui de Clermont-Ferrand cette semaine. En revanche, on a su avec précision combien de personnes s'étaient déplacées pour le grand meeting du candidat sortant, dimanche dernier. On a eu droit à la citation de toutes les personnalités qui se trouvaient à la tribune ou au premier rang. On est allé tendre le micro à Depardieu dont les propos valent bien ceux du modèle supposé de M. Cheminade. Quant à M. Bayrou, quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, on le somme de se prononcer en faveur de l'un ou l'autre des deux fameux candidats des médias. Ses convictions, ses engagements, ses arguments n'ont aucune importance.

 

La tendance devrait s'amplifier dans les jours qui viennent et jusqu'à l'élection. Les chroniqueurs, les éditorialistes, les humoristes, vont se déchainer contre les « candidats pittoresques ». Ce devrait être le cas dès dimanche dans la discussion du matin sur Inter mais aussi la veille chez Laurent Ruquier à la TV.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/09/23715631.html

 

En ce domaine comme en d'autres, les médias agissent comme le pouvoir politique après le référendum de 2005 qui a vu la majorité rejeter le Traité Constitutionnel Européen. Ils traitent par le mépris les protestations du public et, lorsqu'elles passent l'échelon supérieur, ils crient à la censure, certains de s'attirer les faveurs des dominés et des indécis. Il semble que cette année, une étape ait été franchie dans la manipulation du public par les médias et les partis de pouvoir et qu'on aille vers une uniformisation de la pensée politique. Le vote populaire, fondement de la démocratie, va devenir un rituel folklorique vidé de sens et de conséquence dans la mesure où le pouvoir s'exerce ailleurs, que les décisions ne sont plus prises par les élus, que les élus sont pré-sélectionnés par une corporation.

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