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la lanterne de diogène
25 septembre 2012

Lettre au Président de la République

Je sais, c'est gros mais ça a déjà été fait et par moindres. Et puis, c'est sans véritable risque puisqu'il ne le lira pas et qu'aucun de ses proches ne le lira non plus. On n'est plus du temps de Fouquet quand le chef de la police avait le temps de lire tout ce qui s'écrivait, y compris la correspondance privée, sur le chef de l'Etat. Comment faire dans un pays qui abrite plus de 65 millions d'âmes et donc autant de critiques de la politique ? Ce nombre induit une distance qui s'est établie progressivement entre le peuple et ses dirigeants. Qu'on songe que le simple élu local est souvent inaccessible pour la plupart de ses administrés. Le pire, c'est qu'il n'en souffre pas le moins du monde, persuadé que le citoyen de base n'est qu'un élément, une variable d'ajustement dans son action quotidienne. Si en plus, il fallait lui demander son avis...

 

C'est la première fois que l'idée me vient d'écrire au premier magistrat et premier serviteur de l'Etat. En fait, j'aurais plutôt envie de lui parler, sans témoin, en toute amitié si l'on peut dire s'agissant de quelqu'un que je ne connais pas personnellement et que je n'ai pas envie de connaître davantage. J'aurais envie de lui dire ce que j'entends autour de moi et de le lui répéter de façon amicale, sans animosité ni passion, sans paroles excessives, comme on parle à un collègue à qui il vient de tomber une tuile sur le coin de la figure.

 

 

 

Monsieur le Président de la République,

 

Il y a peu de chances que vous lisiez cette lettre. Je ne vous l'enverrai pas mais je la publie sur mon blog et quelques amis se retrouveront sans doute dans mes propos pendant que ceux qui ne consultent pas mon blog vitupèrent autour des machines à café ou en allant pointer à Pôle Emploi à la fin du mois.

 

J'apprends que, quatre mois après votre élection, votre côte de popularité se trouve déjà fort basse. Vous répondez que vous n'avez pas mis en place toute l'étendue de votre programme car vous avez cinq ans pour le faire. Permettez-moi de vous dire que vous vous trompez. Après ces années catastrophiques que nous avons vécues, il faut que ça change et plus vite que ça. L'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire est déjà oubliée, d'autant que peu de foyers en bénéficient. Idem pour le retrait anticipé des troupes d'Afghanistan. On attend plus. On attend la mise en place de votre programme. Il faut le faire de suite car nul de sait de quoi demain sera fait. Qui nous dit qu'une crise, dans quelque domaine que ce soit (économique, politique, diplomatique c'est à dire guerre, écologique), ne va pas suspendre et pour longtemps toute activité normale car il faudra prendre dans l'urgence des mesures pour y répondre ? Le mieux, c'est de mettre en place votre politique, celle pour laquelle vous avez été élu, afin de prévenir les conséquences les plus dangereuses pour chacun de nous.

 

Depuis votre élection, vous semblez ne pas oser mettre en place votre politique. Au contraire, vous mettez un point d'honneur à continuer celle de votre prédécesseur et qui a été rejetée. Vous mettez un point d'honneur à suivre les injonctions de l'Union Européenne qui conduisent à rendre impossible la mise en place d'une politique comme celle pour laquelle vous avez été élu. Déjà, dans votre majorité, des voix s'élèvent pour obtenir qu'au moins, vous ne renonciez pas ; du moins, pas tout de suite. Encore une fois, quiconque un tant soit peu sérieux peut penser que des événements vont modifier l'état du monde et rendre difficile l'application d'un programme établi l'an passé avec des données d'il y a deux ans. Le monde change vite et l'on peut comprendre qu'il faille s'y adapter. En revanche, personne ne peut comprendre que vous ne mettiez pas en place votre programme, tout votre programme, pendant qu'il est temps, pendant que les circonstances le permettent, pendant que vous bénéficiez encore de la dynamique de la campagne.

 

Par la voix de vos proches, vous mettez en garde la majorité contre les risques de crise politique au niveau européen en cas de non-ratification par la France de ce nouveau traité qui entérine un nouvel abandon de la souveraineté nationale. La crise politique européenne a commencé il y a plus de dix ans et s'est aggravée après l'entrée de dix nouveaux pays d'un seul coup ; dix pays dont un ou deux seulement étaient vraiment prêts à participer pleinement au fonctionnement de l'Union. Au contraire, un pays comme la France, avec son poids démographique, son poids économique peut favoriser la mise à plat de tous les problèmes en suspens. C'est une chance à saisir. Vous aurez remarqué que je n'ai pas évoqué l'influence de la France due à son Histoire ni son statut de membre fondateur au moment où l'on célèbre la visite du Général De Gaulle en Allemagne, geste qui a scellé la réconciliation et jeté les bases d'une paix durable d'où découlent toutes les initiatives de rapprochement des puissances européennes. Le problème de la France et singulièrement de la gauche, c'est qu'elle n'ose pas revendiquer les plus belles pages de son Histoire ni les principes fondamentaux qui ont fait de notre pays, pendant des dizaines d'années, plus de deux siècles, en fait, avec quelques lointaines interruptions, un pays dont la manière de vivre est enviée par tous et a servi de modèle à presque tous les peuples dans leurs luttes pour une vie meilleure.

Dans l'immédiat, c'est une crise dans votre propre majorité que vous ouvrez en vous soumettant aux injonctions des instances dirigeantes de l'UE et ce, avant même d'avoir pu mettre en place les bases de votre politique. Autrement dit, sur une question de dogme qui n'empêche pas l'Europe de fonctionner jusqu'à présent, vous préférez qu'une crise mette en cause votre légitimité et vous expose aux critiques de votre majorité et aux obstructions d'une opposition qui tire déjà le bilan de votre inaction.

 

À l'heure où tant de peuples d'Europe, et non des moindres si l'on considère leur Histoire et leur influence passée sur l'évolution du monde (Grèce, Italie, Espagne, Portugal), souffrent de politiques absurdes et dont la mise en œuvre produit des effets catastrophiques, la France, sous votre impulsion et avec le quitus qui vous a été délivré par le peuple souverain, la France donc, s'honorerait en obligeant ses partenaires à regarder la réalité en face et à changer sa façon d'agir. La France, sous votre Présidence, rendrait un fier service à tous les peuples d'Europe qui croient encore en la France (malgré l'arrogance insupportable de beaucoup de Français) et qui attendent un geste, une parole pour retrouver, au moins, l'espoir.

 

Ne vous trompez pas Monsieur le Président. Votre impopularité ne provient pas de personnes qui vous reprochent d'appliquer votre politique. Elles viennent de vous élire. Elles ont encore en mémoire vos propos, la manière dont vous les avez défendus pendant la toute récente campagne. Elles vous reprochent de tarder à mettre en place votre politique. Pire, elles ont l'intuition que vous n'allez pas la mettre en place. C'est ce signal qu'ils vous adressent. De grâce, écoutez les voix qui vous demandent simplement d'être vous-même. En vous élisant, les Français ont montré qu'ils ne réclament pas des changements radicaux quand bien même il les faudrait. Ils ont marqué l'espoir que quelques réformes, quelques réajustements suffiront. Surtout, ils espèrent qu'un peu de justice sociale et fiscale permettront de renouer avec l'espoir sans avoir à passer par des périodes de bouleversement auxquelles ils ne sont plus préparés. Votre programme n'est pas révolutionnaire. Tout au plus il peut être qualifié de réformiste. Au moins, mettez-le en œuvre et sans tarder.

 

Monsieur le Président, vous étiez à l'Elysée, il y a trente ans. Vous avez pu observer comment le Président Mitterrand a dû changer de cap pour avoir tardé à mettre en place sa politique. Lui aussi disait qu'il avait sept ans pour travailler. Lui aussi répétait qu'il devait penser à ceux qui n'avaient pas voté pour lui. Le résultat, au bout de trois ans, a été le revirement et finalement, le retour de l'ancienne majorité, revancharde, pour appliquer une politique déjà impulsée au cours des deux années précédentes. Personne parmi les électeurs du Président Mitterrand ne lui a reproché de mettre en place sa politique. En revanche, le revirement a déçu et, tant qu'à mener une politique de droite, autant rappeler ceux qui l'incarnent le mieux. Est-cela que vous voulez ? Est-ce que, dès la première épreuve, vous allez tourner le dos à vos engagements, à vos convictions, à l'espoir modéré que vous avez suscité ? Est-ce que, au bout de quatre mois, vous allez déjà rebrousser chemin et vous déjuger ? Allez-vous mettre, vous aussi, en place une politique qui, partout, produit des catastrophes ?

 

Monsieur le Président, personne ne vous a demandé de voyager en train plutôt qu'en avion. On apprécie mais ça n'affecte en rien la vie quotidienne de chacun d'entre nous. Vous mettez en avant le vote des étrangers. Faites-le et qu'on n'en parle plus. Je n'imagine pas que, depuis le temps qu'on en parle, le texte ne soit pas déjà tout prêt. Ça ne nécessite pas des jours de débat. Les arguments des uns et des autres sont connus. Je veux dire : ne vous servez pas de ce thème comme d'une diversion. La justice fiscale ? On vous attend. Vous serez soutenu et vos électeurs sont prêts à affronter les foudres de l'Union Européenne et de l'OMC et de tout ce que vous voudrez pour obtenir justice. Faites confiance à vos électeurs. Que craignez-vous ? Une nouvelle dégradation de la note de la France par ces agences supranationales et illégitimes ? Allons ! Depuis la baisse de sa note, la France obtient de meilleures conditions encore de la part de ses ennemis. À qui fera-t-on croire que la France qui se distinguerait serait mise en faillite ? Aucun État n'a jamais été mis en faillite, encore moins une puissance parmi les dix premières. Nous avons les moyens d'affronter nos partenaires dans le cas très hypothétique où nous serions mis au ban de l'Union Européenne. Vous craignez de déplaire aux conservateurs ? Forcément, ils ne sont pas contents de n'être plus aux commandes. C'est normal et vous ne les ferez pas changer d'avis même en adoptant leur politique. M. Jospin dont vous avez été proche a mené une politique compatible avec l'ultralibéralisme qu'ils prônent. Ce n'est pas pour autant qu'ils ont voté pour lui, il y a dix ans. Le contraire aurait été surprenant. Vous n'amènerez pas à vous vos adversaires. En revanche, vous pourrez éloigner de vous vos partenaires. C'est déjà fait mais il n'est pas trop tard pour inverser la tendance. Il vous suffit ; je répète « il vous suffit » de mettre en place la politique pour laquelle vous avez été élu.

 

Monsieur le Président, je vous écris comme on écrit à un ami. Un ami ne laisse pas tomber dans la difficulté. La réciproque est vraie également.

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